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Fin de la civilisation et reconstruction
Le roman de John Wyndham répond à un schéma événementiel que le critique Lorris Murail considère comme typique de l'auteur, avec une séquence narrative de type : « catastrophe - éparpillement de la communauté - organisation d'un noyau de résistance - tentative de reconstruction. » L'auteur s'attache à décrire la lente dégradation des mœurs qui fait suite au cataclysme et la recherche d'une nouvelle forme de société. Les règles de vie en communauté sont à redéfinir et c'est dans la recherche de ces nouvelles règles communes que se font jour les conflits les plus dramatiques. Plusieurs visions de la société du futur s'opposent brutalement tout au long du roman :
- Dr Vorhess (pragmatisme) : priorité à la reproduction de l'espèce avec révolution des mœurs (polygamie, amour libre) ;
- Miss Durrant (conservatisme) : priorité au maintien des fondements religieux de la société et aux rôles respectifs de l'homme et de la femme ;
- Coker (idéalisme) : priorité à l'équité et à la justice, respect des droits des aveugles et asservissement des voyants ;
- William Masen (individualisme) : priorités individuelles, création d'une communauté restreinte de type familial fondée sur l'amour ;
- Torrent (autoritarisme) : priorité donnée à l'organisation rationalisée et normée de clans dirigés par des voyants.
Si John Wyndham peint le déclin de la société occidentale organisée, son héros, William Masen, envisage pourtant ce nouveau départ de l'humanité comme une chance inouïe de pouvoir assumer pleinement une vie différente et d'abandonner enfin le rôle de rouage anonyme dans une gigantesque machinerie économique et politique.
L'ambiance psychologique et le contexte géopolitique du roman de John Wyndham sont marqués à la fois par le souvenir douloureux de la Seconde Guerre mondiale et par le climat tendu de la Guerre froide :
- le premier bar dans lequel se réfugie le héros au début du roman s'appelle « Les Bras d'Alamein » et arbore une enseigne à l'effigie du Vicomte de Montgomery. ;
- Josella Playton se souvient de son père qui, pendant les attaques aériennes allemandes, arpentait les rues de Londres pour contempler une dernière fois ses bâtiments et leur dire adieu. ;
- les protagonistes du roman attendent avec impatience les secours venus des États-Unis, reproduisant une attente née de la Seconde Guerre mondiale avec les Américains vécus comme sauveurs de l'Europe : « Elle avait la conviction inébranlable que rien de sérieux ne pouvait arriver à l'Amérique et qu'il suffisait de tenir le coup en attendant que les Américains arrivent et remettent de l'ordre. » ;
- la Russie est considérée comme un pays qui se cache « toujours derrière un rideau de soupçons et de secrets ». ;
- la population du roman vit dans la terreur d'une guerre nucléaire totale depuis le 6 août 1945, date du bombardement atomique de Hiroshima. « Depuis le 6 août 1945, notre marge de survie a diminué de manière terrifiante. » ;
- le cataclysme du roman est considéré par les protagonistes du roman comme le résultat d'une escalade militaire qui ne pouvait conduire qu'à l'anéantissement réciproque des grandes nations.
Le cataclysme décrit dans le roman résulte de la convergence de facteurs militaires, scientifiques et économiques.
Généalogie d'une catastrophe telle qu'elle est reconstituée par le héros du roman, William Masen :
- modification génétique de plantes par les Russes, naissance des triffides ;
- course à l'armement des grandes Nations, mise en orbite des satellites militaires ;
- vente de graines de triffides volées à une Multinationale agro-alimentaire occidentale ;
- crash en mer de l'avion qui transporte les graines volées, dissémination des triffides dans le monde entier ;
- culture intensive des triffides par la Compagnie Arctique et Européenne des Huiles ;
- amélioration de la qualité de l'extrait végétal des triffides en leur laissant leur dard empoissonné ;
- progrès de la recherche sur les triffides : les triffides peuvent communiquer entre eux et font preuve d'intelligence collective ;
- déclenchement d'une guerre par satellites interposés, les radiations émises provoquent des lésions du nerf optique humain ;
- délitement des sociétés humaines, organisation de communautés de survivants, voyants et aveugles ;
- invasion des triffides.
Société britannique et sexualité
À plusieurs reprises, John Wyndham peint un tableau humoristique du rapport de la société anglaise d'après-guerre à la sexualité. Son héroïne, Josella Playton, est l'auteure d'un roman dont le titre seul, Le Sexe est mon aventure, fit à la fois scandale et lui assura un succès retentissant. Le roman se vendit à 100.000 exemplaires, mais fut dans le même temps interdit dans deux grandes bibliothèques londoniennes. John Wyndham se moque du conservatisme prudent de ses contemporains en imaginant l'interdiction d'un roman au contenu anodin sur la foi de son seul titre provocateur.