Le site de Port-Royal-des-Champs est un ensemble constitué des ruines de l’abbaye de Port-Royal, du musée des Granges et d’un domaine forestier et paysager. Situé au cœur de la vallée de Chevreuse, au sud-ouest de Paris, dans la commune de Magny-les-Hameaux (Yvelines), il est le témoin de l’histoire de l’abbaye de Port-Royal et du jansénisme.
Malgré un riche passé, il ne reste aujourd’hui presque rien de ce monastère fondé en 1204.
Cet endroit fut le théâtre d’une intense vie religieuse, intellectuelle et politique du XIIIe siècle à nos jours. D’abord simple abbaye cistercienne féminine au cœur du bassin parisien, Port-Royal devient au XVIIe siècle l’un des symboles de la contestation politique et religieuse, face à l’absolutisme royal naissant et aux réformes théologiques et ecclésiologiques de l’Église tridentine.
Qualifié d’« affreux désert » par la marquise de Sévigné en raison de son isolement, Port-Royal apparaît comme une « thébaïde » pour les admirateurs des Solitaires, c’est-à-dire un endroit privilégié où le chrétien est à même d’œuvrer pour son salut sans être tenté par le monde matériel. Attirant ou repoussant, il fascine le monde intellectuel et religieux du XVIIe siècle.
Détruits au début du XVIIIe siècle sur ordre de Louis XIV, l’abbaye et son domaine deviennent des lieux de mémoire et d’histoire, séduisant et inspirant visiteurs et intellectuels.
Port-Royal-des-Champs est aujourd’hui classé musée national.
L’abbaye de Port-Royal est fondée en 1204 par Mathilde de Garlande. Apparentée aux familles royales de France et d’Angleterre, celle-ci décide de créer cette abbaye avec des fonds que son mari Mathieu de Marly, partant pour la quatrième croisade, a mis à sa disposition pour des œuvres pieuses.
Son choix se porte sur un lieu peu éloigné de l’abbaye des Vaux-de-Cernay, abbaye masculine. Elle souhaite, pour sa part, fonder un monastère féminin. Le lieu s’appelle « Porrois » et abrite déjà une chapelle dédiée à Laurent de Rome.
Le site de Porrois est marécageux et boisé. Son nom viendrait des poireaux sauvages qui y poussaient. Par la suite, le nom s’est transformé en « Port-Royal » en raison de l’appui que lui ont apporté les rois de France, tels Philippe-Auguste puis Louis IX, de même qu’Odon de Sully, évêque de Paris. L’abbaye est donc dès ses débuts liée au pouvoir royal.
L’abbaye est au départ considérée comme une simple extension féminine des Vaux de Cernay, comme un prieuré dépendant de ce monastère, c’est-à-dire dépourvue d’autonomie hiérarchique, financière et d’autorité. De même qu’aux Vaux de Cernay, les religieuses de Port-Royal adoptent la règle de saint Benoît en y adjoignant les grands principes de l'ordre des cisterciens.
Les premiers directeurs spirituels viennent également de l’abbaye voisine. Mais en 1214, à la suite de trois prieures, une première abbesse est élue. Elle s’appelle Éremberge. Port-Royal gagne ainsi son autonomie et un véritable statut d’abbaye. Cependant son importance est numériquement faible : autour d’Éremberge, la communauté ne compte qu’une douzaine de membres. En 1223, le pape Honorius III lui accorde le privilège de célébrer la messe même en cas d’interdiction dans tout le pays.
Même si les premières religieuses viennent de monastères bénédictins, Port-Royal prend très vite une orientation cistercienne. Le site est typiquement cistercien : Port-Royal se trouve au fond d’un vallon fermé, parcouru par une rivière, le Rhodon. Le vallon est barré en son fond pour créer des étangs, ce qui favorise l’utilisation de la force hydraulique. Cet emplacement répond au désir de Bernard de Clairvaux d’inciter à l’humilité et à la vie intérieure par un retrait du monde. Les fréquentes visites des généraux de l’ordre cistercien laissent penser que Port-Royal s’est inscrit très tôt dans l’orbite cistercienne.
L’architecture est caractéristique de l’ordre cistercien. Dès la fondation de l’abbaye en 1204 et la construction des premiers bâtiments, comme la partie conventuelle achevée en 1208, l’appartenance de Port-Royal à l’obédience de Cîteaux, évidente dès ses débuts même si elle n’est officielle qu’en 1240, décide de l’organisation générale du lieu. La seule élévation est celle du clocher de l’église, qui est terminée en 1229. Le cloître est adossé au côté sud de l’église, comme dans la plupart des abbayes cisterciennes. Le chapitre et le réfectoire, lui-même surmonté du dortoir, forment le côté est du cloître, dans le prolongement du transept.
