La ciguatera concerne environ 400 millions de personnes qui vivent dans les zones d’endémie et on estime à 50 000 le nombre de personnes intoxiquées chaque année. Il s’agit de la plus importante des intoxications par produits de la mer avec l’intoxication histaminique. Cependant, le nombre de cas déclarés est semble-t-il sous-estimé : diagnostic délicat, difficulté d’accès aux soins dans ces régions d’endémie, utilisation de la médecine vernaculaire, difficulté de recueil des informations.La répartition géographique s'étend entre le 35e parallèle nord et le 35e parallèle sud, sur une ceinture circumtropicale englobant l'ensemble des régions coralliennes (Pacifique, Caraïbes et Antilles, océan Indien). Son incidence croît avec la décroissance de la latitude (Juranovic et al., 1991). Plusieurs régions françaises des départements et territoires d’Outre-Mer sont concernées par le phénomène : Réunion (incidence à 7,8/100 000), Guadeloupe (incidence à 30/100 000), Martinique (incidence à 41/100 000), Nouvelle Calédonie (incidence à 100/100 000), Polynésie (incidence à 500/100 000). La France métropolitaine et les régions situées hors zone d’endémie peuvent également connaître des cas de ciguatera mais ceux-ci sont pour la plupart des cas d’importation contractés en zone corallienne ou liés à la consommation de poissons tropicaux servis en restaurant.
Le corail est un animal hermatypique, c'est-à-dire bâtisseur de récifs du groupe des madréporaires ou sclératinaires se présentant sous de multiples formes : encroûtant, massif, colonne, ramifié, foliacé, ... Les polypes, formant la partie vivante de ces organismes, se logent à l’intérieur des calices calcaires qu’ils élaborent grâce au symbiotisme existant entre eux et de micro-algues photosynthétiques, les zooxanthelles. C’est à l’occasion d’un stress que les polypes se débarrassent de leurs symbiotes, donnant le phénomène de « corail en fleur ». La persistance du stress aboutit à la mort des coraux qui perdent leur source d’énergie ; c’est le phénomène de « blanchissement corallien » (le pigment photosynthétique des zooxanthelles est à l’origine de la couleur du corail).
Le stress à l’origine de cet évènement peut être d’origine naturelle (raz de marée, tsunami, tempêtes, cyclones, séismes sous-marins, sources d’eau douce, Acanthaster planci,…) ou d’origine humaine (travaux d’aménagement des littoraux avec utilisation des coraux pour les constructions et formation de nuages de boues privant les zooxanthelles de lumière, pollution des lagons, pêche intensive, tourisme irresponsable, activités militaires, …). À grande échelle, le réchauffement climatique à l’origine du réchauffement de la température des mers (le corail souffre à partir de 29 °C et meurt au-delà de 30 °C) et la surexposition aux rayonnements ultra-violets due aux trous dans la couche d’ozone pourraient également participer à la destruction des récifs.
Ces surfaces coralliennes nouvellement dégradées vont progressivement être recouvertes par des gazons algaux constitués de macroalgues sur lesquelles vont à leur tour proliférer des microalgues. Parmi celles-ci, on trouve des algues de la famille des dinoflagellés nommées Gambierdiscus. Dans le Pacifique, six espèces sont décrites : G. toxicus, G.belzeanus, G.australes, G.pacificus, G.polynesiensis, G.Yasumotoi ; seule G. toxicus est à l’origine de la ciguatera. Ses conditions optimales de croissance dépendent de la température de l’eau (entre 26 et 29 °C), de la salinité (environ 35 ‰), de la luminosité (de l'ordre de 2 000 à 3 000 lux sur une photopériode de douze heures), du pH (entre 8,2 et 8,4) et de la présence de sels nutritifs (silicates et oxydes telluriques, détritus algaux) et de vitamines (B12, biotine et thiamine). Tout éloignement de ces conditions optimales de croissance entraîne un ralentissement du temps de division. L’intervention de facteurs microbiens dans la croissance des dinoflagellés a également été suggérée par leur rôle d’intermédiaires dans le métabolisme de substances provenant des macroalgues ou par l'enrichissement du milieu en dioxyde de carbone(Legrand et al.).
