Port-Royal-des-Champs - Définition

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La fin du monastère

Anonyme, début du XVIIIe siècle. Des pauvres secourus à la porte de l'abbaye. Gouache sur parchemin.

En 1706, la mère Élisabeth de Sainte-Anne Boulard de Denainvilliers meurt. Elle a auparavant désigné la sœur Louise de Sainte-Anastasie du Mesnil pour prendre sa suite. Mais la communauté n’a pas le droit de procéder à l’élection. La mère Louise reste donc prieure, jusqu’à la fin de l’abbaye. L’année suivante, Louis XIV donne l’ordre de donner les revenus de Port-Royal des Champs à l’abbaye de Port-Royal de Paris. C’est signer, à très brève échéance, la mort de l’abbaye. L’archevêque de Paris interdit aux religieuses de recevoir la communion. Il les déclare également « contumaces et désobéissantes aux constitutions apostoliques et comme telles incapables de participer aux sacrements de l’Église». Les sœurs sont donc privées à la fois des nourritures spirituelles et des nourritures temporelles. Leur nombre se réduit, au fur et à mesure des décès.

Le 27 mars 1708, une bulle pontificale retire aux religieuses l’usage de leurs terres, ne leur laissant que l’église et le monastère. Une deuxième bulle, datée de septembre, ordonne la suppression de Port-Royal des Champs. Louis Phélypeaux de Pontchartrain, chancelier, essaie de s’opposer aux décisions royales et pontificales. Mais le parlement de Paris enregistre les textes du pape et du roi.

L’archevêque de Paris confirme en 1709 la suppression du monastère. Après une visite orageuse de l’abbesse de Port-Royal de Paris le 1er octobre, qui n’est pas reconnue comme supérieure par les religieuses, le Conseil d’État rend un arrêt confirmant les droits du monastère parisien sur celui des Champs. Le 26 octobre, il ordonne également l’expulsion des religieuses.

Le lieutenant de police d’Argenson est désigné pour procéder à l’expulsion. Le 29 octobre 1709, il se rend à l’abbaye, accompagné de soldats. Les quinze sœurs professes et les sept sœurs converses présentes sont emmenées vers différents couvents d’exil. Une dernière sœur, malade, est expulsée le lendemain en litière.

Quelques mois plus tard, en janvier 1710, le Conseil d’État ordonne la démolition de l’abbaye. Entre le mois d’août 1710 et l’année 1711, de nombreuses familles de proches du monastère viennent exhumer les corps des religieuses enterrées dans l’église. Certaines dépouilles, comme celles des Arnauld, sont transférées à Palaiseau, d’autres à Magny-Lessart. Près de 3 000 corps sont enterrés à Saint-Lambert-des-Bois, dans une fosse commune encore identifiable aujourd’hui et appelée « carré de Port-Royal ». Les dépouilles de Jean Racine, Antoine Lemaître et Louis-Isaac Lemaistre de Sacy sont emmenées à Saint-Étienne-du-Mont à Paris.

Au cours de l’année 1713, l’abbaye est rasée à la poudre. Ses pierres sont vendues ou récupérées par les habitants des alentours, parfois comme reliques mais le plus souvent comme matériau de construction.

Le site de la Révolution à nos jours

Les ruines de l’abbaye

Les ruines de l’église de l’abbaye de Port-Royal dans leur état actuel

Au commencement de la Révolution française, le site de Port-Royal des Champs est toujours à l’abandon, seules les terres agricoles sont utilisées. Les ruines du monastère sont devenues presque invisibles.

À la suite du décret du 2 novembre 1789, qui déclare les biens de l’Église « mis à disposition de la Nation », les religieuses du couvent parisien n’ont plus de droits sur Port-Royal des Champs. Le 14 mai 1790, un nouveau décret décide de la mise en vente des biens du clergé, en tant que biens nationaux. Le site de Port-Royal des Champs est vendu de façon séparée : un agriculteur achète les Granges et une veuve, Marie-Françoise Humery de La Boissière de Plémont, veuve d’Antoine Desprez, achète les ruines de l’abbaye en 1791, pour la somme de 90 200 livres. Cette veuve appartient, pour ce qu’on en sait, au milieu janséniste parisien. En tout cas, elle vit dans le souvenir de Port-Royal et invite fréquemment dans sa retraite (elle habite une des maisons attenantes au monastère, non détruite) des personnes qui partagent sa dévotion.

