La Senne, cours d’eau principal de Bruxelles et élément important de son histoire, devenu facteur d’insalubrité a fait l’objet durant la seconde moitié du XIXe siècle d’un voûtement dans son parcours urbain, prétexte à d’importants bouleversements urbanistiques de la ville.
Au début du XIXe siècle, en dehors du quartier royal réaménagé dans le haut de la ville principalement habité par la noblesse et la haute bourgeoisie, la ville a conservé une disposition médiévale de ruelles et d’impasses étroites. La moitié ouest du pentagone, le bas de la ville, populeux et industrieux est situé dans la vallée de la Senne.
La rivière se divise en deux bras au niveau d’Anderlecht, pénètrant à l’intérieur du tracé des anciens remparts: pour l’un, par la Grande écluse, près de l’actuelle gare du Midi et pour l’autre, par la Petite écluse, au niveau de la Porte de Ninove. Leurs parcours sinueux à travers la ville forment deux îlots se rejoignant au niveau du second, la Grande île ou île Saint-Géry, avant de poursuivre vers le boulevard d’Anvers. Un bras artificiel, la petite Senne, constitué par les anciens fossés extérieurs de la seconde enceinte relie les deux bras en deçà des écluses, servant de dérivation, et longe le canal de Charleroi, avant de rejoindre le cours principal de la rivière au nord de la ville.
Le cours d’eau a depuis longtemps perdu son utilité de voie navigable au profit des canaux. La Senne a toujours été une rivière au débit capricieux et aux débordements fréquents, la pression démographique de l’époque rend l’ampleur et les conséquences de ceux-ci de plus en plus dramatiques. Les écluses et la dérivation sont impuissantes, en période de forte pluie, à réguler le débit de la rivière, grossies par les nombreux ruisseaux qui coulent des hauteurs et dont le cours est entravé par les piles des ponts et les constructions faites sans contrôle ainsi que par l’insuffisance du curage de son lit. En période sèche, le débit réduit par les prélèvements en amont de l’eau destinée aux besoins des habitants et le détournement d’une partie des affluents de la rivière pour alimenter le canal, est insuffisant pour évacuer eaux usées, détritus et rejets des industries installées dans les faubourgs qui y sont déversés. La Senne est devenue un égout à ciel ouvert à l’odeur pestilentielle.
Au début de la seconde moitié du siècle, des périodes de sécheresse, des inondations et une épidémie de choléra, causée autant par la rivière que par les conditions de misère (le manque d’hygiène, d’eau potable et de salubrité) dans lesquelles vit la population des bas quartiers, obligent les autorités de la province de Brabant et de la ville de Bruxelles à chercher le moyen d’assainir la Senne.
En libéral convaincu, Anspach qui craint les faiblesses et la rigidité de l’administration, confie la concession des travaux à une entreprise privée anglaise. Le contrat signé le 15 juin 1866 et l’expropriation des 1.100 premières maisons effectué en quelques mois, le chantier peut commencer en février 1867.
Mis à part les importants réseaux d’égouts construits en amont et en aval sur le territoire des communes limitrophes, le voûtement proprement dit dans sa traversée du pentagone a une longueur de 2,2 kilomètres. Il est constitué de deux collecteurs parallèles de 6 mètres de large chacun, et de deux égouts latéraux reprenant chacun les eaux usées d'une rive du cours d'eau, l’ensemble construit en briques maçonnées.
Depuis l’adoption du projet définitif, Jules Anspach doit faire face à de nombreuses oppositions et critiques. Elles sont venues tout d’abord des commissions d’ingénieurs pour qui le voûtement est difficilement réalisable à cause du sous-sol bruxellois, dangereux en raison de l’accumulation des gaz, et insuffisant pour absorber le débit lors des crues. L’opposition et la population se plaignent du coût des travaux et des hausses d’impôts qui en découlent, des nuisances, de la faible indemnisation des biens expropriés, de la manière dont le bourgmestre à usé pour imposer le projet et de l’absence d’adjudication publique des travaux. La presse l’accuse d’être le démolisseur du vieux Bruxelles et publie plusieurs caricatures. Les difficultés techniques qui retardent l’avancement du chantier, et surtout le scandale des détournements de fonds effectués par l’un des actionnaires de la compagnie anglaise, ce qui forcera cette dernière à se retirer et la ville à reprendre la direction des travaux, le mettent en mauvaise posture. Il ne sera réélu que de justesse en 1869.
Le voûtement de la Senne est finalement inauguré le 30 novembre 1871 par le conseil communal ouvrant solennellement les vannes de la grande écluse reconstruites par Léon Suys.