Les récents travaux traitant du phénomène de membre fantôme fournissent de nombreuses informations sur l’émergence de nouvelles connexions dans le cerveau, ainsi que sur la manière dont les différentes modalités – toucher, proprioception et vision – interagissent entre elles de façon à maintenir une perception correcte de la réalité. Les sensations référées comme chez le patient D.S. sont une preuve de l’existence de réorganisation corticale, mais est-ce un épiphénomène résiduel de l’enfance ou a-t-elle un rôle dans le cerveau adulte ? Hormis cet intérêt pour la plasticité cérébrale, l’étude des membres fantômes va permettre d’explorer la relation entre activité cérébrale et expérience consciente. Comme on l'a vu, il est possible de suivre simultanément les changements perceptifs et cérébraux d’un patient.
On a tenté d’expliquer la douleur fantôme par des sentiments d’hostilité ou de culpabilité à la suite de la modification des relations entre l’amputé et son environnement (Laurence C. Kolb) ou à un syndrome de deuil dû à la difficulté pour la personne amputée d'accepter la perte d’un membre (Parkes, 1972). Cependant, il est majoritairement considéré que les facteurs psychologiques ne peuvent expliquer seuls la douleur fantôme. Les études de Richard A. Sherman et de son équipe ont montré que des facteurs psychologiques comme le stress, l’anxiété ou la dépression pouvaient influencer la douleur fantôme sans en constituer la cause.
Les études de Sherman se rattachent à un courant théorique dans lequel on porte l’attention sur l’extrémité des nerfs du moignon qui envoient toujours des influx nerveux aux parties du cerveau correspondantes au membre avant son amputation (Pons et al., 1991). Deux théories émergent de ces études : la théorie sur la « sensation de crampe » et la théorie sur la « sensation de brûlure » :
D’autres chercheurs, notamment Ronald Melzack et R.W. Davis, proposent des explications différentes : la douleur fantôme ne proviendrait pas de la périphérie, mais du système nerveux central, du cerveau lui-même. Melzack propose d'abord sa théorie du portillon ou « gate control theory » qu’il complète quelques années plus tard par son hypothèse du « Central Biasing Mechanism » ou Mécanisme d’Inhibition Centrale, puis par des explications sur le « Central pain Mechanism » ou Mécanisme de la douleur centrale. Les travaux récents de Melzack nous permettent de comprendre encore mieux le phénomène de la douleur fantôme à partir du concept de neuromatrice qui produirait une neurosignature. La neuromatrice, réseau des neurones, produirait de façon constante un patron caractéristique d’influx indiquant que le corps est intact et propre à la personne : c’est la neurosignature (Melzack, 1992). Une telle matrice fonctionnerait en l’absence d’influx sensoriels provenant de la périphérie du corps, ce qui créerait l’impression d’avoir un membre, même en son absence. Pour Melzack, la neuromatrice, prédéterminée génétiquement, peut aussi évoluer avec l’expérience. C’est pourquoi, l’expérience permettrait d’emmagasiner la mémoire d’une douleur. Cela pourrait expliquer la réapparition fréquente de douleurs pré-amputatoires dans le fantôme.
R.W. Davis (1993) exprime son accord avec Melzack sur l'explication d’un membre fantôme à partir d’une neuromatrice, mais il en pondère l'importance en proposant une théorie basée sur les mécanismes neurophysiologiques qui sont à l’origine de la transmission de la douleur. À la suite de la lésion d’un nerf périphérique, des changements surviendraient dans les neurones de la corne dorsale; ce qui provoquerait la plasticité des neurones de telle sorte qu’ils s’endommagent et commencent à générer des influx douloureux dirigés vers le cerveau. Cependant, si cette théorie permet d’expliquer les douleurs fantômes chez les amputés, il est moins sûr qu’elle puisse expliquer les douleurs fantômes chez les individus souffrant d’une malformation congénitale.
Selon V.S. Ramachandran, l'utilisation permanente du corps nous permet d'en construire une image mentale, l'homuncule sensitif (ainsi que moteur). Cette carte lors d'une amputation de la main, par exemple, ne va pas être détruite mais réorganisée. On sait que dans cet homuncule, les régions liées à la main et au visage sont contiguës. Lorsque la zone de la main ne reçoit plus d'input, du fait d'une amputation, l'homuncule va subir une réorganisation observable par imagerie médicale : la zone cérébrale associée à la main va se faire recouvrir par la zone du visage, ceci aura pour conséquence qu'une stimulation de la joue d'un amputé lui « stimulera » la joue, mais également la main. Ceci explique donc la sensation fantôme, mais qu'en est il de la douleur fantôme ? Il l'explique comme l'absence d'un feedback sur les contractions musculaires. Chez un individu normal, lors d'une contraction musculaire excessive, le cerveau reçoit un influx du membre entraînant le relâchement de la contraction. Or chez l'amputé, du fait de l'absence du membre le retour ne se fait pas, l'individu a donc une sensation de douleur continue. Pour parer à cela, le patient se rééduquera à l'aide d'une « mirror box » dont le principe est somme toute assez simple : créer un feedback visuel basé sur la symétrie du corps. Le patient placera sa main dans la « mirror box » et observera le reflet de cette main en s'imaginant faire des mouvements identiques avec ces deux membres, de ce fait il réorganisera son homuncule en réallouant la zone de la main à celle-ci. Cette rééducation se fait de façon assez rapide, 4 semaines environ par exercices de 10 minutes.
Cependant la théorie de réorganisation ne permet pas d'expliquer les impressions de mouvement ou les cas de fantôme chez des aplasiques qui impliquent une image du corps définie génétiquement qui survivrait comme fantôme; enfin cette théorie n'explique pas pourquoi le fantôme occupe la même place que le membre avant amputation.
Pour expliquer ce genre de phénomène une nouvelle hypothèse a été développée. Sachant que les sorties du cortex moteur sont cohérentes, il doit y avoir la possibilité de retrouver une représentation sensorielle stable rapidement, même si pour cela on doit inhiber certaines variations présentes sur les diverses entrées. Le cerveau fait donc le choix de considérer que lorsque plusieurs entrées concourent à un même résultat, alors une partie des variations peuvent être considérées sans perte comme du bruit (Ramachandran, 1995), l'explication tient au fait que ces bruits sont très rarement porteur d'informations similaires, donc utiles, alors que l'occurrence de considération par le patient que c'est bruit est courante (du fait des bruits intrinsèque au système nerveux); le cerveau tire donc avantages de ce phénomène. Rapporté au membre fantôme ce schéma suggère que la sensation fantôme peut dépendre de l'intégration d'au moins 5 sources différentes :
Si une seule de ces intégrations est divergente elle sera bloquée, mais si plusieurs sont intégrées cela peut entraîner des sensations de membres surnuméraires (Ramachandran et al., 1996).
Certains auteurs, dont le théosophiste Arthur R. Powell (1925), en dehors du contexte scientifique, et qui adhérent à des doctrines ésotériques sur les corps subtils, soutiennent que le phénomène du membre fantôme s'explique par l'existence d'un corps éthérique ou force vitale, distincte du corps physique. Par exemple, à lire Valéry Sanfo (Les corps subtils, De Vecchi, trad., 2008, p. 33-37), "la partie éthérée se dissout plus lentement que la partie physique,... la partie dense du corps n'existe plus mais la partie éthérée est encore présente,... le halo d'énergie appelé 'aura vital' qui entoure le corps physique demeure complet même si une partie du corps disparaît."