Ainsi, l’abbé Grégoire et ses amis de la Société de philosophie chrétienne lui rendent souvent visite à partir de 1797. Ils viennent notamment le 29 octobre, date anniversaire de la fin du monastère. À la suite de ces visites l’abbé Grégoire publie en 1801 ses Ruines de Port-Royal des Champs dans les Annales de la religion. Ce texte exalte le souvenir de Port-Royal dans une écriture tantôt poétique et tantôt politique, qui fait du monastère et de ses habitants un lieu précurseur de la lutte contre l’absolutisme.

En 1809, une cérémonie célèbre le centenaire de la dispersion des religieuses. Y sont présents une grande partie des membres des diverses mouvances du jansénisme. L’abbé Grégoire, mais aussi Louis Silvy et les membres de la Société de Port-Royal (qui ne porte alors pas de nom), ainsi qu’Eustache Degola, prêtre janséniste italien proche de Scipion de Ricci. Environ 200 personnes assistent à ce qui est la première démarche de commémoration à Port-Royal.

En 1810, madame Desprez vend Port-Royal à son neveu Charles-Joseph de Talmours, pour la somme de 140 000 francs. Celui-ci meurt rapidement et sa veuve, Marie-Adélaïde Goulé, ne vient que rarement à Port-Royal, qu’elle entretient très peu. Elle revend la propriété en 1824 pour moitié à Louis Silvy, figure importante du jansénisme parisien, et pour l’autre moitié à quatre membres de la Société de Port-Royal, regroupés en association tontinière. Outre un début de restauration du site, les nouveaux propriétaires installent en 1829 une congrégation de frères enseignants, les Frères des Écoles chrétiennes du faubourg Saint-Antoine, autrement appelés « Frères tabourins », qui sont de tradition jansénisante. Partagés entre Port-Royal et la maison de Louis Silvy à Saint-Lambert des Bois, ils enseignent gratuitement aux élèves du secteur. Louis Silvy rachète à la tontine « janséniste » en 1829 sa part du domaine.

Louis Silvy fait construire à l’emplacement de l’autel de l’ancienne église un oratoire, afin de perpétuer le souvenir de Port-Royal ; celui-ci est une chapelle « carrée, plafonnée, carrelée, sans décoration d’architecture. Au-dessus de la porte, une inscription de sa composition, en vers français, rappelle que là autrefois Jésus-Christ était immolé chaque jour par les mains des plus saints personnages ». Louis Silvy a placé dans cet oratoire des objets rappelant le souvenir des religieuses et des Solitaires, principalement des peintures, des gravures et des autographes. Outre la construction de cet oratoire, Louis Silvy fait également creuser un bras formant croix sur le grand canal qui traversait le domaine, et planter des tilleuls à l’emplacement de l’ancien cloître, en en reprenant le plan, ce qui matérialise bien les dimensions de ce cloître (même si les fouilles récentes montrent qu’il a commis quelques erreurs dans l’emplacement).

En 1832, Louis Silvy fait une donation du domaine de Port-Royal à la congrégation des Frères des Écoles chrétiennes du faubourg Saint-Antoine. Celle-ci décline rapidement, malgré son financement assuré par la Société de Port-Royal. Le supérieur, peu honnête, a tendance à réclamer toujours plus d’argent à la Société, et semble en détourner une partie. En 1868, il menace de donner le domaine aux Jésuites, la congrégation étant moribonde. Cela oblige la Société à racheter le domaine, pour une somme de 80 000 francs.

L’oratoire construit à la fin du XIXe siècle.

À partir du moment où la Société est propriétaire des ruines, elle entreprend une longue série d’améliorations, ainsi qu’une progressive ouverture au public. Elle commence par faire démolir l’oratoire de Louis Silvy, qui était en très mauvais état. Elle fait construire un nouvel édifice en 1891, sur des plans de l’architecte Mabille. Cet oratoire est toujours visible de nos jours, même si son état de délabrement n’en permet plus la visite depuis les années 1990. Il renferme les objets que Louis Silvy avait mis dans le précédent, augmentés de fragments de l’ancienne abbaye provenant des fouilles qui sont faites de manière régulière depuis le début du XIXe siècle.

À la fin du XIXe siècle, le domaine s’ouvre de façon régulière au public. Un gardien en assure l’entretien et les visites, tandis qu’un fermier occupe le bâtiment restant, à côté du pigeonnier. Les visites à Port-Royal sont dès lors payantes. Le site compte en moyenne entre 15 000 et 20 000 visiteurs chaque année, des années 1920 à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il est également habité par une veuve, Félicité-Perpétue de Marsac, vicomtesse d’Aurelle de Paladines, fidèle de l’esprit port-royaliste, qui se définit elle-même comme « la dernière Solitaire de Port-Royal » et donne un aspect pittoresque au lieu en menant une vie de dévotion démunie et exaltée au milieu des ruines.

