Ce que nous voulons être, ce que nous sommes sans doute un peu aussi, trouve sa meilleure expression dans le dialogue de la profession religieuse du Chanoine régulier prémontré.
Ce dialogue s'engage entre l’Abbé, élu et reçu comme père de l’Eglise Notre –Dame de Leffe et le frère qui se donne à elle.
- Que cherches-tu? - La miséricorde de Dieu et la vôtre, Père, ainsi que la communion de cette Eglise. - Fils bien-aimé, par le Baptême tu es déjà mort au péché et consacré au Seigneur. Veux tu par la profession religieuse lui être plus étroitement uni ? - Oui, je le veux - Que celui qui a commencé en toi cette oeuvre de bien l’achève lui-même jusqu’au jour du Christ-Jésus. - Amen
Moi, frère N, je m'offre et me livre à l’Église de N. Je promets la conversion de mes mœurs et la vie commune, principalement dans la pauvreté, le célibat consacré, l'obéissance selon l'Evangile du Christ et l'Institution apostolique, selon la Règle de saint Augustin et les Constitutions de l'Ordre de Prémontré, devant N., prélat de cette Église, et mes frères. |
Nous ne sommes pas, loin de là, toute l’Église. Mais nous avons reçu d'elle mission de rappeler ce qui la vérifie comme Église devant Dieu et devant les hommes : la conversion à l’Évangile et la communion entre frères. Afin de vivre de jour en jour plus intensément la consécration et la communion fraternelle propres à la grâce du baptême, nous nous associons librement à une communauté déterminée. Cette « profession » exprime le don de nous-mêmes: Par une même impulsion du cœur, nous nous offrons à Dieu et à cette communauté qui est au service du peuple de Dieu. La profession ne nous replie pas sur nous mêmes mais nous entraîne à chercher le Royaume de Dieu dans les liens de l'amitié avec les autres chrétiens.
L’Eglise Notre-Dame de Leffe n'est-elle pas d'abord, pour nous qui vivons à Dinant, l’Église diocésaine de Namur avec son évêque, son collège de prêtres et son peuple? L’Eglise du Grec Ecclesia, est une assemblée convoquée par Dieu. C’est un groupe d’où rayonne un ensemble d’activités, intellectuelles, caritatives, hospitalière qui en font la vie. Un diocèse est la forme parfaite de l’Ecclesia. Il est en effet une portion du peuple de Dieu confiée à un évêque, pour qu’avec l’aide de son presbyterium, il en soit le pasteur ; ainsi, le diocèse, lié à son pasteur et par lui rassemblé dans le Saint Esprit grâce à l’Evangile et à l’Eucharistie, constitue une Eglise particulière en laquelle est vraiment présente et agissante l’Eglise du Christ, une, sainte, catholique et apostolique. L’Eglise particulière a donc son fondement à la fois dans l’Eucharistie et dans le ministère épiscopal qui remonte aux Apôtres.
LA FORMATION |
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Après un temps de postulat, d’observation, celui qui désire devenir Prémontré entre au noviciat où il restera deux ans. Il y apprendra à partager la vie de la communauté et à connaître l’histoire et la tradition spirituelle de l’Ordre. S’il persévère et s’il est accepté, il fera alors profession de chasteté pauvreté et obéissance pour une période de trois ans. Au terme de ces trois ans, il peut s’en aller librement ou renouveler ses vœux pour un temps, ou, s’il est accepté par le P. abbé et son conseil, il fera sa profession solennelle ou perpétuelle. Parallèlement, après son noviciat il commence des études de philosophie (2 ans) et de théologie (au moins 3 ans). Il pourra recevoir ensuite au jugement du P. Abbé, les ordinations diaconale et sacerdotale. |
