L'usine Avco de Stratford est un important site industriel de la ville de Stratford, dans le Connecticut (États-Unis). Dans cette usine, des avions ont été construits de 1929 à 1949 par Sikorsky et Vought. A partir de 1951, Avco y a fabriqué des moteurs d'avions, des moteurs d'hélicoptères et enfin des moteurs de chars de combat pour le complexe militaro-industriel des États-Unis d'Amérique, jusqu'à la fermeture du site en 1998.
Igor Sikorsky fonda la Sikorsky Aero Engineering Corporation avec plusieurs associés en 1923, près du terrain d'aviation Roosevelt Field, à Long Island. Grâce à des surplus militaires, il réalisa un premier appareil, le S-29A, qui vola pour la première fois en 1924. L'année suivante, la société était devenue la Sikorsky Manufacturing Corporation, qui mit au point plusieurs nouveaux modèles, dont le S-34, premier d'une série d'hydravions.
Le trimoteur S-35, terminé en août 1925, s'écrasa avant une tentative de traversée de l'océan Atlantique avec comme pilote René Fonck, un as de la Première Guerre mondiale. Après que Fonck eut été devancé par Charles Lindbergh, le bimoteur S-37 fut vendu à une compagnie aérienne. D'une capacité de huit places, le S-36 fut le premier avion amphibie abouti de Sikorsky et il entra en service chez Pan American Airways en 1928.
La même année volait le S-38, d'une capacité de neuf passagers, qui fut commandé par dix compagnies aériennes et l'US Navy. Le colonel Lindbergh inaugura avec cet appareil une liaison postale entre les États-Unis et la Zone du Canal de Panama en 1929. Le succès commercial du S-38 fit changer le nom du constructeur, qui devint Sikorsky Aviation Corporation et s'installa à Stratford, sur les bords de la rivière Housatonic, dans le Connecticut. La même année, l'entreprise entrait dans la United Aircraft and Transport Corporation, une holding qui regroupait Boeing, Pratt & Whitney, Hamilton Aero, Chance Vought et plusieurs compagnies aériennes.
Dans les années 1930, Sikorsky conçut et fabriqua plusieurs hydravions. Le S-40 American Clipper était destiné au transport de passagers et vola en 1931. Plus grand et d'un meilleur rendement, le S-42 Clipper vola en 1934 ; la Pan American l'employa sur de nouvelles lignes aériennes à travers l'océan Pacifique et l'Atlantique Nord. Plus petit, le S-43 volait avec succès sur des trajets plus courts. Cette série d'hydravions culmina avec le VS-44A Excalibur, un appareil à long rayon d'action, d'une capacité de 40 passagers. En 1934, la United Aircraft and Transport Corporation fut remplacée par la United Aircraft Corporation, dont Sikorsky Aircraft devint une simple « division ».
Souffrant durablement de la Grande Dépression, United Aircraft décida en 1938 de mettre un terme à la production de la division Sikorsky, mais accepta avec une étonnante clairvoyance de donner à Igor Sikorsky un petit budget ainsi qu'une équipe pour travailler à Stratford sur le développement d'hélicoptères. Sikorsky put se consacrer à plein temps à sa passion. Le 14 septembre 1939, un hélicoptère, le Vought-Sikorsky 300 (VS-300), décolla avec Igor Sikorsky aux commandes. Des essais de vol libre commencèrent l'année suivante et après de multiples modifications, l'appareil était au point à la fin de 1941.
En 1939, Sikorsky Aviation partagea son usine de Stratford alors sous-utilisée avec Chance Vought Aircraft. Les deux filiales de United Aircraft Corporation fusionnèrent le 1er avril 1939, devenant la Vought-Sikorsky Aircraft Division de United Aircraft. Depuis 1930, Chance Vought possédait une usine à East Hartford, en bordure du terrain d'aviation Rentschler Field. Cette usine, distante de 75 km de Stratford, était prise en sandwich entre le motoriste Pratt & Whitney et le fabricant d'hélices Hamilton Standard, deux autres filiales de United Aircraft, dont les activités en pleine expansion exigeaient davantage d'espace.
D'importantes extensions et améliorations furent apportées à l'usine de Stratford, qui se consacra principalement à la fabrication de chasseurs pour l'US Navy. La production des hydravions VS-44A Excalibur cessa le 23 juin 1942 avec la livraison du troisième exemplaire. Par ailleurs, le développement de prototypes d'hélicoptères pour l'armée, unique activité d'Igor Sikorsky, exigeait une organisation particulière si bien qu'en janvier 1943 la division Vought-Sikorsky fut scindée en deux : à Stratford demeura la division Chance Vought tandis que la division Sikorsky Aircraft fut transférée à Bridgeport (Connecticut), à quelques kilomètres de là. L'effectif de l'usine de Stratford passa de 4 450 salariés en 1940 à 13 500 en 1943. Plusieurs appareils y furent construits pour l'US Navy.
