Soit E un
-espace vectoriel. Nous utilisons la notation usuelle L(E) pour désigner l'ensemble des endomorphismes et K[X] désigne ici l'anneau des polynômes formels. Soit
un endomorphisme et
un polynôme.
On définit
par P[u] = a0IdE + a1u + a2u2 + ... + apup. C'est la définition naturelle d'un polynôme d'endomorphisme.
Si on note u0 = Id on peut écrire, pour
,
.
L'anneau des polynômes peut être considéré comme un espace vectoriel sur
. Avec ses trois opérations : addition, produit scalaire et multiplication, il forme une structure que l'on appelle une algèbre. Il en est de même pour les endomorphismes munis de la composition comme multiplication. À la différence des endomorphismes, les polynômes forment une algèbre commutative. Il n'est pas surprenant que l'application naturelle de l'espace des polynômes dans l'ensemble des endomorphismes soit un morphisme d'algèbre. Un morphisme d'algèbre est une application respectant les trois opérations de l'algèbre, l'addition, le produit scalaire et la multiplication.
L'application ψu, qui à P associe P[u] est un morphisme de
-algèbres de
dans L(E).
L'image de ψu est une sous-algèbre abélienne de L(E).
Cela signifie que deux polynômes du même endomorphisme commutent entre eux. Cette propriété provient du fait que la commutativité est toujours transportée par un morphisme.
Si x est un vecteur propre de valeur propreλ, alors il est aussi vecteur propre de l'endomorphisme P[u] avec la valeur propre P(λ). En particulier si P[u] = 0 alors les valeurs propres sont parmi les racines de P. Cependant la réciproque n'est pas vraie, toutes les racines de P ne sont pas forcément valeurs propres de u.
L'application
est un morphisme de
-algèbres de
dans L(E).
Ce qui signifie ici que : (λP + μQ)[u] = λP[u] + μQ[u] et
.
Pour prouver la propriété pour le produit on commence par prouver que
puis on utilise la linéarité.
Si x est un vecteur propre de valeur propre λ, alors il est aussi vecteur propre de l'endomorphisme P[u] avec la valeur propre P(λ).
Si x est un vecteur propre de u pour la valeur propre λ alors uk(x) = λk.x donc
.
Polynôme minimal
Le polynôme minimal cache une décomposition en somme directe de sous-espaces stables. Cette décomposition est au cœur de la compréhension de la structure d'un endomorphisme. Elle correspond à la décomposition du polynôme en facteurs premiers entre eux. Elle permet d'établir des théorèmes parmi les plus importants de l'algèbre linéaire pure. Elle nous renseigne sur l'existence d'un vecteur dont le polynôme minimal est le polynôme minimal de l'endomorphisme, elle donne un majorant du degré de ce polynôme, elle permet de trouver des réductions puissantes dans le cas ou le polynôme est scindé, elle donne une condition nécessaire et suffisante de diagonalisation. Enfin elle permet de démontrer le théorème de Cayley-Hamilton.
Décomposition en somme directe de sous-espaces stables
Soit (χi) une décomposition en facteurs tous de degré supérieur à 1 et premiers deux à deux du polynôme minimal χ d'un endomorphisme u. Alors la suite des noyaux (kerχi[u]) est une décomposition en somme directe de l'espace E de sous-espaces stables par l'endomorphisme.
Il existe un vecteur x de E dont le polynôme annulateur est égal au polynôme annulateur de l'endomorphisme.
Le polynôme minimal est de degré inférieur ou égal à n.
Soit
une décomposition en facteurs tous de degré supérieur à 1 et premier deux à deux du polynôme minimal d'un endomorphisme u. Alors la suite des noyaux (kerχi[u]) est une décomposition en somme directe de l'espace E de sous-espaces stables par l'endomorphisme.
C'est une application de la .
Il existe un vecteur x de E dont le polynôme annulateur est égal au polynôme annulateur de l'endomorphisme.
