Port-Royal entre dans l’histoire avec la controverse janséniste. Même si, lorsque celle-ci touche véritablement le monastère en 1656, les idées de Jansenius sont exposées depuis près de vingt ans, même si Saint-Cyran est déjà mort, même si la spiritualité du monastère est déjà fortement teintée de cet augustinisme rigoureux, les religieuses et les Solitaires ont été épargnés bien longtemps. Les tracasseries du pouvoir royal, qui refusait périodiquement la vie communautaire des Solitaires, étaient davantage dues à des raisons politiques : les Solitaires ont attiré à eux un certain nombre d’anciens frondeurs, dont leurs chefs de file, la duchesse de Longueville et le prince de Conti.
En 1655 et 1656, la Sorbonne est agitée par de violents combats théologiques opposant Antoine Arnauld, accompagné de plusieurs docteurs en théologie, à ceux qu’ils nomment les « molinistes », c’est-à-dire les partisans du libre arbitre.
Le 14 janvier, Antoine Arnauld est condamné et exclu de la Sorbonne. Fait sans précédent, il est rayé de la liste des docteurs. À Port-Royal, les Solitaires, les maîtres des Petites écoles et les enfants doivent quitter les Granges. Peu avant, Blaise Pascal qui était venu se retirer quelques jours a commencé l’écriture des Provinciales, pamphlets réguliers et cinglants envers les Jésuites. Le succès des Provinciales donne une popularité certaine au monastère à Paris. Cette campagne polémique est doublée par un miracle, qui semble fort à propos donner une onction divine aux positions théologiques de Port-Royal : le 24 mars 1656, la nièce de Pascal, Marguerite Périer, est guérie d’une fistule lacrymale après avoir touché une relique de la Sainte-Épine (morceau de la couronne du Christ). Ce miracle est rapidement reconnu par l’Église, ce qui oblige l’entourage royal à cesser ses pressions sur le monastère. Robert Arnauld d'Andilly et plusieurs Solitaires reçoivent de nouveau l’autorisation de résider à Port-Royal des Champs.
À la fin de l’année 1658, la mère Agnès Arnauld est à nouveau élue abbesse, et ce jusqu’en décembre 1661. L’abbaye compte alors cent trente religieuses, dont cent treize professes. C’est donc un monastère important et en pleine expansion. Mais le 13 avril 1661, les difficultés reprennent : le Conseil d’État, par un arrêt, rend obligatoire pour les religieuses comme pour tous les ecclésiastiques de France la signature du Formulaire d'Alexandre VII, qui condamne cinq propositions tirées de l`Augustinus de Jansenius. C’est une grande source de problèmes en perspective pour le monastère, où l’on considère que les propositions sont bien « hérétiques » en droit, mais qu’ en fait elles ne se trouvent pas exposées telles quelles dans l’ouvrage du théologien. Cet argument est à la source de ce que l’on appelle dans l'histoire du jansénisme la distinction du droit et du fait. Les religieuses (appuyées par Blaise Pascal et Antoine Arnauld) vont essayer par ce biais d’esquiver la signature du Formulaire. Les religieuses de Paris, puis celles des Champs, signent finalement le formulaire en y adjoignant la précision du droit et du fait, ce qui aboutit ensuite à l’annulation de ce texte par le Conseil du Roi. À partir du moment où on leur interdit la distinction du droit et du fait, une partie importante des religieuses du monastère refuse catégoriquement de signer le Formulaire.
Mais le même jour Louis XIV, qui depuis sa majorité exerce personnellement le pouvoir, interdit à la communauté de Port-Royal de recevoir désormais des novices et des pensionnaires. Celles qui sont présentes sont dispersées. C’est signer l’arrêt de mort de l’abbaye, puisque la communauté ne peut se perpétuer sans recrutement. Les directeurs spirituels (Antoine Singlin, qui doit se cacher, Louis-Isaac Lemaistre de Sacy et d’autres prêtres proches des religieuses) doivent quitter l’abbaye.
C’est également à cette époque que la mère Angélique, fatiguée et malade, quitte l’abbaye des Champs pour rentrer au monastère parisien. Impuissante dans cette crise, elle meurt le 6 août 1661. Son corps est enterré sous les dalles du chœur du monastère parisien et son cœur ramené aux Champs. Jacqueline Pascal, sœur de Blaise Pascal et sous-prieure aux Champs, meurt peu après, le 4 octobre. Le 12 décembre, la mère Agnès cède sa place d’abbesse à la mère Madeleine de Sainte-Agnès de Ligny, qui occupe cette fonction jusqu’en 1669. C’est un mandat marqué par d’importantes crises, puisque la mère Madeleine de Sainte-Agnès connaît en huit ans l’affrontement avec l’archevêque de Paris, l’emprisonnement et l’enfermement aux Champs.
Dans les deux années qui suivent, les religieuses cherchent à échapper à une nouvelle signature du Formulaire. Mais la crise se réveille en 1664. En effet, le 8 juin de cette année, le nouvel archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe de Beaumont, fait publier un nouveau mandement : il demande la foi divine pour le droit et la simple foi humaine pour le fait. C’est-à-dire qu’il demande aux religieuses de croire comme un article de Foi que les propositions condamnées sont hérétiques, mais qu’il ne leur est demandé qu’une simple approbation humaine, sans notion de sacrilège, au sujet de la présence (ou non) de ces propositions dans l'Augustinus de Jansenius.
Cependant, malgré une visite de l’archevêque à l’abbaye, les religieuses refusent toujours de signer. Péréfixe se rend alors, le 26 août 1664, dans le couvent de Port-Royal de Paris. Il décide d’exiler seize religieuses dans différents couvents de la capitale. Elles sont emmenées de force. À la mi-novembre de la même année, il se rend aux Champs, où les religieuses non signataires sont privées de sacrements et de leurs confesseurs habituels. On leur interdit également tout contact avec l’extérieur.