En 1899, une importante cérémonie commémorative a lieu à Port-Royal des Champs, pour célébrer le bicentenaire de la mort de Jean Racine. C’est l’occasion pour le monde intellectuel de se retrouver, de nombreux académiciens sont présents. Le site de Port-Royal acquiert ainsi une notoriété certaine dans toute la France. De nombreux professeurs y emmènent leurs élèves et Port-Royal entre dans les « lieux de mémoire » français.

Les Granges

Le puits de Pascal restauré, dans la cour intérieure de la ferme des Granges

Pendant ce temps, la ferme des Granges a vu se succéder plusieurs propriétaires, d’abord agriculteurs puis bourgeois. La famille Goupil, propriétaire des Granges à partir de 1860, y fait construire en 1896 un grand logis de style Louis XIII, appelé « château », dans le prolongement de la maison des Solitaires. Ce bâtiment renferme aujourd’hui l’essentiel du musée national des Granges de Port-Royal.

Les Granges sont vendues en 1925 à Charles Ribardière, directeur du journal L’Intransigeant. Celui-ci meurt rapidement et son épouse néglige le domaine, qui est d’ailleurs coupé en deux : la partie agricole (ferme, terres cultivables) est vendue à des agriculteurs, madame Ribardière conservant seulement le « château » et le parc l’entourant. En 1952, constatant la forte dégradation des Granges, de nombreux intellectuels se mobilisent. La création de la Société des Amis de Port-Royal deux ans auparavant, le succès du Port-Royal de Montherlant et la mobilisation de François Mauriac, notamment, poussent l’État à acquérir le château des Granges et le logis des Solitaires. On y installe rapidement un musée, qui retrace l’histoire de Port-Royal et conserve un certain nombre de tableaux, notamment de Philippe de Champaigne. La ferme, qui contient en son centre le puits de Pascal, est acquise par l’État en 1984.

Les écuries des Granges de Port-Royal, témoins de la vocation agricole du site

Pendant toutes ces années, le site de Port-Royal est donc morcelé. Le visiteur, s’il veut faire une visite exhaustive du site, doit d’abord visiter les ruines de l’abbaye, puis contourner les bois de Port-Royal pour recommencer une visite, cette fois-ci aux Granges.

Outre le côté peu pratique et attrayant de cette division, l’incohérence du morcellement de Port-Royal se fait de plus en plus évidente, d’autant plus qu’au fil des années, les conservateurs du musée des Granges et les membres de la Société de Port-Royal, qui gèrent toujours les ruines, ont de bons rapports et travaillent ensemble à la promotion de Port-Royal. Le poids financier de l’entretien des ruines devient également très important pour la Société de Port-Royal. C’est ainsi qu’au printemps 2004, la Société de Port-Royal a fait don à l’État du site des ruines de l’abbaye. Pour la Société, il s’agit à la fois de réunifier un site partagé depuis plus de 200 ans, et donc de redonner une cohérence à l’ensemble, mais également de mener de plus ambitieux projets d’animation du site.

L’aile rajoutée à la fin du XIXe siècle et qui abrite aujourd’hui le musée

Le musée actuel, qui est le plus petit des musées nationaux français, contient essentiellement des œuvres picturales. Il s’agit principalement de tableaux de Philippe de Champaigne et de gravures des XVIIe siècle et XVIIIe siècle, qui retracent la vie du monastère. On peut également y voir le masque mortuaire de la mère Angélique Arnauld, ainsi que divers objets de dévotion janséniste. L’intérêt de ce musée est principalement de retracer l’histoire du monastère. Une salle est dédiée aux livres anciens, principalement ceux écrits par les Solitaires. Depuis les années 2000, le musée s’est dirigé vers une mise en valeur des jardins. C’est ainsi qu’un programme a été lancé pour tenter de reconstituer le verger des Solitaires, devant le logis principal. On y replante des essences anciennes (notamment des poiriers) pour redonner vie à ce qui a fait, au XVIIe siècle, une part de la renommée des Granges.

Le site de Port-Royal est par ailleurs fréquemment demandé pour des créations théâtrales, des concerts (dans la grange médiévale) et des colloques. La majeure partie des bâtiments de Port-Royal-des-Champs a été classée à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1947. Les granges ont été classées en 1953, de même que le parc. Puis en 1984, c’est la maison du portier qui a bénéficié de cette mesure. L’ensemble est un site classé depuis 1972.

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