La formule de profession canoniale nous vient pourtant d’une tradition très ancienne. Notre consécration à l’Église de Leffe n'exclut pas la communion avec l’Eglise de Namur où les autres diocèses dans lesquels des chanoines de Leffe exercent leur sacerdoce ministériel. Loin de l'exclure, elle lui donne corps. Certes, il n'y a d’Église que celle de l'évêque en communion avec tout le collège épiscopal. Mais déjà le deuxième Concile du Vatican affirme que «L’Église du Christ est vraiment présente dans tous les légitimes groupements de fidèles, qui, unis à leurs pasteurs, reçoivent, dans le Nouveau Testament, eux aussi le nom d'Églises. Elles sont en effet, chacune sur leur territoire, le peuple nouveau appelé par Dieu dans l'Esprit-Saint et dans une grande assurance. En elles, les fidèles sont rassemblés par la prédication de l'Évangile du Christ, le Mystère de la Cène du Seigneur est célébré pour que par le moyen de la Chair et du Sang du Seigneur, se resserre en un seul Corps toute fraternité". Chaque fois que la communauté de l'autel se réalise en dépendance du ministère sacré de l'évêque, se manifeste le symbole de cette charité et "de cette unité du Corps mystique sans laquelle le salut n'est pas possible". Dans ces communautés si petites et pauvres qu'elles puissent être souvent, si dispersées, le Christ est présent par la vertu de ce qui constitue l'Eglise, une, sainte, catholique et apostolique. Car "la participation au Corps et au Sang du Christ n'a pas d'autre effet que de nous transformer en ce que nous recevons". » (Concile Vatican II, Constitution dogmatique Lumen Gentium n°26). Ce qui fait que ces assemblées sont appelées "Églises" et rendent présentes l’Église de l’évêque, c'est que le mystère du Christ y vit. C'est à ce titre que la profession du chanoine régulier prend un relief particulier. Déjà l'évoque la formule si souvent reprise dans les textes canoniaux, "à l'instar de la primitive. Église", qui nous ramène à la première. communauté des Actes, née dans la Résurrection du Christ et la Pentecôte. Et aussi, ces autres formules qu'aime Norbert: "vie évangélique", "institution évangélique", qui pour lui rappellent le groupe des douze autour de Jésus durant sa vie publique. En tout cela, il s'agit bien du Christ rendu présent selon sa promesse par une communauté qui s'assemble en son Nom : « Quand deux ou trois s’unissent en mon Nom, je suis au milieu d’eux ».
Mais plus que la simple référence à une formule, la prière, la vie commune, le partage des biens, la mission auprès d'un peuple y sont vécus par des frères qui s’engagent toute une vie durant à donner corps en un endroit précis, au mystère de l’Église du Christ. Leur charisme est d'ordre sacramentel: signifier visiblement et réellement l'Église de l'évêque. On comprend aussi que l'autel et l'église de pierres ne sont pas pour eux des symboles du passé. Notre Profession peut ainsi constituer une force de communion potentiellement sans limites. Elle se vérifie chaque jour dans l'expérience communautaire de frères divers par l'âge, la culture, le milieu, les options pastorales, qui essaient de construire entre eux l'unité. « Tout d'abord, puisque vous êtes réunis en communauté, habitez d'un seul cœur dans la maison, n'ayez qu'un seul coeur et qu'une âme en Dieu. » (Début de la règle de saint Augustin). La spiritualité canoniale, c’est donc l’Eglise vécue. Le chanoine ne privilégie pas un aspect où une école spirituelle dans l’Eglise. Il privilégie l’Eglise en ce qu’elle est et fait. Dans son être et son agir l’Eglise est trinitaire. L’Eglise vit et existe dans la Trinité depuis toujours et pour toujours. Sacrement de l’amour trinitaire, l’Eglise est un peuple dont tous les membres sont appelés à l’intime communion avec Dieu qu’on appelle sainteté. Le mot Eglise a été utilisé depuis le moyen âge pour désigner les monastères de chanoines comme des entités véritables et vivantes. Le chanoine régulier se définit d’abord par son appartenance à une église, lieu de vie et de sainteté en commun qui évolue, dont l’avenir spirituel et matériel reste inconnu mais don la définition et l’existence reposent sur la qualité d’un don. L’offrande du frère à sa communauté demande une conversion qui ne consiste pas d’abord dans la recherche d’un salut personnel mais bien dans le service d’une Eglise. C’est en se mettant humblement au service des autres dans leur cheminement de conversion que le chanoine régulier assure son propre salut.
