Signes cliniques
Il n’existe pas de signe spécifique de la ciguatera, le diagnostic est donc présomptif : en zone d’endémie, c’est la survenue de symptômes compatibles avec une intoxication dans les suites d’un repas de poisson connu pour être potentiellement ciguatoxique. La plupart du temps, il n’est pas nécessaire de réaliser de test de laboratoire. Dans la majorité des cas, les symptômes apparaissent précocement après la consommation, quelquefois dans les minutes qui suivent, le plus souvent entre une et quatre heures, plus rarement au-delà de 24 heures. Ce délai dépend de la dose de toxine ingérée (qui dépend aussi de l’espèce et de la taille du poisson), de la susceptibilité individuelle et de l’exposition antérieure aux toxines.
Les hommes sont plus souvent touchés que les femmes avec un sex-ratio de 1,5 à 1,8 selon les études. Les tranches d’âge les plus fréquemment atteintes sont les 20-40 ans, probablement du fait d’une consommation plus importante quantitativement et/ou phénomène de sensibilisation (apparition de signes d’intoxication pour des doses de toxines de plus en plus faibles).
La durée de la maladie est très variable, divers facteurs interviennent :
- plus les symptômes tardent à apparaître, plus longue sera la maladie ;
- plus sévères seront les symptômes, plus longue sera la maladie ;
- le tabac semble également prolonger la durée de la symptomatologie.
La sévérité de la maladie varie également selon divers facteurs :
- une intoxication antérieure est un facteur de risque de nouvel épisode plus sévère ;
- certaines espèces pisciaires sont associées à un risque élevé de ciguatera plus sévère ;
- la consommation du foie, de la tête et des gonades augmente également le risque ;
- plus retardée sera l’apparition des premiers signes, plus sévère sera l’intoxication.
La symptomatologie peut varier selon certains facteurs :
- La zone d’endémie : les signes nerveux sont plus fréquents dans le Pacifique que dans les Caraïbes, les hallucinations sont plus courantes dans l’océan Indien.
- L’espèce pisciaire : la consommation de poissons carnivores est liée à une plus grande fréquence de symptômes cardio-vasculaires alors que les poissons herbivores sont associés à des troubles gastro-intestinaux ou nerveux prédominants (vertiges, ataxie).
- L’ethnie : une étude réalisée en Nouvelle-Calédonie observait une plus grande fréquence de prurit, ataxie, douleurs abdominales, et asthénie chez les Mélanésiens. Les Européens semblaient présenter davantage d’hyperlacrymation, de raideur de nuque, d’arthralgies, et de sensation d'inversion thermique. Les Chinois présentaient plus de diarrhées et de douleurs abdominales. Une susceptibilité individuelle d’origine génétique pourrait expliquer ces variations, ainsi qu’une différence de comportement alimentaire.
- L’âge : fréquence plus importante de diarrhées, paresthésies péri-buccales, dysesthésies, faiblesse généralisée, bradycardie, dyspnée observée chez les patients plus âgés.
- Le sexe : les hommes souffrent plus souvent de diarrhée, de douleurs abdominales et de dysurie ; les femmes souffrent plus fréquemment d’arthralgies et de myalgies, de vertiges, de dysesthésies, de prurit.
Plus de 150 signes ont été décrits ; ils peuvent évoluer de manière isolée, coexister, se précéder ou se succéder d'une manière variable d'un individu à l'autre. Il est habituel de les classer en quatre grands pôles : digestif, nerveux, cardio-vasculaire et général.
Signes digestifs
Ils sont les premiers à apparaître mais aussi les premiers à disparaître. Ils peuvent être isolés ou au contraire être d'emblée associés à des signes nerveux :
- Douleurs abdominales diffuses.
- Nausées, vomissements.
- Diarrhée, le plus souvent aqueuse, parfois responsable de déshydratation aiguë.
- Ténesme.
- Hoquet.
Les douleurs, nausées-vomissements et diarrhées sont de loin les symptômes digestifs les plus souvent rencontrés.
Signes nerveux
Ils apparaissent en quelques jours voire en quelques heures et ce sont aussi ceux qui peuvent persister le plus longtemps. Ils durent en général quelques jours à quelques semaines, parfois des mois. Ils peuvent toucher l’ensemble du système nerveux.
