Ubik - Définition

Source: Wikipédia sous licence CC-BY-SA 3.0.
La liste des auteurs de cet article est disponible ici.

Introduction

Série Science-fiction
Science-fiction
La SF à l’écran
autre-A-B-C-D-E-F-G
H-I-J-K-L-M
N-O-P-Q-R-S-T
U-V-W-X-Y-Z
Le monde de la SF
Auteurs - BD de SF
Fandom - Prix littéraires
Thèmes et genres
Catégorie

Ubik (titre original Ubik) est un roman de Philip K. Dick, écrit en 1966, publié aux États-Unis en 1969 et en France en 1970 dans une traduction d'Alain Dorémieux. Il est généralement considéré comme un classique de la science-fiction. En 2005, le magazine Time le classait parmi les 100 meilleurs romans écrits en anglais depuis 1923 ; le critique Lev Grossman a commenté ce livre comme une « histoire d'horreur existentielle profondément troublante, un cauchemar dont vous ne serez jamais sûr de vous être réveillé. ».

Le récit : ce que raconte Ubik est-il résumable ?

La situation sociale et politique : Ubik, un roman anti-capitaliste ?

La société future (de 1992) que décrit Dick (en 1966 ou 1969) est celle d’un monde complètement capitaliste : les vrais dirigeants ne sont pas les chefs d’état (remarquablement absents). Ce sont les chefs d’entreprises quasiment monopolistiques. Citons-en quatre qui jouent un rôle dans le roman (attention, parfois ce rôle est un leurre !) :

  • Walt Disney, dont le portrait est reproduit sur les pièces de monnaie.
  • Mick Stanton, le magnat qui cherche à lever des capitaux gigantesques pour mettre au point un moyen de transport interstellaire complètement nouveau, permettant l’émigration vers Mars : ainsi Israël pourra émigrer sur les déserts de Mars pour les fertiliser.
  • Ray Hollis entretient une sociétés de « psis », mutants permettant (à ceux qui les paient) d’espionner leurs concurrents grâce à leurs « talents psioniques » : télépathes, précognitifs, etc.
  • Glen Runciter emploie des « anti-psis » dont le talent est un « contre-talent » : ils « nullifient » les talents des psis.

Ces seigneurs féodaux – Runciter et Hollis – sont en guerre.

Tout est payant : « "Je vous poursuivrai en justice", dit la porte »

Allégeance au capitalisme. Si Runciter et ses meilleurs « psis » se rendent sur la Lune, en vue du premier « grand retournement romanesque », au mépris de tous leurs principes affichés, c’est parce qu’on les attire avec un appât incontournable : « un gros contrat ». Quand Joe Chip, le héros (sympathique et à demi-raté) est susceptible de devenir le successeur de Runciter à la tête de l’entreprise — il est assez actif et dynamique pour cela — il comprend qu’il ne le peut pas, car il est incapable de gérer sa monnaie ou de payer ses impôts à la date normale.

Résilience au capitalisme. La capitalisme est mis systématiquement en scène par le biais d’actes quotidiens : tout (tout !) est payant. Dans un appartement (un « conapt »), le contrat de location prévoit qu’il faut payer chaque fois qu’on veut ouvrit une porte, sortir du lait du réfrigérateur ou prendre une douche. Dans cette société il faut avoir les poches pleines de pièces de monnaie. Cette vie pourrait-être « kafkaïenne » (et elle l’est en partie : au moment d’acheter la magique poudre Ubik, Joe Chip n’a pas les quarante dollars nécessaires). Mais Dick aborde plutôt ce thème sous l’angle de la comédie satirique : ses héros savent se débrouiller dans ce monde qui serait invivable pour nous. Ses héros sont « résiliants », ainsi le raisonneur Joe Chip n’a jamais de pièces de dix cents pour mettre dans le monnayeur de la porte, mais : « Joe sortit un couteau en acier inoxydable (…) et entreprit systématiquement de démonter le verrou de sa porte insatiable. – Je vous poursuivrai en justice, dit la porte tandis que tombait la première vis. – Je n’ai jamais été poursuivi en justice par une porte », et ensuite Joe se débrouille pour faire payer ses visiteurs ; cet éternel fauché a visiblement l’habitude de taper son entourage. Quand le temps « régressera » et qu’un employé de 1939 refusera une pièce datée de 1940, c’est calmement que Joe cherchera et trouvera dans ses poches une pièce de 1938.