Mais ici viendra peut-être la question si souvent entendue de nos jours : Authenticité évangélique et institution ecclésiale sont-elles compatible ? Chacun en son temps, Augustin et Norbert ont cherché une réponse à cette question qui ne renie rien de la volonté totale de conversion à la "Vie apostolique" et de l'appartenance à une Église locale. Norbert interpelle ou même inquiète les prêtres et les évêques de son temps. Il mettra bien du temps à résoudre ce dilemme, après une longue recherche. Converti, il veut mettre toute sa vie sous le signe de l’Evangile. Ordonné prêtre, il tiendra plus que tout à prêcher la conversion à cette Bonne Nouvelle. Il cherche des compagnons qui accepteraient son. genre de vie. Mais qu'est-il au juste, puisqu'il n'est d'aucun diocèse et ne se rattache à aucun des ordres existants? C'est la question que se posent ses contemporains et que Norbert ne semble pas pressé de solutionner. Constatant qu'après trois ans de sacerdoce, ni sa parole, ni son exemple ne profitaient à ses compatriotes, Norbert décida finalement de quitter son pays. Il résigna entre les mains de l'archevêque Frédéric tous les bénéfices et revenus qu'il tenait de lui. Il vendit de même sa maison, ses propriétés, tous ses droits héréditaires et en distribua le prix aux pauvres. Il ne se réserva que les ornements sacerdotaux et une petite somme d'argent évaluée à dix marcs. Puis en compagnie de deux frères, au Nom du Seigneur, il commença sa vie de pèlerinage. Il pourrait sembler, à la lecture des premiers moments de sa vie de converti, que Norbert refuse tout couvert d'institution au nom d'une fidélité littérale à l'Ecriture. Seule, l'arrivée de compagnons pourra décider de l'avenir et de son rattachement à une Église ou à un ordre religieux. Mais déjà il tient très fermes deux caractéristiques de sa future fondation :
• La conversion totale à la vie évangélique. Il abandonne tous ses biens avant son départ. Il veut porter l'habit de pauvreté des religieux. Il veut être reconnu ainsi. • La volonté de prêcher l’Évangile, qu'il rattache à son ordination et donc à un évêque : c'est entre les mains d'un évêque qu'il résigne ses biens. Il emporte avec lui ses vêtements sacerdotaux. Ce sont là des signes que, même si sa recherche n'a pas encore abouti, il ne veut pas s'envoyer de lui même. Norbert finira par se fixer à Prémontré avec ses premiers compagnons, sans toutefois renoncer à la prédication hors du monastère. Il commence à percevoir danger d'une communauté suspendue uniquement à ses lèvres et à son exemple de vie. C’est pourquoi il les met en garde : Sans organisation, sans règle, sans les coutumes des anciens pères, il est impossible de mener intégralement la vie évangélique et apostolique. C'est alors qu'il va relier sa communauté au grand arbre canonial. Et il le fait par respect pour la profession canoniale qu'avaient déjà faite tous ses frères avant de le suivre. Car il voulait vivre la vie apostolique qu'il avait déjà pratiquée pendant ses prédications et il avait appris que ce saint, à la suite des apôtres, l'avait organisée et mise en honneur. Le jour de Noël 1121, à Prémontré, chacun s'enrôla, par la profession de cette règle, au service de la cité éternelle. Le rattachement des frères à une Église par la profession canoniale a été pour Norbert le critère de décision pour fonder un ordre de chanoines réguliers. De même les liens multiples et durables de Norbert avec les évêques de son temps, tout cela dit assez à quel point Norbert et ses frères ne conçoivent leur recherche de Dieu que dans la communion d'une Église et dans son lien avec l'évêque. Dans nos églises, les prêtres et frères laïcs forment une unique famille religieuse. Si il y a unité de mission, il y a aussi diversité de ministères. Dans l'accomplissement de cette mission, les prêtres et les laïcs, aussi bien ceux qui sont religieux que ceux qui vivent dans le monde, se complètent mutuellement. De là découle, dans l’exercice des formes variées de l'apostolat, la nécessité d'une étroite collaboration entre les frères prêtres de nos églises canoniales, les autres prêtres et les laïcs sous le regard et la coordination de l’évêque. Vivant avec l’évêque dans la communion eucharistique, partageant sa mission au service de l’Evangile, les prêtres de la communauté de chanoines appartiennent certes au clergé du diocèse dans lequel ils résident et travaillent. Mais la relation que l’évêque entretient avec chaque confrère prêtre est médiatisée par la communauté. Au nom de celle-ci, l’abbé accepte les ministères et les attribue à tel ou tel. La mission du chanoine n’est donc jamais individuelle, elle est toujours remplie au nom de la communauté au service de l’Eglise et sous la responsabilité pastorale de l’évêque. Celui-ci n’a toutefois aucun droit à intervenir dans l'ordre interne de nos communautés. Cette « immunité » qui permet une autonomie de fonctionnement interne et une relative liberté dans le choix des missions est appelée exemption. Elle anime notre fidélité au charisme qui nous est propre, lequel est mis au service des diocèses. L'exemption est au service de la communion, elle vise à promouvoir notre zèle et à affermir notre union avec le collège des évêques dans son ensemble. En participant à notre place à la fonction pastorale de son presbytérium nous pouvons ainsi nous enraciner dans une Eglise particulière déterminée tout en restant fidèles au charisme de notre ordre et en demeurant attentifs aux besoins de l’Eglise universelle et de toutes les Eglises particulières qui la composent.
