La prise en charge de patients potentiellement traumatisés médullaires nécessite sur les lieux mêmes de l'accident une approche rigoureuse. Le contexte de polytraumatisme complique fréquemment la démarche diagnostique et thérapeutique. La prise en charge médicalisée précoce, dès la période pré hospitalière (rôle des SAMU/SMUR), a fait faire de grands progrès en termes de survie et de prévention de l'aggravation neurologique.
Il est facile de méconnaître une atteinte rachidienne : Bohlman rapportait sur une série de 300 fractures du rachis cervical, 100 cas qui n'avaient pas été diagnostiqués initialement cliniquement et/ou radiologiquement, avec des retards de diagnostic s'échelonnant d'un jour à un an. Ringenberg relève l'absence de diagnostic initial chez 7% de ses hospitalisés pour traumatisme du rachis cervical.
Un certain nombre de lésions rachidiennes peuvent se déplacer secondairement, du fait d'une prise en charge incorrecte.
Cette possibilité est prise en compte à l'intervention du SAMU. La règle consiste donc à considérer tout polytraumatisé et tout comateux comme porteur d'une lésion instable du rachis jusqu'à preuve contraire, et d'agir en conséquence dès la prise en charge. Ceci implique des règles précises pour tout blessé suspect :
En l'absence de lésion associée mettant en jeu le pronostic vital, la gravité des traumatismes rachidiens est liée à l'atteinte médullaire. L'examen de la motricité volontaire et de la sensibilité permet de définir le niveau médullaire des lésions. Il a été codifié par l'American Spinal Injury Association, ce qui permet d'établir un score moteur et un score sensitif dit score ASIA.
Le score moteur est fondé sur l'examen de 10 muscles-clés testés à droite et à gauche. Pour chaque mouvement la force est mesurée et affectée d'un coefficient croissant de 0 en l'absence de contraction musculaire, à 5 lorsqu'il existe une contraction entraînant un mouvement dans toute l'amplitude articulaire contre une résistance complète. Le score total maximal est donc de 100 (50 à droite et 50 à gauche).
Action musculaire | Localisation de la lésion |
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Flexion du coude | C5 |
Extension du poignet | C6 |
Extension du coude | C7 |
Flexion de de la troisième phalange du majeur | C8 |
Abduction de l'auriculaire | D1 |
Flexion de la hanche | L2 |
Extension du genou | L3 |
Flexion dorsale du pied | L4 |
Extension du gros orteil | L5 |
Flexion plantaire | S1 |
Le score sensitif s'évalue après étude de la sensibilité au tact et à la piqûre d'un point clé dans chacun des 28 dermatomes et de chaque côté. L'absence de sensibilité est cotée : 0, l'hypo ou l'hyperesthésie : 1 et la sensibilité normale : 2. Il est préférable de commencer l'examen par le toucher et par le bas. Rappelons que le niveau supérieur de l'atteinte neurologique se définit en France par le premier métamère atteint et dans les pays anglophones par le dernier métamère sain. Ainsi une paraplégie de niveau T10 en France est de niveau T9 dans les pays Anglo-saxons. Il y a une tendance récente à utiliser la nomenclature anglo-saxonne pour des raisons de comparaison des résultats (nos tétraplégiques C7 n'ont pas de triceps alors que les tétraplégiques C7 américains en ont un ...)
Enfin, l'examen cherche à préciser le caractère complet ou incomplet de l'atteinte. Le déficit peut être complet ou partiel, tant sur le plan sensitif que moteur. La persistance d'une sensibilité, même dans une zone très limitée, ou d'une activité musculaire au-dessous du niveau lésionnel, surtout au niveau des métamères sacrés (sensibilité de la marge anale, sensation anale profonde, contraction volontaire du sphincter externe) signe par définition le caractère incomplet de l'atteinte neurologique. Il existe souvent une dissociation entre les niveaux lésionnels sensitifs et moteurs, en particulier, dans les atteintes complètes, le niveau sensitif est décalé vers le bas par rapport au niveau moteur.
L'étude précise de la sensibilité, de la motricité, des réflexes en sous lésionnel, ainsi que des sphincters, est fondamentale. On peut alors classer l'atteinte neurologique selon l'échelle de Frankel modifiée.
Stade de Frankel | Résultats de l'examen |
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A: Atteinte neurologique complète. | Aucune fonction motrice ou sensorielle n'est conservée en sous-lésionnel, en particulier dans les segments S4-S5. |
B: Atteinte neurologique incomplète. | Seule la fonction sensorielle est conservée au-dessous du niveau neurologique, parfois dans les segments sacrés S4-S5. |
C: Atteinte neurologique incomplète. | La fonction motrice est conservée en dessous du niveau neurologique et la majorité des muscles clés en dessous de ce niveau ont un score moteur inférieur à 3. |
D: Atteinte neurologique incomplète. | La fonction motrice est conservée en dessous du niveau neurologique et la majorité des muscles clés ont un score moteur égal ou supérieur à 3. |
E: Les fonctions sensorielles et motrices sont normales. |
La valeur prédictive, sur le pronostic fonctionnel, du caractère complet ou non de l'atteinte nerveuse est considérable. Une atteinte neurologique est parfois associée dans les premières heures qui suivent le traumatisme à une phase initiale de «choc spinal» qui se caractérise par une abolition de tous les réflexes au-dessous de la lésion médullaire. Cet état est transitoire et disparaît avec l'installation de la phase d'automatisme médullaire. On ne peut affirmer avec certitude le caractère complet de l'atteinte médullaire qu'après résolution du choc spinal, habituellement après quelques jours.
Le caractère incomplet d'une atteinte médullaire permet de classer celle-ci parmi l'un des différents syndromes cliniques incomplets, qui donne une première idée du potentiel de récupération fonctionnelle. Ces syndromes cliniques sont par définition :
La complexité des examens rend leur réalisation difficile sur les lieux de l'accident ; l'étude GK11-FLAMME (étude multicentrique française non publiée) en a cependant montré la faisabilité.