La vie et la mort : Ubik, un roman métaphysique ?

Le thème de la mort, omniprésent chez Dick (voir : « Substance mort »), est montré dès le début du roman par la démarche de Glen Runciter alors aux prises avec un grave problème de gestion de sa société (le plus grand « psi » de l’entreprise ennemie est devenu indétectable, ce qui ne présage rien de bon): il va consulter sa « défunte femme », alors en « semi-vie » (ou en « semi-mort » ?) pour lui demander des conseils sur la façon de réagir. Sa femme, Ella, est morte à vingt ans, il ne lui reste plus que quelques instants de semi-vie utilisable, et Runciter (qui est très vieux, mais on vit vieux dans ce temps futur) ne va la voir que tous les deux ans pour un court éveil. Ella est enfermée dans son cercueil de verre glacé et elle parle à l’aide d’un système micro-haut parleur qui amplifie sa très faible voix de semi-vivante. Elle donne des conseils pragmatiques.

Vampirisme psychique. Quand, du haut parleur, sort la voix d’un adolescent, Jory, qui interroge Runciter sur les expéditions galactiques en cours, celui-ci a une première réaction capitaliste : « Je veux ma femme, Mrs Ella Runciter ; j’ai payé pour lui parler ». « La proximité prolongée, expliqua (Schoenheit) von Vogelsang (le patron du Moratorium), entraine occasionnellement une osmose mutuelle, une sorte de fusion entre les mentalités des semi-vivants. (…) Si ce phénomène persiste, votre argent vous sera remboursé ». (Runciter répond :) « l’argent, je m’en fiche. (…) Si vous ne faites pas partir ce Jory (…), je vous fait un procès (…) Il vaut mieux qu’elle soit seule que de ne pas exister du tout. » Le grand patron Runciter est en train de passer de l’idéologie capitaliste à un questionnement métaphysique. La fin du roman (non résumée ici, suspens oblige) donne l’impression qu’en parallèle aux guerres que se livrent dans le monde réel les grands prédateurs capitalistes, il y a en coulisses (dans un univers parallèle métaphysique) une guerre autrement plus acharnée entre les forces du Bien et les forces du Mal que Dick ne suggère que par des allusions. Le génie de Dick : synthétiser toutes ces approches (politiques, religieuses, métaphysique, oniriques) en un grand roman à suspens mené à grand train.

Le point de vue du romancier : des héros subalternes schizophréniques

Dick n’écrit jamais « du point de vue de Sirius », et peu du point de vue des « chefs » : ici, le seul grand personnage mis en scène, c’est Runciter toujours quand « il a un problème », ce qui affaiblit sa position hiérarchique. Comme souvent chez Dick (toujours ?) le récit est principalement fait du point de vue de personnages plus ou moins subalternes (mais qui travaillent pour les chefs) avec lesquels Dick (et le lecteur) peut s’identifier. Le roman est largement écrit sous formes des dialogues de ces personnages : ce qu’ils disent, est-ce ce que pense vraiment Dick ? Est-ce que ce sont des provocations ou des paradoxes ? Dick nous fait aussi connaître leurs pensées : c’est la technique habituelle à Dick pour toujours donner le point de vue des personnages et pas (du moins pas explicitement) celui du romancier, il se sert ainsi de son thème favori : « l’empathie ».