L’église est construite sous la direction de Robert de Luzarches, architecte de la cathédrale d’Amiens, engagé et rémunéré par les Montmorency. Son plan suit également la tradition architecturale cistercienne : l’église a une forme de croix latine à base carrée, dont le tracé ne comporte que des lignes droites se coupant en angle droit. L’édifice comprend une nef de six travées flanquée de bas-côtés, et sa longueur totale est de 55 mètres. Le transept saillant est large de 28 mètres. Le sanctuaire est assez court (seulement deux travées) et se termine en chevet plat. Ceci s’explique par la tradition cistercienne, où le chœur des moines et des moniales n’est pas placé après la croisée du transept mais dans la nef centrale. À Port-Royal, le chœur occupe les troisième, quatrième et cinquième travées, et se termine par une grille.
Les gravures montrent que l’église est élevée à trois niveaux dans un style gothique archaïque, avec de grandes arcades en arc brisé. Cependant, malgré l’emploi de voûtes sur croisées d’ogives, renforcées à l’extérieur par des arcs-boutants, l’église ne comporte que des fenêtres hautes, de petite taille et en plein cintre, sans doute par volonté (là encore typiquement cistercienne) d’humilité. Les arcs de la voûte reposent sur d’épaisses colonnes simplement ornées de feuillages sculptés.
À l’ouest de l’église, un pigeonnier, toujours visible aujourd’hui, est édifié au XIIIe siècle.
Les aménagements ultérieurs, assez peu nombreux, ont lieu essentiellement au XVIe siècle sous l’impulsion de l’abbesse Jeanne II de La Fin (1513-1558), qui fait réparer l’église et reconstruire partiellement le cloître, le dortoir et l’infirmerie. Le chapitre est alors déplacé dans le bras droit du transept dont la grande arcade est murée. C’est également à cette époque que sont installées dans le chœur des stalles et des boiseries sculptées, considérées comme « fort belles » deux siècles plus tard, lorsqu’elles sont vendues aux Bernardins de Paris avant la démolition de l’église. Ces boiseries ont disparu à la Révolution.
La deuxième vague de restauration se situe au milieu du XVIIe siècle, à partir du retour des religieuses aux Champs en 1648. Malgré les travaux de drainage des Solitaires, l’église est régulièrement inondée par les eaux qui dévalent du plateau des Granges. L’abbesse Angélique Arnauld décide donc de faire surélever de sept pieds (environ 2,30 m) le sol de l’église. Ces travaux enlaidissent l’ensemble, puisque les chapiteaux arrivent alors à hauteur de tête, ce qui prive l’église de son harmonie. Mais cela ne dérange pas l’abbesse, pour qui seule la prière compte, et qui dit : « J’aime par l’esprit de Jésus-Christ tout ce qui est laid », préférant que l’argent aille aux pauvres plutôt qu’à l’ornement de l’église. Dans ses lettres, elle fustige d’ailleurs les Carmélites qui embellissent leurs couvents.
Port-Royal devient l’une des plus puissantes abbayes du bassin parisien. Elle tire ses ressources de la possession de terres agricoles et forestières aux alentours et sur des terroirs plus éloignés. Les religieuses ont rang de seigneurs sur la plupart de leurs terres, on les appelle les « dames de Port-Royal ». Elles ont l’intégralité des droits seigneuriaux et reçoivent « foi, hommage, aveux et dénombrement ».
On évalue le patrimoine principalement de par le partage qui a lieu en 1669 entre l’abbaye des Champs et celle de Paris, lorsque celle-ci reçoit son autonomie (voir infra). La singularité de Port-Royal vient du fait que les religieuses ont converti en rentes une grande partie de leurs biens. Elles ont progressivement transformé ces rentes en prêts, ce qui fait que le monastère fonctionne comme une banque.
En plus de la propriété originelle du vallon de Port-Royal, les religieuses reçoivent par don, au cours du XIIIe siècle, celles de Magny, Champgarnier, Germainville, Launay et Vaumurier, situées sur la paroisse de Saint-Lambert des Bois, donc juste autour de l’abbaye.
En 1230, les religieuses reçoivent des terres à Villiers-le-Bâcle, puis en 1479 à Buc et Châteaufort, et enfin à Buloyer en 1504, ce qui permet d’augmenter les revenus fonciers. L’abbaye se met alors à acheter des fermes plus éloignées. Elle en reçoit aussi comme dons pieux. C’est ainsi qu’en 1258 un seigneur, Jean de Montfort, fait don de sa forêt et de 240 arpents de terre au Perray en Yvelines, à douze kilomètres à l’ouest de Port-Royal. Au sud et à l’ouest du monastère, les seigneuries de Gourville et de Voise s’ajoutent également au patrimoine pendant le Moyen Âge.
Au XVe siècle, l’abbaye entre en possession d’une importante seigneurie, celle de Mondeville, à 35 kilomètres de distance, entre Melun et La Ferté-Alais. Elle y détient les droits de haute, moyenne et basse justice, ainsi que le droit de notariat.
Au XVIe siècle, Port-Royal contrôle les terres et des forêts dans un rayon de huit kilomètres. Les deux fermes qui constituent sa principale source de richesse sont celles des Granges et de Champgarnier. Au cours du XVIe siècle, le monastère acquiert autour de Nanterre de vastes propriétés qui lui fournissent des rentes considérables.