Quand x varie alors χx est un diviseur du polynôme minimal χ ; comme χ admet un nombre fini de diviseurs normalisés, les polynômes χx décrivent un ensemble fini : (Q1,Q2,...,Qr).
Si on note Fi = ker(Qi[u]) on a alors
car pour tout élément x non nul de E on a
.
On sait qu'une réunion finie de sous-espaces stricts de E ne peut être égale à E. Donc il existe i tel que E = Fi : on a alors ker(Qi[u]) = E donc
est un multiple de χ donc
.
Le polynôme minimal est de degré inférieur ou égal à la dimension de l'espace E.
La proposition précédente montre qu'il existe un vecteur x0 dont le polynôme minimal est égal au polynôme minimal de l'endomorphisme. La famille
est toujours lié car elle contient plus de vecteurs que la dimension de l'espace. Cela démontre l'existence d'un polynôme annulateur de degré n.
Cas où le polynôme minimal est scindé
Dire que le polynôme minimal est scindé signifie qu'il s'exprime comme produit de puissances de polynômes du premier degré. Si l'on note χ le polynôme minimal, cela signifie que:
Si l'on note Ei le noyau de l'endomophisme
, alors le paragraphe précédent nous indique que la suite (Ei) forme une somme directe de l'espace E de sous-espaces non réduits à 0 et stables par l'endomorphisme. On appelle ces sous-espaces les sous-espaces caractéristiques. Cette approche permet d'effectuer la première étape dans la réduction des endomorphismes en dimension finie et si le polynôme minimal est scindé. Les deux principales propriétés de cette approche sont les suivantes:
L'espace E est somme directe de ses sous-espaces caractéristiques.
L'endomorphisme u est la somme d'un endomorphisme diagonalisable et d'un endomorphisme nilpotent. Les deux endomorphismes commutent entre eux.
Les démonstrations et l'analyse complète se trouvent dans l'article Réduction d'endomorphisme au paragraphe sur la décomposition de Dunford.
Diagonalisabilité
L'utilisation des polynômes fournit un critère spectaculaire de diagonalisabilité. Ce critère est un cas particulier du paragraphe précédent.
Un endomorphisme u est diagonalisable si et seulement son polynôme minimal est scindé sur K et à racines simples.
C'est en effet un cas particulier du cas précédent. Si les racines sont simples alors la composante nilpotente est nulle et le résultat est démontré. Si l'endomorphisme est diagonalisable alors les espaces propres se confondent avec les espaces caractéristiques et toute valeur propre est racine simple du polynôme minimal.
Il existe un polynôme important associé à un endomorphisme. C'est celui défini par le déterminant de l'application u − λId. On l'appelle polynôme caractéristique. Il est important car ses racines sont les valeurs propres de l'endomorphisme associé. Cette propriété est partagée par le polynôme minimal. Elle amène donc la question : quel est le rapport entre polynôme caractéristique et polynôme minimal ? La réponse est le théorème de Cayley-Hamilton :
Théorème de Cayley-Hamilton — Le polynôme minimal divise le polynôme caractéristique. De plus le polynôme minimal et le polynôme caractéristique ont les mêmes facteurs irréductibles.
Pour s'en rendre compte, il est plus simple de plonger le corps dans sa clôture algébrique. Dans ce contexte, il est possible d'appliquer une Réduction de Jordan à l'endomorphisme. Sa représentation matricielle est alors triangulaire avec comme valeurs diagonales les valeurs propres. Leurs ordre de multiplicité dans le polynôme caractéristique est la dimension de l'espace caractéristique de valeur propre associée. Cette multiplicité est toujours supérieure à celle du polynôme minimal qui a pour multiplicité l'ordre de l'application nilpotente associée.
Il existe une démonstration qui ne fait pas appel à la construction des polynômes d'endomorphismes, elle est donnée dans l'article Théorème de Cayley-Hamilton.