Atteinte du système nerveux central
- Syndrome cérébelleux : une ataxie cérébelleuse peut être observée avec des troubles de la coordination et de l'équilibre.
- Fatigue chronique : asthénie, léthargie, troubles du sommeil avec cauchemars, réveils précoces, intolérance à l'exercice, manque de motivation, douleurs variées, céphalées quotidiennes, etc. Ce syndrome peut être lié aux dysfonctionnements touchant le système nerveux tout entier ou à un état dépressif associé. Sa sévérité n'est pas corrélée à la nature ni à la sévérité de l'intoxication.
- Syndrome dépressif : on ne sait pas si cette dépression est due aux effets de la toxine elle-même ou si elle est secondaire à la phase aiguë de l'intoxication ou au passage à la chronicité de certains symptômes.
- Hallucinations visuelles ou auditives : elles sont notablement plus fréquentes dans l'océan Indien.
- Céphalées, vertiges, étourdissements, ...
- Fonctions cognitives et psychologiques : ne semblent pas être atteintes.
Atteinte du système nerveux périphérique
- Paresthésies : à type de picotements, engourdissements, fourmillements. Elles sont observées surtout au niveau des extrémités, du visage (péri-orales, labiales, linguales, pharyngées) et parfois en région péri-anale. Il s’agit d’un des symptômes les plus fréquemment observés.
- Dysesthésies : elles sont également fréquentes et considérées comme un des signes les plus évocateurs de la ciguatera. Le patient se plaint de sensations de brûlure ou de décharges électriques au contact d'objets froids : la douche froide paraît bouillante, les objets froids brûlent la main, ... Souvent, ce symptôme est improprement appelé « inversion de la sensation thermique » ou « inversion de la sensibilité chaud-froid » alors que les liquides ou objets chauds ne déclenchent pas de symptôme particulier. Les dysesthésies peuvent également être décrites comme une impression de percevoir toutes les boissons comme gazeuses. Selon certaines études, les dysesthésies du visage pourraient être le marqueur d'une intoxication plus sévère.
- Ataxie : par atteinte de la sensibilité profonde, elle peut être responsable d'une ataxie et expliquer des troubles de la marche.
- Faiblesse ou fatigabilité musculaire voire parésies.
- Abolition ou diminution des réflexes ostéo-tendineux.
- Atteinte des nerfs crâniens.
D’autres symptômes peuvent mettre en jeu le pronostic fonctionnel voire le pronostic vital :
- Troubles de la déglutition.
- Convulsions.
- Troubles de la conscience.
- Coma.
- Paralysie de la fonction respiratoire par fatigabilité des muscles inspiratoires et du diaphragme, ou par atteinte du système nerveux autonome.
- Neuropathies périphériques de type polyneuropathies. Le pronostic peut être mis en jeu par une paralysie des muscles respiratoires et des troubles de la déglutition. Ces cas peuvent faire évoquer un diagnostic comme le syndrome de Guillain-Barré. L'électromyogramme peut montrer des signes de dénervation (fasciculations, rares potentiels de fibrillation, tracés neurogènes pauvres dans les muscles déficitaires) et des signes de démyélinisation (baisse des vitesses de conduction, augmentation des latences distales). La biopsie nerveuse montre une atteinte démyélinisante et/ou une infiltration œdémateuses des fibres.
Signes cardio-vasculaires
Ils sont habituellement considérés comme faisant toute la gravité de l’intoxication. Lorsqu’ils sont présents, ils surviennent de façon précoce mais ils durent rarement plus d’une semaine. On observe le plus souvent :
- Bradycardie sinusale inférieure à 60/mn.
- Hypotension artérielle.
- Hypotension orthostatique pouvant persister jusqu'à quatre semaines.
Beaucoup plus rarement sont observés une hypertension, une tachycardie, un assourdissement des bruits du cœur, des troubles du rythme à type d'extrasystoles ventriculaires ou supraventriculaires, des bradyarythmies, des troubles de la conduction à type de bloc auriculoventriculaire du premier degré. Dans les cas graves, on peut observer un état de choc lié à une défaillance cardio-circulatoire pouvant être majorée par un état de déshydratation aiguë.