L’« anti-héros » principal est « Joe Chip », employé de la société de Runciter. Bon technicien (il « mesure » le « talent » des « anti-psis », quel métier !). Joe Chip est bien payé, mais il est complètement immature : il boit trop, il fait alors des dépenses inconsidérées et il n 'a jamais un sou. Son appartement est un taudis. Pat, la très jeune et belle mutante aux cheveux noirs qu’on conduit chez lui pour qu’il effectue des mesures sur son « anti-talent » : « Je n’ai jamais vu un logement aussi encombré de cochonneries. Vous n’avez pas de maitresse ? ». Les dialogues entre ces personnages sont rapides et percutants et ils auraient pu être ceux d’un film mis en scène par Woody Allen lors de sa très brillante période new-yorkaise (Annie Hall). Et Dick nous emmène (nous égare ?) sur différentes « branches temporelles » : dans l’une, Joe Chip est le célibataire raté que le roman nous présente d’abord ; dans une autre branche celui-ci a épousé Pat qui a mis de l’ordre dans sa vie. Sur quelle branche le roman va-t-il se déployer ?

Vie privée, vie publique : Dick mêle perpétuellement la vie privée de ses héros avec leur vie professionnelle. Cela fait basculer le récit d’un plan à un autre, et les univers parallèles interfèrent les uns avec les autres : Joe Chip est-il, ou non, marié avec Pat ? Cette idée le perturbe : imaginer qu’une femme, très séduisante certes, mais autoritaire, peut changer sa vie, quel drame ! En plein drame (mort du patron), les « deux femmes » de la société, Pat et Wendy, toutes deux séduisantes mutantes dotées de talents puissants et mystérieux, prennent le temps de se disputer pour savoir qui épousera Joe Chip ; mais dans quelle strate temporelle ? Une décision « privée » de Pat n’a-t-elle pas une motivation plus professionnelle ? Pour qui travaille-t-elle ? Pour elle-même ? Pour un autre employeur ? Ou bien, un choix « professionnel » n’a-t-il pas une motivation privée, puisque ces récits semblent mélanger complètement la vie privée et la vie publique ?

Discontinuité et Univers parallèles : le retournement, principe romanesque

Quelque chose n’est pas normal . Le récit passe d’une branche temporelle à une autre avec des discontinuités, ce qui rend un résumé très difficile à faire. Mais c’est aussi l’intérêt de la lecture : il se passe toujours quelque chose d’inattendu. Dick est ici au sommet de son art narratif, son imagination lui fournit perpétuellement de nouvelles idées romanesques qu’il télescope à grande vitesse. Le thème propre à la science-fiction des univers parallèles – qui permet de donner plusieurs versions contradictoires d’une même situation – était parfaitement adapté à l’imagination romanesque de Dick. Rien n’est décrit « objectivement », tout est suggéré par les dialogues et les pensées (parfaitement subjectives) des personnages qui s’interrogent sur ce qu’ils vivent et qui n’est pas toujours conforme à l’idée qu’il se font de la situation : « (Joe) essaie de se rappeler, mais cela devenait brumeux, le souvenir s’effaçait … Une piste temporelle différente, songea-t-il,. Le passé… Ma femme est un être unique ; elle peut accomplir quelque chose que personne d’autre sur Terre n’est capable de faire… Pourquoi ne travaille-t-elle pas pour Runciter Associate ? Quelque chose n’est pas normal. »

L’art du conteur. Bref, Dick a beaucoup de choses à raconter, et cela en seulement 250 pages (éditions françaises). Dick ne cesse de décrire les sensations physiques et émotionnelles de ses personnages. Face à la trop belle Wendy Wright, Joe Chip perçoit son propre corps comme une machine laide et maladroite, et Dick donne une hallucinante vision schizophrénique : « A proximité d’elle, il se faisait l’effet d’un singe difforme, graisseux, suant et vulgaire, à l’estomac bruyant et au souffle asthmatique. En sa présence il prenait conscience des mécanismes qui le maintenait en vie ; à l’intérieur de lui toute une machinerie, des tuyaux, des valves (…) pour accomplir une besogne inutile (…) dont l’issue était condamnée. ». Il y a aussi de nombreux sous-entendus érotiques, qui sont parfois décodés, mais pas toujours. Un sommet d’humour et de choc romanesque au début du chapitre 7, le dialogue entre Pat s’opposant à Wendy (concurrentes en amour ou en affaires ?), Al Hammond (le Noir « sensitif » qui s’interroge sur le rôle réel de Pat dans la récente catastrophe) et Mrs Jackson (qui fait des commentaires grivois) : que de choses en quelques phrases !