Le SB2U-3 Vindicator fut le premier avion que Vought fabriqua à Stratford. Un lot de 50 appareils commandés par la France, sous la désignation de V-156-F, fut finalement livré au Royaume-Uni avec des modifications mineures et une nouvelle désignation : V-156-B1 Chesapeake. Sur un total de 245 appareils construits, l'usine de Stratford en livra 57, le dernier en 1942.
Le OS2U Kingfisher était un avion d'observation, conçu à East Hartford, où un prototype vola en 1938. La production débuta à Stratford en 1940, mais fut poursuivie à la Naval Aircraft Factory de Johnsville (Pennsylvanie) pour faire de la place à la fabrication du Corsair.
Le F4U-1 Corsair avait été conçu à East Hartford par Chance Vought, sous la direction de l'ingénieur en chef Rex. B. Beisel. Le premier modèle expérimental, fabriqué à Stratford, effectua son premier vol le 29 mai 1940 et une première commande fut passée quelques jours plus tard. A la fin de 1942, 178 appareils avaient été acceptés par la Navy. En 1943, Charles Lindbergh, ami proche d'Igor Sikorsky, passa beaucoup de temps à l'usine de Stratford, avec les pilotes d'essai. Les problèmes relevés sur les premiers modèles furent résolus et la production du F4U-1 augmenta rapidement, passant de 75 par mois à 235 en décembre 1943. Mais l'usine de Stratford ne parvenait pas à répondre à la demande, si bien que cet appareil fut également construit par Goodyear Aircraft à Akron, et Brewster Aeronautical à Long Island City. Sur les 12 586 F4U Corsair construits pendant la guerre, la production de l'usine de Stratford s'éleva à 7 829.
Vought mit également au point le prototype d'un nouveau bombardier torpilleur pour l'US Navy, le XTBU-1 Sea Wolf, qui vola le 20 décembre 1941. La Navy envisagea d'abord d'en commander 1 000, mais comme l'usine de Stratford était entièrement occupée par la fabrication du Corsair, c'est Consolidated Aircraft qui s'en chargea, à Allentown (Pennsylvanie).
Après la Seconde Guerre mondiale, deux appareils étaient en fabrication à Stratford : le F4U Corsair, qui s'était brillamment illustré pendant la guerre, et le F6U-l Pirate. L'effectif de l'usine était retombé à 3 600 travailleurs. En 1946, l'US Navy proposa à Chance Vought Aircraft de quitter Stratford pour une vaste usine inoccupée, construite pendant la guerre à Dallas et dont elle était propriétaire. Il s'agissait également d'éviter que les deux principaux fournisseurs d'avions de la Navy — l'autre étant Grumman — soient installés à proximité l'un de l'autre, sur la côte est.
Le déménagement de l'usine Chance Vought de Stratford commença en septembre 1948 et s'acheva vers le milieu de l'année 1949. Plus de 1 300 salariés et leur famille ainsi que 22 000 tonnes d'équipements, dont 2 000 machines, quittèrent le Connecticut en plusieurs vagues afin de perturber le moins possible la production. L'ampleur exceptionnelle de cette opération incita la Metro-Goldwyn-Mayer à en faire le sujet d'un film, Yankee in Texas, avec l'acteur Spencer Tracy dans le rôle principal. Mais le projet ne vit jamais le jour en raison de la campagne menée par le gouverneur du Connecticut, Chester Bowles, qui voulait éviter une telle publicité négative pour son État.
Ce déménagement laissa l'usine de Stratford sans activité. Peu après, un débordement du fleuve Housatonic inonda l'usine qui fut sérieusement endommagée. En 1951, l'US Air Force acheta le site à la Navy et le renomma « Air Force Plant 43 ». Son exploitation fut confiée à la firme Avco Corporation, qui la fit gérer par sa filiale Lycoming Engines (Bridgeport Lycoming Division, plus tard Avco Lycoming Stratford Division).
