Les premières traductions de l’arabe au latin visaient à retrouver la médecine grecque, très faiblement connue durant le haut Moyen Age. En outre, tandis que le monastère de Mont Cassin, fondé au VIe siècle par Saint Benoit, abritait un foyer de restauration de la culture grecque, l’École de médecine de Salerne commençait, depuis la fin du Xe siècle, à bénéficier d’une certaine réputation dans le domaine médical.
Alors que dans d’autres domaine scientifiques, comme l’astronomie et les mathématiques, la voie de transmission fut essentiellement espagnole, en médecine elle fut d’abord italienne. L'Italie du Sud, plus que toute autre région d’Occident, par sa situation au centre de la Méditerranée, constituait un espace privilégié des relations entre les pays d’islam, le monde byzantin et latin. La culture grecque y est en effet très présente, depuis le VIe siècle avant J.-C., et parce que la Sicile fait partie de l’empire byzantin jusqu’à sa conquête par les Arabes en 827 (puis de façon éphémère avec la reconquête byzantine de 1037-1038 à 1042).
Ensuite, de 1071 à 1091, l’île devient le royaume de Sicile, conquise par les Normands de Robert Guiscard et Roger de Hauteville, avant d’échoir à l’empereur Frédéric II en 1198. Les rois normands, et surtout Roger II (1130 à 1154), créent un royaume qui se fonde sur une synthèse des institutions, des structures sociales et des cultures grecques, arabes et latines (et parmi elles normandes, lombardes…).
Les trois civilisations (grecque, arabe, latine) se côtoient et s’interpénètrent pendant plusieurs siècles sous les régimes lombards, normand et souabe et l’Italie du Sud allait devenir le bouillonnant passage de la culture latine, par l’intermédiaire de l’arabe, au même titre que Cordoue, Séville ou Tolède.
L’introduction de la médecine arabe se fit d’emblée par la mise en latin d’une série de textes dont certains constituent de vastes synthèses : la médecine fut la première discipline à se voir doter d’un corpus cohérent de textes traduits de l’arabe, dans une volonté de mettre en latin le plus grand nombre d’œuvres possible et de transmettre ainsi une science dans son ensemble. En effet, au XIe siècle, dans la ville de Salerne (Campanie), œuvre un milieu médical extrêmement actif, orienté surtout vers la pratique, et qui se fonde sur la tradition occidentale du haut Moyen Âge. Elle représente la seule entité qui puisse être mise au même plan que les autres grands centres intellectuels de tout l'Occident de l’époque. Dès le début du XIe, des bruits circulent en Europe sur ce petit port d'Italie du Sud, où des médecins enseignent leur discipline en italien, en grec, en latin et en arabe, accueillent des étudiants de passage, quelle que soit leur religion, discutent les textes anciens et expriment leur curiosité sur toute nouvelle idée médicale. Deux faits importants, hormis un peu de droit, l’école n’enseigne que la médecine et les enseignants sont des laïcs pratiquants la médecine. Des savants de toute l’Europe chrétienne et de l’Espagne juive et musulmane viennent s’instruire à Salerne ; la rencontre avec les traductions de Constantin l'Africain, considéré comme le plus célèbre traducteur de l’arabe en latin, donne vie à ce que l'on appellera l'École de médecine de Salerne en lui offrant les textes de base du galénisme (sur la physionomie et l'anatomie) qui manquaient le plus aux médecins d'Occident.
La vie de Constantin, l’un des principaux traducteurs de la médecine arabe, reste brouillée de légendes plus ou moins vraisemblables. Il serait originaire d’Ifriqiya (Tunisie actuelle), de Tunis ou Carthage, et certains pensent qu’il aurait pu être marchand musulman, d'autres le croient chrétien étant donné la communauté chrétienne d’Afrique du Nord. On sait également qu'il aurait eu des notions médicales. Quand il arrive à Salerne la première fois, entre 1052 et 1077, il découvre que les latins n’avaient que peu d’ouvrages sur la médecine. Il serait rentré chez lui pour étudier la médecine pendant trois ans et revenir chargé d’ouvrages arabes. Il entre au monastère du Mont Cassin où il est devenu moine et traduit une douzaine d’œuvres d’auteurs arabes, les plus importants des ouvrages médicaux arabes qui étaient apparu avant le milieu du XIe siècle. Il présente ces œuvres en général comme étant les siennes. Comme souvent dans les traductions médiévales, il s’agit plus d’adaptations que de traductions exactes puisqu’il souhaitait rattacher le plus possible la médecine arabe à l’héritage gréco-latin préexistant. Cette méthode discutable aura pourtant assuré la « greffe ».
Les traductions de Constantin vont être employées dans l’enseignement et dans la pratique de la médecine :
- Le Pantegni (dont le véritable auteur est Ali ibn Abbas al-Majusi, dit Ali Abbas), encyclopédie médicale, exerce une influence considérable sur la médecine dans son ensemble.
- L’Isagoge ou Liber isogogarum (de l'auteur Hunayn ibn Ishaq, dit Johannitius (809-877), la plus grande figure du IXe siècle), se présentait comme une introduction au Tegni de Galien.
Ces deux œuvres transmettaient le galénisme sous la forme qu’il avait pris à Alexandrie puis chez les médecins arabes. Plaçant la médecine dans le sillage de la philosophie naturelle, l’Isagoge offre une classification des différents objets de l’anatomie, de la physiologie, de la pathologie et de la thérapeutique. L’accent est mis sur la recherche des causes, l’appréhension des signes, ainsi que la prise en compte des facteurs extérieurs, « choses non naturelles », tels que le climat, les bains ou la diététique. L’Isagoge constitue en quelque sorte la colonne vertébrale de la science médicale médiévale : sa brièveté lui permit d’être facilement apprise. Le milieu étant encore hellénophone, le but n’étant pas de transmettre la science arabe mais de retrouver le côté hellénique dans une vision du grec comme langue de l’érudition. Ces ouvrages ont un succès immédiat à Salerne où on enseigne la médecine depuis le Xe. Ces deux œuvres aidèrent à la constitution de la médecine occidentale en tant que discipline intellectuelle.
Dans ses traductions, Constantin introduit également trois auteurs de l'école de Kairouan des X-XIe siècles :
- Isaac Israeli ben Salomon (également connu sous le nom de Ishâq b. Sulaymn al-Isrâ’ili) avec son traité des fièvres (Kitâb al-Hummayât : première monographie arabe consacrée à ce sujet) et son traité de l’urine (Kitâb al-bawl).
- Ibn Al Jazzar (898-980), dit aussi Algizar, décrit les différentes maladies dont souffrent les voyageurs, ainsi que les symptômes de ces maladies et les méthodes de traitement. Il présente, en outre, une description précise de la variole et de la rougeole, et des informations judicieuses sur les maladies internes.
-Ishak Ibn Omrane et le fameux Traité sur la mélancolie qui analyse de façon précise la nature, les modalités, les étiologies et les complications de l'affection en proposant des cures par des règles hygiéniques morales, diététiques et médicamenteuses. Il décrira nombre de formes aujourd'hui connues d'états dépressifs mélancoliques, aussi bien les formes simples que compliquées, celles qui rentrent dans le cadre de la psychose maniaco-dépressive que celles qui compliquent des troubles somatiques variés et définit les grandes lignes de l'éventail thérapeutique qui s'adresse aux états dépressifs : psychothérapie, sociothérapie, physiothérapie, chimiothérapie et thérapie à visée étiologique et hygiéno-diététique. Tous ces traitements s'inscrivent dans le cadre d'une relation médecin-malade basée sur le réconfort moral et qui sera exposée très précisément.