Avant de voir dans les chapitres suivants en détail la réglementation de l'ordonnance, il est intéressant de retracer brièvement son histoire . Celle-ci aurait pu être un sujet d'article à part entière tant elle est difficile à appréhender à cause du peu d'écrits la concernant . Nous nous sommes donc limités à l'ordonnance en Occident et particulièrement en France .
Les informations contenues dans ce chapitre émanent de quatre sources documentaires elles-mêmes ayant pour principale bibliographie la revue d'histoire de la pharmacie .
Le mot «ordonnance» apparaît au XII°siècle. Il est initialement utilisé pour désigner les textes législatifs émanant du roi. Par la suite son emploi s'est étendu aux décisions policières, judiciaires et enfin médicales.
Aujourd'hui, dans le domaine médical, c'est l'écrit qui contient les prescriptions du médecin . «Prescription» (du latin praescriptio «écrire en tête») est, au XVI° siècle, un ordre expressément formulé et ce n'est que vers 1750 qu'il est couramment utilisé pour désigner les recommandations qu'un médecin peut faire à son malade verbalement ou par écrit. En anglais, prescription désigne à la fois l'ordonnance (support) et la prescriptions (contenu).
L'usage de substance à visée thérapeutique est sans doute aussi vieux que l'homme mais la recherche des origines de l'ordonnance ne peut s'envisager durant la préhistoire, cette période se définissant par l'absence d'écriture.
Les preuves écrites de l'usage de médicaments les plus anciennes remontent au IIIeme millénaire av. J.-C., ce sont les tablettes sumériennes découvertes à Nippur. Il ne s'agit pas d'ordonnance mais d'un codex indiquant une longue liste de « recettes » à utiliser par le médecin en fonction des pathologies rencontrées. Que ce soit le célèbre papyrus égyptien d'Eberth ( 1500 av. J.-C. ), le Corpus Hippocratum ( 460 av. J.-C.), le De Arte Medica de Celse ( Ier siècle av. J.-C. ) ou les écrits de Galien, tous les documents de cette période sont des formulaires et non des ordonnances à destination du patient ou du pharmacien.
La principale raison est qu'à cette période les fonctions de médecins et de pharmaciens étaient confondues, d'ailleurs ces deux mots n'apparaîtront que bien plus tard, aux environs du XII° siècle.
En Europe jusqu'au X° siècle celui qui exerçait l'acte médical était contraint de cultiver, récolter, préparer et administrer les plantes médicinales qui constituaient l'essentiel de la pharmacopée ; ce personnage était appelé « apothicaire » ( du grec apotec boutique).
La séparation entre ces deux activités devint matériellement et intellectuellement obligatoire, une seule personne ne pouvant plus assurer ces deux fonctions du fait de la diversification des substances utilisées et du savoir nécessaire pour maîtriser convenablement l'art de guérir et l'art de préparer les médicaments.
C'est donc à partir du XII° siècle qu'apparaissent en France les pigmentarius ( ou marchands d'épices ) et les médicus. Rapidement les pigmentarius se divisèrent en deux branches : la première, « les épiciers » n'ayant le droit de ne manipuler que des drogues alimentaires et la seconde conservant l'ancien nom « d'apothicaire » se réservant les drogues médicinales. Ces deux branches se disputèrent cependant longtemps le monopole des médicaments et même encore aujourd'hui cette lutte se perpétue entre les grandes-surfaces et les pharmacies.
Aussitôt créés, les apothicaires s'organisèrent en corporations ou confréries, comme la plupart des métiers à cette époque, régies par des lois propres à chaque ville. Ce n'est qu'à Paris et ses faubourgs que la corporation est régie par des lois édictées par le roi.
Les premières lois royales datent de 1271 où le roi interdit aux apothicaires de délivrer des remèdes sans la présence d'un médecin excepté pour les remèdes vulgaires. Comme on le voit, à cette époque, l'ordonnance écrite n'existait pas et les médecins prescrivaient oralement indiquant eux-mêmes dans l'officine les médicaments dont ils entendaient composer leurs remèdes.
Les premières lois insistent également sur l'interdiction du « qui pro quo » c'est-à-dire la substitution d'une substance par une autre sans l'autorisation du prescripteur, règle qui a persisté près de sept siècles, jusqu'à l'introduction du droit de substitution en 1999.
La naissance officielle de l'ordonnance en France se situe en 1322 où un nouvel édit royal interdit aux apothicaires de vendre ou donner des laxatifs, toxiques ou abortifs sans l'ordonnance d'un médecin qu'il leur est interdit de renouveler .
En 1353 Jean II le Bon rajoute que le candidat au métier d'apothicaire doit savoir lire confirmant ainsi l'existence d'ordonnances écrites, du moins à Paris .
En 1494 paraît une loi qui amende celle de 1271 et autorise les apothicaires à proposer des médicaments non nuisibles au corps humain sans ordonnance.
Par la suite les autorités ont surtout réglementé l'usage des toxiques en particulier en 1682 où Louis XIV, suite à l'affaire des poisons de 1679 (mise au jour d'un vaste réseau de vente et d'usage de « poudre de succession » impliquant la noblesse jusqu'à la favorite du roi), encadre strictement la détention et la délivrance de certains toxiques (arsenic, réalgar, orpiment et sublimé) : il rend obligatoire la tenue d'un registre où l'apothicaire identifie précisément le médecin achetant une de ces substances. La déclaration royale du 25 avril 1777 crée le collège de pharmacie et la maîtrise de pharmacie et abolit du même coup les termes d'apothicaire et apothicairerie et étend les règles à l'ensemble des pharmaciens du royaume de France, les confréries ayant été abolies officiellement en 1776.
La loi du 21 germinal an XI (21 avril 1803) réaffirme l'obligation de présentation d'une ordonnance cette fois pour tous les médicaments : Article 32 : les pharmaciens ne pourront livrer et débiter des préparations médicinales ou drogues composées quelconques que d'après la prescription qui en sera faite par un docteur en médecine ou en chirurgie, ou par des officiers de santé, et sur leur signature.
L'ordonnance royale du 19 juillet 1845 indique pour la première fois les mentions obligatoires sur une ordonnance de substances vénéneuses : Titre II article 5 : La prescription doit être signée, datée, énoncée en toutes lettres en ce qui concerne la dose desdites substances, ainsi que le mode d'administration du médicament.
Jusqu'au XXe siècle nous disposons de peu d'informations sur les règles légales encadrant l'ordonnance, les autorités ayant pour principal souci le contrôle des substances vénéneuses, en particulier depuis l'affaire des poisons de Louis XIV.
De plus, la pharmacopée réellement active était limitée, ce n'est qu'à partir de la Seconde Guerre mondiale que les médicaments modernes sont apparus et avec eux un cadre légal plus rigoureux.
Voici donc les grandes dates qui ont fait évoluer l'ordonnance à partir de ce siècle :
La réglementation concernant l'ordonnance s'est accrue durant le XXe siècle sans changer pour autant sa mission première qui est de servir de point de rencontre entre le médecin, le pharmacien et le patient. Cependant, depuis l'immixtion des organismes de remboursement (assurance maladie et mutuelles), ce point de rencontre s'est transformé en véritable place de l'Étoile, renforçant ainsi la portée de la prescription, mais également les contraintes qui l'entourent, comme nous allons le voir dans le chapitre suivant.