Rudi Dutschke, de son vrai nom Alfred Willi Rudolf Dutschke (né à Schönefeld près de Luckenwalde le 7 mars 1940, mort à Aarhus, Danemark le 24 décembre 1979) était un sociologue marxiste allemand. Il est le représentant le plus connu du mouvement étudiant ouest-allemand en 1968. Il fit partie ensuite des membres fondateurs du parti "Les Verts" (Die Grünen) en Allemagne. Marié et père de trois enfants, il est mort en 1979 des séquelles neurologiques de l'attentat dont il fut la cible en 1968.
Rudi Dutschke, quatrième fils d'un employé des postes passe son enfance en RDA. Il est actif dans le mouvement paroissial des jeunes de Luckenwalde, où il acquiert une formation « religieuse-socialiste ». Sportif de haut niveau (décathlon) il veut d'abord devenir journaliste sportif et entre donc dans la FDJ (organisation de jeunesse communiste) en 1956.
L'insurrection de Budapest en 1956 est pour Dutschke l'occasion de se forger une conscience politique. Il prend le parti d'un socialisme démocratique, qui serait équidistant de l'URSS et des États-Unis d'Amérique. Il s'affronte alors au SED (parti communiste est-allemand) et constate, malgré le discours officiel antifasciste de l'idéologie d'État, l'omniprésence des vieilles structures et mentalités, à l'Est comme à l'Ouest.
Il s'engage publiquement en 1957 contre la militarisation de la société est-allemande et pour la liberté de se déplacer. Il refuse de faire le service militaire (jadis volontaire) dans la NVA (armée nationale populaire) et incite d'autres à faire de même. Il passe l'Abitur (baccalauréat) en 1958. À cause de son activisme anti-militariste, l'administration de la RDA ne le laisse pas faire les études sportives qu'il avait souhaitées. Il fait alors une formation commerciale dans une coopérative industrielle de Lückenwald.
Dutschke passe alors régulièrement à Berlin-Ouest, où il repasse l'Abitur de la RFA au Askanisches Gymnasium de Berlin. Parallèlement, il écrit des reportages sportifs, entre autres pour la B.Z. des éditions d'Axel Springer (Axel-Springer-Verlag). En 1961, juste avant la construction du mur, il déménage à Berlin-Ouest pour étudier la sociologie, la philosophie et l'histoire à la Freie Universität. Il y reste inscrit jusqu'à obtenir un doctorat en 1973.
Dutschke commence par étudier l'existentialisme de Heidegger et de Sartre, mais il s'intéresse rapidement aussi au marxisme et à l'histoire du mouvement ouvrier. Il lit les premiers écrits de Karl Marx, des œuvres des philosophes d'histoire marxistes Georg Lukács et Ernst Bloch, ainsi que des auteurs appartenant à la théorie critique (Theodor W. Adorno, Max Horkheimer, Herbert Marcuse). Inspiré par la rencontre de l'étudiante américaine en théologie Gretchen Kloth – qui deviendra sa femme –, il lit aussi des œuvres théologiques comme celles de Karl Barth et Paul Tillich. Son socialisme d'inspiration chrétienne se transforme alors en un socialisme d'inspiration marxiste. Néanmoins, il continue d'insister sur le libre arbitre de l'individu face aux déterminismes sociaux.
Au cours de ses études, Dutschke s'engage activement dans la politique. Il édite la revue Anschlag (« affiche », ou bien : « attentat »), dont les thèmes principaux sont la critique du capitalisme, les problèmes du tiers monde et les nouvelles formes d'organisation politique. À cause de son orientation dite « actionniste », cette revue passait pour «anarchiste» au sein du Mouvement des étudiants allemands socialistes (Sozialistischer Deutscher Studentenbund (SDS)).
En 1962, Dutschke fonde avec Bernd Rabehl une section berlinoise de la Subversive Aktion de Munich, qui se revendique de l'Internationale situationniste. En 1964, cette section est intégrée dans la section berlinoise du SDS. Cette même année, Dutschke est élu membre du Conseil politique du SDS, dont il marquera – avec d'autres – l'orientation politique.
À partir de 1966, Dutschke organise au sein du SDS de nombreuses manifestations contre la réforme universitaire, contre la grande coalition (CDU/SPD), contre les lois d'état d'urgence (Notstandsgesetze) et contre la guerre du Viêt Nam. En plein essor, le mouvement étudiant liait alors ces sujets à la critique du refoulement du passé national-socialiste, et se concevait comme une partie de l'opposition extra-parlementaire (ausserparlamentarische Opposition, APO).
Le 23 mars 1966, il épouse Gretchen Klotz. En mai, il contribue à la préparation du congrès fédéral Viêt Nam à Francfort-sur-le-Main au cours duquel sont intervenus des professeurs de la Nouvelle Gauche (entre autres Herbert Marcuse, Oskar Negt) et même de la gauche traditionnelle en dehors du SPD (Franck Deppe, Wolfgang Abendroth). Cette année-là, Dutschke voulait passer un doctorat avec un travail sur Lukács sous le tutorat du professeur Hans-Joachim Lieber, le recteur de l'époque de l'université libre de Berlin. Mais son contrat d'assistant n'est pas prolongé et Dutschke met sa carrière académique de côté.
