Notons un élément important avant de nous engager dans un sujet qui pourrait embrouiller les esprits. Pour l'Empire musulman que l'on appelle aussi "Empire arabe", le qualificatif d'arabe ou de musulman que nous allons utiliser ne repose pas sur des distinctions d'ordre ethnique, politique ou religieux. Les Arabes, la population ethnique, ont été absorbés par les populations indigènes (Iraniens, Turkmènes, Berbères, Espagnols, Africains et Grecs)après s'être installés, au cours de leurs campagnes militaires et les religions juives et chrétienne subsistent dans ce monde qui témoigne de à l'égard des cultes déjà présents et existants. Le précepte du prophète Mahomet, pour qui "chaque peuple soumis doit conserver le choix de se convertir ou de verser un tribut lui permettant de conserver ses croyances a encouragé un état de tolérance dans la collaboration avec les érudits déjà présents dans les régions nouvellement conquises et "arabisées".
La médecine arabe s’inscrit dans une longue tradition scientifique qui remonte à la Grèce classique, à la Perse ancienne, à l’Inde sanskrite. Dans les cités de l’empire perse sassanide, les centres d’études assurent la conservation et la diffusion d’ouvrages grecs, syriaques, persans. Dès les lendemains de la mort du prophète Mahomet en 632, dont la prédication exhortait les hommes à rechercher la science, les Arabes ont construits en quelques décennies un immense empire englobant la plupart des foyers scientifiques byzantin. Ainsi, une brillante civilisation née de l'expansion musulmane s'était ouverte aux sciences. Loin d’en détruire les richesses, les califes ont au contraire, du VIIIe au XIe siècle, favorisé leur appropriation en recourant aux services de médecins syriaques, en soutenant l’activité des traducteurs d'où qu’ils soient et en encourageant les savants qui, dès le IXe siècle, s’illustrèrent par la rédaction d’ouvrages originaux.
On peut noter le soutien d’Al-Ma’mūn (calife de 813-833) instigateur de la « Maison de la sagesse » (en arabe بيت الحكمة : le Bayt al-Hikma ou Dâr al-Hikma). L’ambition était de jeter les bases intellectuelles, philosophiques et scientifiques, et l’afflux d’hommes de sciences et philosophes chrétiens chassés par les Byzantins. Les collections de cette bibliothèque ouverte à l’élite éclairée s’enrichirent des textes grecs récemment traduits en arabe. Lieu de consultation, de copie, de rencontre, le Bayt al-Hikma assura la diffusion du savoir antique : Galien, Hippocrate sont introduits en terre d’islam sous l’appellation de sciences « anciennes ».
L’usage du papier et la multiplication des traductions venaient renforcer, expliciter, codifier les pratiques médicales musulmanes. Au IXe siècle, les savants de Bagdad avaient toutes les connaissances de la médecine hellénistique. Le gouvernement califal qui diffuse dans tout l’Empire (Égypte, Syrie, Maghreb, Andalousie) des copies des manuscrits médicaux supervise la pratique médicale des praticiens. Des manuels pratiques sont publiés et la construction d’hôpitaux s’étend à partir de l’Irak à tout le monde musulman. L'adoption d'une langue commune, celle du Coran, la continuité des recherches qui s'est manifestée, durant sept siècles, d'un lieu à l'autre de l'espace musulman, invitent à regrouper sous l'appellation de « sciences arabes » l'ensemble des travaux de savants aux origines régionales et religieuses fort diverses. Du IXe au XVe siècle, au Proche-Orient, en Espagne, en Asie centrale comme au Maghreb. La médecine y atteint alors un niveau de haut savoir et de pratique. Ainsi, dès le IXe siècle, chaque grande capitale du monde arabe - Bagdad, Damas, Le Caire, La Mecque, Samarie - possède son centre culturel avec bibliothèque où érudits et élèves se croisent, attirés par les textes de l'Antiquité. Il est difficile de dater avec exactitude les premières infiltrations non textuelles des savoirs de la médecine étant donné que la pratique de la discipline ne laisse pas de trace objective. Néanmoins, au lendemain de l’an mil on sait déjà que les premières infiltrations de la science arabe apparaissent dans les textes latins et que ces dernières intervinrent dans des lieux qui avaient été touchés de près ou de loin par la conquête arabe. Le mouvement de ces savoirs ont été lents mais s’amplifie par vagues successives à travers la redécouverte des savoirs anciens de l’Antiquité et des savoirs nouveaux arabes. Pour le monde latin, le savoir médical gréco-arabe représentait un ensemble de connaissances riche, construit, rationnel, sans égal dans leur propre culture. L’attrait exercé par les textes arabes fut particulièrement fort dans l’occident chrétien qui, dès le IXe siècle, se mit à traduire les maîtres de Kairouan et conserva, jusqu’à l’époque moderne, un intérêt réel pour les thérapeutiques appliquées en Orient.