Il peut exister un intérêt stratégique de l'établissement à sur-déclarer des insultes ou violences pour bénéficier par exemple du bénéfice d'un « plan de prévention violence » ou éventuellement à sous-déclarer des incidents pour préserver l'image de marque du collège ou du lycée. Encore que les données par établissement ne soient pas accessibles au public. Ces biais d'enregistrement existent. À eux seuls, ils ne peuvent expliquer qu'une part infime des différences inter-établissements constatées.
Un certain nombre d'établissements, 8 % exactement, probablement les moins concernés objectivement et subjectivement par les violences scolaires, n'ont jamais recours au logiciel SIGNA. Et 15 % répondent à l'enquête annuelle en ne signalant aucun incident. Au total, sur 7900 établissements, 1800, soit 23 %, ne semblent pas du tout concernés par la question de la violence scolaire. Il existe donc une très grande disparité des situations.
Les actes de violence recensée sont directement en rapport avec le type d'établissement. Le nombre moyen d'incidents concerne 1 % des élèves dans les lycées ; 3 % dans les collèges ; 3,5% dans les lycées professionnels ; 12,9% dans les EREA (Établissement régional d'enseignement adapté). Le rapprochement n'a pas été réalisé dans les statistiques ministérielles, mais il est facile à établir et particulièrement instructif. Le nombre moyen d'incidents augmente continûment avec la proportion d'enfants d'ouvriers et de chômeurs scolarisés dans chaque type d'établissement : 24,2 % en lycée ; 36,2 % en collège ; 49,9 % dans l'enseignement professionnel ; 65 % dans les EREA.
Une dernière façon de contrôler la relation entre le public d'origine populaire et le nombre d'actes de violence recensés est de focaliser l'attention sur la situation des établissements en ZEP (zones d'éducation prioritaire) ou REP (réseau d'éducation prioritaire). Si on s'intéresse aux 5 % des établissements qui signalent le plus d'actes de violence, 41 % sont en ZEP ou REP alors qu'ils ne représentent qu’un établissement sur six. Il existe donc une forte concentration des actes de violence dans certains établissements où la proportion d'enfants d'origine populaire est la plus élevée.
Il existe deux raisons de s'intéresser spécifiquement à la violence envers les enseignants. D'abord, la représentation la plus usuelle de la violence scolaire retient essentiellement les violences envers les professeurs. Il est donc nécessaire de confronter la représentation ordinaire de la violence à sa connaissance statistique. Ensuite, il s'agit d'une violence strictement scolaire : elle est liée au processus d’apprentissage, à la relation maître-élèves.
Sur les 80 000 incidents signalés en 2004-2005, 12 586 ont pour victime un enseignant, soit 15.7 %. Les violences envers les professeurs ne représentent donc qu'un pourcentage limité de la violence dite scolaire. Une question tout à fait centrale est celle de la gravité de ces violences. Un indicateur pertinent est l'existence d'une plainte. Globalement, le recours à la plainte est très peu fréquent. Les 12 586 incidents dont sont victimes les professeurs débouchent sur seulement 173 plaintes (soit moins de 1,5 %). On retrouve encore une fois les ordres de grandeur publiés par la DCSP en 1997.
La probabilité de porter plainte est directement en rapport avec le type d'incidents. Lorsqu'il s'agit d'une violence physique avec armes ou « arme par destination » (par exemple, une chaise), le taux de plainte dépasse 30 %. La catégorie statistique est suffisamment explicite pour désigner une situation grave qui justifie une forte proportion de plaintes. Il en est tout autrement des « insultes ou menaces graves » : les 10 039 incidents débouchent sur seulement huit plaintes. Ce pourcentage extrêmement faible indique que la gravité effective de la menace ou de l'insulte ne ferait généralement pas l'objet, en cas de plainte, d'une sanction pénale. L'univers culturel du professeur n'est pas celui du jeune de banlieue. L'injure pour le premier est un mot déplacé pour le second. La mise en statistique de la violence scolaire est souvent une comptabilisation de malentendus linguistiques.
Même si on retient l'hypothèse possible d'une préférence des enseignants pour un règlement en interne des situations graves, le taux de plainte reste très bas car le nombre d'incidents graves susceptibles de susciter la plainte est réduit. On note seulement 129 violences physiques avec arme ou arme par destination liées à la scolarité de plus de 5,5 millions d'élèves en 2004. Telle qu'elle est appréhendée par la statistique ministérielle, la violence strictement scolaire, celle des élèves à l'égard de leurs professeurs, est très faible.
Ce constat est rassurant et pose problème. Il est contraire à la perception de la violence par les enseignants. À la rentrée 1993, sur 776 professeurs du second degré nouvellement recrutés, 8 % d'entre eux jugeaient avoir été personnellement confrontés « très souvent » ou « assez souvent » à des problèmes graves de violence (Note d'information, nº 42, 1996). Or, dans les données recueillies par le ministère, seuls 3 % des enseignants sont concernés par les actes de violence. Il existe un hiatus entre l'expérience des acteurs et les catégories statistiques utilisées pour en rendre compte.
Il est toujours nécessaire de tenter la mesure d'un phénomène social. La mesure de la violence est sans aucun doute intéressant par ce qu'elle ne dit pas explicitement : l'extrême diversité du phénomène, la place limitée occupée par les enseignants comme victime des violences. Une dernière dimension particulièrement instructive de la statistique est apportée par la répartition des actes de violence. Elle permet de mieux saisir le hiatus entre la statistique de la violence l'expérience malheureuse des professeurs.