Avco dut remettre en état le site, dégradé par les eaux, et élever des digues. Les ateliers furent considérablement agrandis et reçurent de nouvelles machines pour la fabrication de moteurs d'avions. A la fin des années cinquante, l'usine Avco de Stratford commença la fabrication de moteurs à turbines Lycoming T-53 pour hélicoptères, les moteurs à pistons demeurant en fabrication dans l'usine Avco de Williamsport (Pennsylvanie). Le Lycoming T-53 fut une des plus belles réussites d'Avco, équipant par exemple le Bell UH-1 Iroquois ou Huey, le modèle d'hélicoptère le plus fabriqué au monde.
La fabrication de moteurs d'avions et d'hélicoptères connut de fortes variations, au gré des commandes militaires. La guerre de Corée assura d'abord des commandes importantes à l'usine, qui connut au contraire des vagues de licenciements en 1957 et 1958. Le personnel comptait environ 6 500 personnes en 1959. A partir de 1961, l'activité redémarra en raison d'importantes commandes d'hélicoptères Huey, Cobra et Bell, largement employés pendant la guerre du Vietnam, et dont les moteurs étaient fabriqués à Stratford. La production atteignit 350 moteurs par mois. Les moteurs revenaient ensuite à l'usine pour la maintenance et les réparations.
L'effectif de l'usine culmina à la fin de 1969 et au début de 1970 avec 12 000 travailleurs, qui faisaient les 3 x 8. L'usine travaillait sept jours sur sept. La main-d'œuvre, jusque-là essentiellement masculine, blanche et fortement syndiquée, se féminisa. Les salaires étaient nettement inférieurs à ceux de la plupart des autres entreprises du secteur aérospatial de même que les prestations sociales offertes. L'usine Avco de Stratford connut des relations sociales tendues dans les années 1960 et détenait probablement un record national pour le nombre de grèves « sauvages » (illégales), particulièrement fréquentes avec l'équipe de nuit. Les motifs de ces conflits étaient les rémunérations, les classifications, les déplacements arbitraires de travailleurs d'un atelier à l'autre avec perte de revenu, etc. Ces grèves culminèrent en 1967, puis les choses se calmèrent en raison d'une réorganisation du syndicat.
La fin de la guerre du Vietnam entraîna un effondrement de l'activité de l'usine et de son effectif, qui tomba à 3 000 travailleurs en 1972. Beaucoup de salariés hautement qualifiés éprouvèrent les plus grandes difficultés à retrouver un travail équivalent dans le sud du Connecticut. Avco avait vainement tenté de développer une activité commerciale — vente de moteurs à des firmes privées —, ce qui s'avéra impossible car l'usine était la propriété de l'État fédéral. En 1976, un moteur d'Avco fut choisi pour équiper le nouveau char de bataille M1 Abrams de Chrysler. Dérivé d'un moteur à turbines d'hélicoptère, le moteur AVCO Lycoming AGT-1500 était deux fois moins lourd qu'un moteur diesel pour des performances supérieures. La propriété de l'usine passa de l'US Air Force à l'US Army, qui la renomma « Stratford Army Engine Plant » (Usine de moteurs de l'Armée de Stratford). La fabrication de ces moteurs commença en 1978 et plus de 11 000 AGT-1500 furent fabriqués au total.
L'usine Avco connut alors une nouvelle période d'intense activité jusque vers 1990-1991, produisant 120 moteurs de char par mois. Certains mois, les objectifs de production n'étaient pas atteints et l'Armée menaçait de faire appel à un second fournisseur pour ces moteurs, d'où un actif lobbying des représentants du Connecticut au Congrès et du syndicat. L'effectif de l'usine atteignit 7 000 personnes au milieu des années 1980, mais les licenciements commencèrent en 1992, et devinrent massifs en 1994.
En 1984, la firme Avco Corporation, exploitant de l'usine, avait été achetée par Textron Corporation, de Providence (Rhode Island). Rien ne changea dans l'usine jusqu'en 1994. Textron céda la fabrication des moteurs – pas l'usine – à Allied Signal Engines, une division de Allied Signal Inc., un constructeur de petits moteurs d'avions de Phoenix (Arizona). Cette firme tenta de transférer la production réalisée à Stratford vers son usine de Phoenix. Cette opération fut rejetée par les experts militaires, qui la jugèrent beaucoup trop coûteuse et le Base Realignment and Closure de 1995 décida de la fermeture du site. Finalement, après une dernière vague massive de licenciements en 1997, l'usine fut fermée le 30 septembre 1998.
La Stratford Army Engine Plant (SAEP) s'étendait à l'extrême sud de la ville de Stratford, sur un site de 47,3 hectares, au bord du fleuve Housatonic. Au moment de sa fermeture, le site comportait 58 bâtiments couvrant une surface de 158 000 m2 de bureaux, ateliers, entrepôts, etc.