Signes généraux
Certains sont couramment observés, d’autres sont anecdotiques.
- Myalgies : en particulier les gros groupes musculaires. Deux cas de polymyosite ont même été décrits aux États-Unis chez des patients intoxiqués par la ciguatera quelques années auparavant. Était-ce une forme clinique évolutive exceptionnelle ou un hasard (sachant que l’incidence de ces deux affections est faible [un cas de ciguatera /2000 touristes des régions tropicales par an aux USA ; un cas de polymyosite /125 000 habitants par an aux USA], d’autant que l’on ne comprend pas par quel mécanisme la CTX interviendrait) ?
- Arthralgies : elles touchent surtout les grosses articulations, particulièrement les genoux, les chevilles, les épaules et les coudes.
- Prurit : il constitue l’un des maîtres-symptômes de la ciguatera, à tel point qu'il a donné son nom à la maladie en Nouvelle-Calédonie : « la gratte ». Ce sont les paumes des mains et plantes des pieds qui sont les plus souvent atteintes. Le prurit peut parfois être généralisé, notamment après l'ingestion d'alcool ou suite à un exercice physique important, c’est-à-dire lorsque le flux sanguin cutané est augmenté. Les démangeaisons peuvent être très sévères et occasionner des lésions de grattage avec leur lot de complications : excoriations, abcès, cellulites, cicatrices, lichenification.
- Éruptions cutanées : lésions éruptives non spécifiques érythémato-papuleuses, avec parfois une desquamation lors de la phase de guérison.
- Frilosité, frissons sans fièvre.
- Hypersudation, hypersalivation, hyperlacrymation, rhinorrhée.
- Raideur de nuque.
- Dysurie, rétention aigüe d'urines.
- Goût métallique dans la bouche, douleurs dentaires, sensation de dents qui se déchaussent, douleurs gingivales.
- Hydrophobie.
- Dyspnée asthmatiforme.
- Flou visuel voire perte de vision transitoire, ophtalmoplégie, diplopie, douleurs rétro-oculaires, injection conjonctivale, photophobie, mydriase ou myosis, ptosis.
- Prurit vulvaire, dyspareunie (certaines femmes dont les symptômes sont chroniques ressentent une recrudescence des troubles au moment de leurs règles).
- Douleurs péniennes lors de l'érection avec intensification au moment de l'éjaculation, pouvant empêcher l'homme d'avoir des relations sexuelles pendant plusieurs semaines. Douleurs testiculaires, urétrites avec sensibilité du méat.
Cas particuliers
- Douleurs péniennes ou douleurs vulvaires chez les partenaires sexuels de personnes intoxiquées. À chaque fois, seule cette voie de contamination était retrouvée : aucun antécédent de ciguatera, pas de repas de poisson, ...
- Chez les femmes enceintes : peu d'études existent, seulement quelques cas rapportés. Il ne semble pas y avoir d'effet tératogène des ciguatoxines chez l’homme contrairement à la tétrodotoxine. Quelques cas d'avortements ou de naissances prématurées sans autre cause évidente ont été signalés. Une mère intoxiquée en début de grossesse (16è semaine d’aménorrhée) a ressenti une augmentation des mouvements fœtaux pendant cinq heures ; à la naissance, l’enfant était en bonne santé et son examen clinique à dix mois de vie était normal. Une autre mère, intoxiquée en fin de grossesse (36è semaine d’aménorrhée) a également ressenti une augmentation des mouvements actifs fœtaux pendant une durée de 24 heures et, lors de la naissance de l'enfant par césarienne, celui-ci présentait une paralysie faciale gauche et une fatigabilité des mains. Cet enfant était normal au bout de six semaines mais il n'avait toujours pas souris.
- Chez les femmes allaitantes : on note une hyperesthésie du mamelon rendant l'allaitement douloureux et difficile. De plus, des cas de transmission de la mère à son enfant ont été observés (diarrhées, coliques, rash maculo-papuleux, comportement inhabituel ou irritable du nourrisson quelques heures après la tétée).