A une époque ou – à tort ou à raison – les fidèles choisissent de plus en plus leur communauté de vie chrétienne et de prière, l’image de la paroisse va devoir inévitablement se dégager de la figure territoriale et administrative un peu trop figée qu’elle a prise au cours des siècle. L’avenir est à une structure ecclésiale basée sur des foyers de ferveur spirituelle, rayonnant au dehors et attirant au-dedans, dans un mouvement de va et vient entre la sainte montagne où resplendit la gloire divine et le monde où elle affleure discrètement. Beaucoup d’hommes et de femmes aujourd’hui cherchent des lieux de silence, de prière, de repos où l’on se sent spirituellement chez soi. N’est ce pas retrouver là retrouver le vrai sens de la paroisse, dont l’étymologie signifie « habitation provisoire et précaire, réservée à l’étranger de passage » ? Le chrétien n’ayant point de patrie ici-bas, la paroisse redeviendrait donc le lieu du « passage », où l’on prend du repos sur la route, mais toujours pour repartir plus loin, vers la terre promise… Une communauté qui ne redistribue pas ce qu’elle reçoit est une communauté qui se meurt. Là aussi le partage des biens – spirituels autant que matériels- est une loi pour le chanoine ! Si la symbiose est réussie entre la communauté et le peuple qui l'entoure, c'est la vie réelle tout entière des uns et des autres, qui devient centrée sur le point focal du culte et de la louange. De là naissent le témoignage de la présence vivante du Christ, et la vie familiale d'une réelle église locale, laboratoire chaleureux et vivant ou se construit la communion.
Cette communion s’élabore de jour en jour à travers notre participation à la vie de l'Église et à ses trois fonctions apostoliques: celle d'écouter et d'annoncer la parole de Dieu (fonction prophétique), celle de célébrer la liturgie et de consacrer l'ordre temporel (fonction sacerdotale), celle d'édifier la communauté dans la charité (fonction royale). Ces trois fonctions qui se complètent mutuellement, nous incombent au nom du Christ pour la vie du monde. Le Christ, Apôtre de notre profession de foi, continue à exercer sa mission ou son triple rôle de Prophète, de Prêtre et de Roi par son Église, à la façon d'un organe vivant. Ce sont ces trois fonctions qui constituent aussi l'apostolat de nos églises et qui font naître les hommes à l'unité d'un seul corps, pour lequel le Christ a donné sa vie.
"Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils" (Hebr. 1,1 2). Le Christ est présent dans nos communautés par sa Parole, à laquelle nous nous attachons par la foi, et qui nous unit plus intimement à lui et à nos frères parce qu’elle est source vitale de communion : les premiers disciples se montraient assidus à l’enseignement des apôtres. Par cette parole de la révélation, Dieu s’adresse aux hommes comme à ses amis ; il s’entretient avec eux pour les inviter à partager sa propre vie. Aussi l’étude de la Parole ne consiste pas tant dans un savoir à acquérir que dans une quête incessante de la sagesse. C'est en écoutant attentivement la parole de Dieu qui nous parvient dans la liturgie et la lecture méditée (lectio divina), que nous nous disposons à discerner l'appel de Dieu dans les événements et les circonstances de la vie, comme aussi dans nos frères, surtout quand ils sont en difficulté. Loyauté, persévérance, docilité, recueillement sont autant de conditions propices à cette écoute de la Parole divine, soit personnellement, soit en commun, soit dans le cadre d'un échange. C’est pourquoi nos maisons se veulent des lieux où le silence peut être observé de bonne grâce, des lieux de contemplation, d'étude assidue et de dialogue fraternel. Chaque chanoine cherche à allier constamment la contemplation au souci de l'Évangile, afin transmettre aux autres la parole de Dieu qu’il a contemplée, d’abord par le témoignage d'une vie authentiquement chrétienne et religieuse mais aussi bien sûr par la prédication de la conversion, par l'éducation et la formation chrétienne.