Dans un univers paradoxal, à la fois archaïque et futuriste, C. L. Moore met en scène des dieux ancestraux, des races oubliées ou des personnages pseudo-mythologiques qui cherchent à se maintenir en vie ou à retrouver leur pouvoir perdu. Dans ce domaine, C. L. Morre se situe dans la lignée du travail littéraire d'H. P. Lovecraft qui décrivait comme suit son propre univers : « Toutes mes histoires [...] se rattachent à une tradition, une légende fondamentale selon laquelle ce monde a été peuplé autrefois par les êtres d'une autre race; adeptes de la magie noire, ils ont perdu leur emprise sur cette univers et ont été bannis, mais ils continuent à vivre au-dehos et sont toujours prêts à reprendre possession de la Terre. »
C'est dans le paragraphe qui introduit la nouvelle Shambleau que l'auteure pose les bases de son univers imaginaire, proche de celui de Lovecraft : « L'homme a déjà conquis l'espace. Vous pouvez en être sûr. Bien longtemps avant les Égyptiens, dans cette obscurité d'où viennent des échos de noms à demi mythiques - Atlantis, Mû -, longtemps avant les premiers débuts de l'Histoire, il dut y avoir un temps où l'humanité construisait des cités d'acier pour loger ses vaisseaux qui voyageaient parmi les étoiles [...]. » C. L. Moore intègre à cet univers lovecrafien d'un âge d'or immémorial, mais irrémédiablement perdu, une touche d'érotisme parfois à peine suggéré, une réflexion insistante sur la féminité et une longue rêverie sur le pouvoir destructeur de la beauté.
Du point de vue de la conduite de la narration, C. L. Moore attache peu d'importance à la dimension purement événementielle de ses intrigues. La situation initiale est souvent brossée à grands traits, présentant un héros désœuvré, Northwest Smith, dont on ne sait quasiment rien, et qui traîne dans une rue ou attend dans un lieu mal famé. Le contexte science-fictif reste le plus souvent obscur, avec un univers imaginaire aux données très lacunaires. Le dénouement, quant à lui, arrive toujours de manière abrupte, déclenché par un simple tir de pistolet thermique ou par l'intervention in extremis d'un autre personnage qui joue alors le rôle convenu du Deus ex machina. En fait, le travail littéraire de C. L. Moore se concentre non pas sur l'aspect événementiel de l'histoire, mais sur l'atmosphère d'oppression et d'horreur qu'elle crée au fil de ses pages, avec un héros dont l'expérience psychique est toujours poussée à son extrême limite.
Chaque nouvelle répond à un modèle commun qui peut être présenté comme suit :
Critère d'analyse | Situation initiale | Complication | Action / Opposant | Résolution / Adjuvant |
---|---|---|---|---|
GENRE | Science-fiction. | Fantastique. | Fantastique. | Science-fiction ou fantastique. |
ACTION | Héros dans l'expectative. | Rencontre fortuite avec un personnage singulier, souvent féminin, qui entraîne le héros dans un monde étrange. | Confrontation avec un être d'origine divine, extra-dimensionnelle ou pseudo-mythologique. | Intervention extérieure d'un personnage secondaire ou sursaut vital du héros. |
ATMOSPHERE | Désœuvrement ou détresse du héros. | Étonnement et curiosité du héros face à un être singulier, souvent féminin, qui l'incite à le suivre. | Angoisse du héros, sentiment d'horreur face à une entité divine avide de sacrifices humains. | Libération et soulagement du héros. |
PERSONNAGES | Héros : Aventurier de l'espace au passé trouble et aux activités douteuses. | Personnage féminin d'une très grande beauté aux origines mystérieuses. | Opposant : Divinité extra-dimensionnelle qui souhaite recouvrer son pouvoir ancestral. | Adjuvant: arme futuriste ou personnage secondaire. |
Catherine L. Moore utilise dans ses nouvelles certains archétypes littéraires et les développe sur un registre fantastique. On retrouve ainsi au fil des nouvelles du recueil des allusions à différents mythes : la Méduse (Shambleau), Circé (Yvala), la légende arabe des Houris (La Soif noire, Yvala), le Vampire (Shambleau), Lucifer (Shambleau), le Cyclope (Juhli), les Sirènes (Yvala, L'Arbre de vie), Lilith (Yvala), Hélène de Troie (Yvala), le concept d'unité spirituelle de la trinité chrétienne (Paradis perdu) et le totémisme animal (Yvala).
Les différents monstres/divinités inventés par Catherine Lucille Moore présentent les caractéristiques particulières suivantes :
Tout au long de ses nouvelles, C. L. Moore utilise un véritable « langage des couleurs » qui apparaît déjà dans les titres mêmes de certains de ses récits comme Songe vermeil, La Soif noire ou Le Dieu gris. Chaque couleur est associée à un personnage ou un phénomène particulier, ce qui permet d'établir une sorte de nuancier littéraire :