On estime que le délai entre la perturbation du milieu corallien et l'apparition de cas de ciguatera est de l'ordre d'une vingtaine de mois : deux à trois mois pour que les surfaces coralliennes nouvellement mises à nu soit recouvertes de gazons algaux, quatre mois avant que les premiers dinoflagellés soient observés, huit à neuf mois avant que ceux-ci n’atteignent une densité conséquente et encore au moins trois mois pour que soient décrits les premiers cas d'intoxications humaines; soit, au total, un délai d’un an et demi à deux ans (Caire et al., 1985). En l'absence d'entretien du phénomène, l’épidémie dure de dix à trente ans.
Certaines souches de Gambierdiscus toxicus (suggérant ainsi une participation génétique) dans des conditions environnementales semble-t-il différentes de celles favorisant leur croissance (présence de sels métalliques et de bactéries dans le milieu) produisent une toxine à l’origine des troubles observés au cours d’une intoxication.
La ciguatoxine est un polyéther liposoluble, thermostable, de faible poids moléculaire, considéré comme l’une des plus puissante biotoxines marines puisqu’il suffit d’à peine un microgramme pour tuer un homme. Les techniques de purification et de détection par chromatographie ont permis de d’isoler 39 ciguatoxines différentes. Elles varient selon leur origine géographique (23 ciguatoxines du Pacifique ou P-CTX, 12 ciguatoxines des Caraïbes ou C-CTX et 4 ciguatoxines de l’Océan Indien ou I-CTX), selon les espèces pisciaires et selon leur position dans la chaîne alimentaire. Elles n’ont pas encore toutes livré leur structure moléculaire. La ciguatoxine de référence, la première découverte, la plus représentée et par conséquent la plus étudiée, est la P-CTX1B ; elle sert d’étalon dans les tests de détection en laboratoire. Les ciguatoxines pénètrent la chaîne alimentaire par l’intermédiaire des poissons brouteurs de corail et des herbivores qui broutent les algues sur lesquelles sont fixées Gambierdiscus toxicus. Ces poissons sont ensuite les proies des poissons omnivores puis carnivores. Les toxines sont accumulées le long de la chaîne alimentaire, les carnivores présentent donc des taux toxiniques plus importants que les herbivores. De plus, les toxines subissent au sein des organismes pisciaires un métabolisme oxydatif les rendant plus toxiques : les ciguatoxines retrouvées chez les carnivores sont donc plus nocives que celles retrouvées chez les herbivores. Les CTX étant liposolubles, elles s’accumulent préférentiellement dans certains organes comme le foie, la tête, les gonades ; on en retrouve également dans les chairs mais à des concentrations moindres : l’excès de concentration entre les viscères et le reste des tissus (surtout le muscle) est de l'ordre de 50 à 100 chez Gymnothorax javanicus (murène javanaise). Les toxines ne semblent pas avoir d’effet majeur chez les poissons ; l’accumulation des toxines est un processus lent tout comme le sont les mécanismes de détoxifications hépatiques. Les poissons les plus vieux et les plus gros sont par conséquents ceux qui présentent le plus de risque. Tous les poissons d’ambiance corallienne sont donc potentiellement ciguatoxiques, plus de 400 espèces de poissons responsables ont été décrit, appartenant à des familles et ordres variés (57 familles, onze ordres). Certains semblent cependant exempts de risque comme les poissons pélagiques qui ne chassent qu’en pleine mer : thons, espadons, marlins, mahimahi, … ou des poissons vivant en eaux profondes. Des cas isolés ont pourtant été décrits après leur consommation suggérant la possibilité de transmission des toxines par des chaînes alimentaires annexes, non connues. L’homme s’intoxique donc en consommant ces poissons ; la survenue d’une symptomatologie dépendra de la concentration toxinique : 0,1 μg par exemple pour la PCTX1B.
Diverses autres toxines synthétisée par Gambierdiscus n’ont a priori aucun rôle majeur dans la ciguatera : maitotoxines, acides gambieriques, gambierols, ciguatérine, etc.