Modernité du roman. Puisque des « anti-psis » peuvent modifier le passé, pourquoi ne corrigent-ils pas l’histoire du monde quand tout va mal ? Dick a alors l’audace de faire discuter de cette question ses propres personnages, qui discutent en réalité de la façon dont Dick construit le scénario (particulièrement tordu) de son roman … Mais aussi, on ne sait jamais qui dit la vérité, qui ment, qui est qui ? Un simulacre ou un « simulateur » ? le statut du réel/artificiel et de la vérité/mensonge est toujours au cœur des scénarios de Dick. Dans une branche temporelle, Glen Runciter est mystérieusement sollicité pour mettre ses onze meilleurs employés pour débusquer les puissants psis de Hollis qui espionnent la société de Mick Stanton. Dans une autre branche, il n’a pas eu le contrat ; tout dépend de l’histoire que Dick veut réellement conter. Cela dit, le lecteur est constamment surpris, mais Dick – en bon professionnel qui a beaucoup lu et beaucoup écrit – trouve toujours un personnage qui (sur le ton de l’hypothèse et de la conjecture, bien sûr !) explique ce qui vient de se passer. Mais il se passe tellement de choses, que le lecteur, ravi, est emporté dans un flot romanesque tourbillonnant. La fin du roman, qu’il ne faut pas dévoiler, est tout particulièrement perturbante.

Fallait-il aller sur la Lune ? L’attraction d’un contrat exceptionnel entraîne Runciter, Joe Chip et leur onze meilleurs « anti-psis » disponibles sur la base lunaire privée (où tout est payant, mais on leur offre gratuitement un sac de pièces !). Ils sont attendus par leur riche client, Mick Stanton, qui se dit espionné de façon massive par les « psis » de Hollis. Là, les « anti-psis » racontent des choses bizarres : leurs visions, leurs rêves, leurs hallucinations, et Joe Chip fait ses mesures : il ne voit que le « champ » de ses « anti-psis ». Le corps du sarcastique Mick Stanton entre en lévitation : Joe Chip comprend que c’était une « bombe humanoïde à autodestruction. La bombe explosa ».

Retournements en série. C’est le premier grand retournement du roman, or nous ne sommes qu’à la page 81 du livre (édition J’ai Lu, qui en compte 250), au milieu du chapitre 6. Il y aura d’autres retournements. Par exemple, à la page 124 (chapitre 9), avec cette mystérieuse inscription qui donnera son nom à une célèbre biographie de Dick : Je suis vivant et vous êtes morts. Entre ce deuxième retournement et le suivant (page 197, fin du chapitre 12), Dick entraîne ses lecteurs dans une vertigineuse histoire de temps qui régresse qui domine tous les « paradoxes temporels » déjà offerts par le S.-F. Et à partir du troisième grand retournement (du chapitre 13 à la fin) Dick entraîne ses lecteurs dans une série de nouveaux retournements qui se contredisent et/ou se complètent : y a-t-il un ultime prédateur qui se cache derrière ces univers déglingués ? Et peut-on résumer un tel roman ?

Page générée en 0.274 seconde(s) - site hébergé chez Contabo
Ce site fait l'objet d'une déclaration à la CNIL sous le numéro de dossier 1037632
A propos - Informations légales | Partenaire: HD-Numérique
Version anglaise | Version allemande | Version espagnole | Version portugaise