En 1659, l’abbaye achète la terre et la seigneurie de Montigny, puis d’autres domaines à Voisins-le-Bretonneux et Trappes. Au terme de ces acquisitions, le territoire de l’abbaye touche au parc de Versailles, ce qui peut représenter un motif de dissension avec le roi, notamment sur la question du contrôle des sources. À partir de la fondation du monastère de Port-Royal de Paris, les religieuses achètent également des maisons dans la capitale, situées dans le faubourg Saint-Jacques.
Port-Royal est donc extrêmement riche. Lors de la séparation des deux monastères en 1669, environ un tiers des terres est dévolu au couvent parisien, le reste demeurant en possession de celui des Champs.
La richesse matérielle de l’abbaye, fondée sur le foncier, est extrêmement dépendante des aléas politiques. Malgré un patrimoine important dès ses débuts, les périodes de troubles causent des pertes de richesse importantes qui entraînent un déclin du monastère à la fin du Moyen Âge.
Connaissant un rapide développement à ses débuts, l’abbaye entre ensuite dans une période de relatif déclin. La guerre de Cent Ans est particulièrement destructrice pour Port-Royal, les épidémies se succèdent, l’insalubrité, la baisse des vocations et des difficultés économiques laissent croire un temps à la fermeture du monastère. En 1468, l’abbesse Jeanne de La Fin parvient cependant à récupérer les biens et les terres perdues dans le chaos de la guerre. En 1513, elle démissionne en faveur d’une de ses nièces, Jeanne II de La Fin, qui poursuit les travaux de restauration : l’église est embellie, le cloître et les autres bâtiments sont rénovés.
Au XVIe siècle, commence à se poser un problème de moralité parmi les religieuses. Le premier à s’en préoccuper est Jean de Pontallier, abbé de Cîteaux. En décembre 1504, il effectue une visite à Port-Royal et organise une restauration matérielle. Choqué par ce qu’il y voit, l’abbé dénonce le peu de piété des moniales, qui expédient le plus vite possible les prières et font preuve d’un mauvais état d’esprit, selon lui. Les manières cavalières des résidentes de Port-Royal ne semblent pas s’arranger avec le temps, car à la fin du XVIe siècle, un de ses successeurs, Nicolas Boucherat, remarque au cours d’une visite de l’abbaye que les religieuses y sont « coutumières de prendre noise, de dire injures atroces, sans avoir égard au lieu et à la compagnie où elles sont ». Il leur recommande de respecter le silence et de recommencer à pratiquer les aumônes à la porte du monastère.
N’étant pas concerné par le concordat de Bologne, qui permet au roi de nommer les évêques, abbés et abbesses de France, Port-Royal continue à élire ses propres abbesses. L’abbesse Catherine de La Vallée, qui dirige Port-Royal de 1558 à 1574, est tellement peu encline à réformer son monastère qu’elle est menacée d’excommunication après ses refus répétés d’obéir aux ordres de Cîteaux. Elle finit par s’enfuir, prenant prétexte des guerres de Religion.
La pratique de la commende est devenue banale, comme dans la plupart des monastères de l'époque. C’est ainsi qu’en 1599 une petite fille de huit ans à peine, Jacqueline Arnauld, est nommée coadjutrice de l’abbesse Jeanne de Boulehart. Elle prononce ses vœux en 1600, et le chapitre l’élit abbesse en 1602. À cette époque, Port-Royal est un exemple symbolique des abus que l’Église issue du concile de Trente cherche à éradiquer : les sœurs vivent dans le relâchement et parfois dans la licence avec leurs domestiques. Philippe Sellier dit de cette élection : « Un abus de plus dans une petite communauté dont plusieurs historiens ont écrit le relâchement ».
En prononçant ses vœux, Jacqueline Arnauld prend le nom d’Angélique de Sainte-Madeleine. Elle poursuit son éducation à l’abbaye de Maubuisson, qu’elle ne quitte que le jour de son élection comme abbesse, sous la conduite de son père, Antoine Arnauld. La communauté ne compte plus alors qu’une douzaine de moniales.
Dans son autobiographie de 1655, Jacqueline Arnauld indique que le monastère est en « très mauvais état ». Ses parents s’inquiètent pour elle. Ils demandent donc au général de l’ordre de Cîteaux l’autorisation de placer auprès d’elle une religieuse d’une autre maison, Madame de Jumeauville. Celle-ci a pour tâche de terminer l’éducation de l’enfant et de surveiller la conduite du monastère. La jeune Mère Angélique s’interroge sur sa vocation, lorsqu’en 1608 un Capucin vient prêcher pour l’Annonciation. « Dieu me toucha tellement que, de ce moment, je me trouvais plus heureuse d’être religieuse que je m’étais estimée malheureuse de l’être », dira-t-elle. Ce choc religieux marque le début de la renaissance du monastère.