Le 2 juin 1967, l'étudiant Benno Ohnesorg est tué par Karl-Heinz Kurras, un policier de Berlin-Ouest qui s'est révélé être un espion de la Stasi est-allemande, lors d'une manifestation contre le Chah d'Iran : Dutschke et le SDS appellent au niveau fédéral à des sit-in pour exiger l'éclaircissement des circonstances de décès. En outre, ils demandent le retrait des responsables de ces actes de répression et l'expropriation de l'éditeur Axel Springer dont ils rendent les écrits corresponsables de ces bavures policières. Cette vision des choses est pour la première fois reprise par des médias établis comme le Spiegel, le Frankfurter Rundschau et Die Zeit. Toutefois peu de professeurs, sauf son ami Helmut Gollwitzer se solidarisent avec Dutschke.
Le 11 avril 1968, Dutschke est interpellé devant le bureau du SDS par un jeune manœuvre, Josef Bachmann, qui lui tire dessus trois fois. Les blessures au cerveau sont graves et Dutschke ne survit que difficilement après une opération de plusieurs heures. Aujourd'hui, une plaque commémorative est visible au numéro 141 du Kurfürstendamm, le lieu de l'attentat. Les motivations de Bachmann n'ont jamais été tout à fait éclaircies ; on a trouvé sur lui une photo de Dutschke extraite d'un journal ainsi qu'un exemplaire du Nationalzeitung et on a donc supposé que cet attentat avait été commandité par l'extrême droite.
Beaucoup d'étudiants rendirent responsable la presse d'Axel Springer qui depuis des mois s'acharnait contre Dutschke et les protestations étudiantes.
Le Bild-Zeitung, par exemple, avait depuis plusieurs jours appelé à la ferme répression des agitateurs. Lors des manifestations qui ont suivi, des incidents très violents ont éclaté, les plus violents de l'histoire de la République fédérale d'Allemagne, au cours desquels le bâtiment de l'éditeur Axel Springer a été attaqué et les camions de livraison de ses journaux ont été mis à feu.
Dutschke a dû suivre une thérapie de plusieurs mois pour retrouver l'usage de la parole et de la mémoire. Après avoir récupéré ses moyens, il a séjourné à partir de 1969 en Suisse, puis en Italie et au Royaume-Uni. Début 1969, une expulsion l'a contraint de se réfugier, lui et sa famille, en Irlande. Toutefois, il a pu rapidement retourner au Royaume-Uni, où il a commencé en 1970 des études à l'université de Cambridge. Lors du changement de gouvernement britannique en 1970, son permis de séjour n'a pas été renouvelé. Dutschke est donc parti au Danemark, où il a occupé un emploi de conférencier à l'université d'Aarhus.
Bachmann a été condamné à 7 ans de prison pour tentative de meurtre. Dutschke a pris contact avec son agresseur par écrit pour lui expliquer qu'il n'avait pas de ressentiment personnel à son égard et pour tenter de le convaincre de la justesse d'un engagement socialiste. Bachmann s'est suicidé en prison le 24 février 1970. Dutschke a regretté de ne pas lui avoir écrit plus fréquemment : « la lutte pour la libération vient juste de commencer ; malheureusement, Bachmann ne pourra plus y participer… »
À partir de 1972, Dutschke parcourt à nouveau la République fédérale. Il cherche alors à multiplier les rencontres avec des syndicalistes et des démocrates, dont Gustav Heinemann dont le but est d'œuvrer à la réunification d'une Allemagne antimilitariste et non alignée. Le 14 janvier 1973, il prononce, pour la première fois après l'attentat, un discours public lors d'une manifestation contre la guerre du Viêt Nam à Bonn. En juillet 1973, il se rend plusieurs fois à Berlin-Est et rend visite à Wolf Biermann, avec lequel il est lié d'amitié. Il prend contact avec d'autres dissidents du SED comme Robert Havemann et plus tard Rudolf Bahro. En 1974, il publie sa thèse et bénéficie pendant une année d'une bourse de la Fondation de la recherche allemande (Deutschen Forschungsgemeinschaft) (DFG) à l'Université libre de Berlin. En février, Dutschke dirige un débat public dont le thème est Soljenitsyne et la gauche, au cours duquel il se prononce pour les droits de l'homme en Union soviétique et dans le bloc des pays de l'Est. Depuis 1976, il était membre du Bureau socialiste un groupe de gauche non dogmatique, né de la décomposition du SDS. Dans ce cadre il milite pour la construction d'un parti qui unirait les initiatives vertes-alternatives et les groupes de gauche à l'exclusion des communistes. En 1977, il collabore à différents journaux de gauche et fait des conférences à l'Université de Groningen aux Pays-Bas. Il entreprend des voyages pendant lesquels il expose ses thèses sur le mouvement étudiant, participe au tribunal international Bertrand Russell contre l' interdiction professionnelle (BerufsVerbot) à l'Est et à des manifestations monstres du mouvement antinucléaire à Wyhl am Kaiserstuhl, Bonn et Brokdorf. Lorsque Bahro est condamné à huit ans de détention en RDA, Dutschke organise en novembre 1978, un congrès de solidarité à Berlin Ouest. En 1979, il est sur la liste des Verts à Brême et participe activement à la campagne électorale. Après l'entrée des Verts dans le conseil municipal de Brème, il est élu délégué au Congrès fondateur du Parti des Verts.
La veille de Nöel de l'année 1979, Dutschke se noie chez lui dans sa baignoire, lors d'une crise d'épilepsie, séquelle de l'attentat. Il est enterré solennellement le 3 janvier 1980 au cimetière Saint-Anne de Berlin-Dahlem. Environ 6 000 personnes accompagnent le cortège ; Helmut Gollwitzer prononce un discours. Trois mois après naît son fils Rudi Marek.