La cryonie ou cryogénisation (souvent confondue à tort avec la cryogénie), est un procédé de cryoconservation (conservation à très basse température) d'humains ou d'animaux dont la subsistance ne peut plus être médicalement assurée, dans l'espoir de pouvoir les ressusciter ultérieurement. Dans l'état actuel du savoir-faire médical, le procédé n'est pas réversible. Aux États-Unis, il ne peut être pratiqué que sur des humains pour lesquels un certificat de décès a été signé, et si le stade de mort clinique n'est pas encore trop avancé. La cryonie est toujours perçue de nos jours avec scepticisme par la plupart des scientifiques et médecins. Cependant, parmi les militants, se trouvent bon nombre de chercheurs qui espèrent de grandes avancées dans la médecine, notamment dans les nanotechnologies, qui pourraient permettre la régénération des tissus et des organes au niveau moléculaire, voire inverser les effets du vieillissement ou des maladies.
L'argument de base en faveur de la cryonie est que la mémoire, la personnalité et l'identité sont stockées dans la structure chimique du cerveau. Mais bien que cette hypothèse soit communément acceptée en médecine, et que l'on sait que l'activité cérébrale peut rester un moment à l'arrêt et reprendre ensuite, l'idée de pouvoir conserver un cerveau avec les méthodes actuelles de façon suffisamment satisfaisante pour permettre sa résurrection reste mal acceptée. Les partisans de la cryonie mettent pourtant en avant des études qui laisseraient à penser que les fortes concentrations en cryoconservateurs circulant dans le cerveau avant son refroidissement peuvent empêcher son endommagement et feraient se conserver la structure fine des cellules qui seraient le siège supposé de la mémoire et de l'identité.
Pour les opposants, la pratique actuelle de la cryonie ne devrait pas pouvoir se justifier, compte tenu des limitations actuelles de la technologie : à l'heure actuelle, on n'arrive à cryoconserver de façon réversible que les cellules, les tissus, les vaisseaux sanguins et de petits organes d'animaux. Certaines grenouilles peuvent effectivement survivre quelques mois à l'état de congélation à quelques degrés Celsius en dessous de zéro, mais ce n'est plus vrai si elles sont cryoconservées. À cet argument, les partisans répondent que la démonstration de la réversibilité n'a pas à être apportée aujourd'hui : s'il est déjà possible de préserver les informations contenues dans le cerveau, on aura théoriquement empêché sa mort en attendant que la restauration soit possible ultérieurement.
Le patient cryonisé le plus célèbre est probablement le joueur de baseball Ted Williams. La rumeur disant que Walt Disney serait cryonisé est fausse, celui-ci ayant été incinéré et ses cendres placées au Forest Lawn Memorial Park Cemetery à Los Angeles. Robert Heinlein, qui était un enthousiaste du concept, fut également incinéré et ses cendres dispersées dans l'océan Pacifique. Timothy Leary, un partisan de longue date de la cryonie, entreprit des démarches pour se faire cryoniser, mais changea d'avis peu avant sa mort.
La cryonie a traditionnellement été écartée par la cryobiologie, dont elle est une sous-branche. La raison la plus souvent donnée est que le procédé de congélation crée des cristaux de glace qui, selon certains scientifiques, endommageraient les cellules et structures cellulaires au point de rendre toute réparation ultérieure impossible. Cependant, les cryonistes ont longtemps soutenu que la portée de ces dégâts avait été grandement exagérée par leurs adversaires et supposent qu'en injectant le corps avec des cryoconservateurs chimiques (traditionnellement du glycérol), il devrait être possible d'inhiber la germination et la croissance des cristaux de glace.
Selon les cryonistes, l'argument de l'endommagement dû à la formation de cristaux de glace est devenu invalide lorsqu'au début du XXIe siècle, les cryobiologistes Greg Fahy et Brian Wowk, de Twenty-First Century Medicine, développèrent d'importants perfectionnements dans la technologie de cryoconservation, en élaborant de nouveaux cryoconservateurs et leurs mélanges, améliorant la faisabilité de la vitrification, aboutissant ainsi à la quasi-disparition de la formation de cristaux de glace dans le cerveau. La vitrification permet de protéger les tissus, ceux-ci se conservant mieux dans un état vitreux que dans la glace étant donné que les molécules ne cherchent plus à se réarranger en changeant d'état, mais restent comme dans un fluide qu'on aurait figé, formant une sorte de « solide liquide » tandis que la température chute en dessous de la température de transition vitreuse (Tg). L'Alcor Life Extension Foundation a depuis lors essayé de trouver des applications pratiques à ces cryoconservateurs et cherché à développer une nouvelle méthode plus rapide pour vitrifier un cerveau humain dans sa totalité (neurovitrification). Le Cryonics Institute utilise une solution vitrifiante élaborée par le Dr Yuri Pichugin, un chercheur interne, et a développé un système réfrigérant assisté par ordinateur qui permet de s'assurer que le taux de refroidissement soit élevé au-dessus de Tg et faible en dessous, afin de réduire la création de fissures qui pourraient se produire à cause des contraintes thermiques.
Les solutions utilisées actuellement pour la vitrification sont suffisamment stables pour éviter la cristallisation, même lorsqu'un cerveau vitrifié est réchauffé, ce qui a permis de faire des études sur les dégâts des cerveaux vitrifiés, puis ramenés à température normale à l'aide d'observations au microscope optique et au MEB qui révélèrent l'absence d'endommagement dû aux cristaux de glace. Cependant, si l'irrigation du cerveau venait à être compromise, les produits conservateurs ne seraient plus capables d'atteindre toutes les zones, ce qui conduirait à la formation de glace pendant le refroidissement ou le réchauffement. Les partisans de la cryogénie pensent que les dégâts occasionnés lors du refroidissement pourront peut-être être réparables avant de réchauffer le cerveau, et que l'endommagement produit lors du réchauffement pourra probablement être atténué par l'ajout de cryoconservateurs lors de l'état solide, ou en améliorant les procédés de décongélation. Mais la meilleure vitrification disponible actuellement ne permet toujours pas la résurrection, même en évitant la cristallisation, en raison de la toxicité des cryoconservateurs utilisés. Là encore, les cryonistes misent sur la technologie future qui pourra franchir cet obstacle. Si, par exemple, les produits venaient à dégénérer les protéines, peut-être pourront-elles être réparées ou remplacées.
Certains détracteurs ont avancé l'argument que, si un patient avait été déclaré mort, ses organes devaient l'être également, ce qui devait empêcher les cryoconservateurs d'atteindre la majorité des cellules. Cependant, les cryonistes rejettent cette thèse, avançant qu'il a été empiriquement démontré que tant que l'opération de cryoconservation a commencé immédiatement après le constat de mort, les organes individuels, et peut-être même tout le corps du patient, restaient encore biologiquement vivants, et que la vitrification, notamment celle du cerveau, était d'ores et déjà faisable. C'est ce qui permet aux organes, comme le cœur, d'être transplantés alors que leur donneur est déjà mort lors du prélèvement.
Les opérations cryoniques ne peuvent pas être entreprises avant que la mort légale n'ait été déclarée, celle-ci étant en général basée sur l'arrêt cardiaque (ou plus rarement sur un encéphalogramme plat). Mais avec l'arrêt du cœur, le flot sanguin s'interrompt et l'endommagement ischémique survient : privés d'apport en oxygène et en nutriments, les cellules, les tissus et les organes commencent à se détériorer. Si le cœur redémarre après un délai trop long d'inactivité, l'oxygène réintroduit peut causer encore plus d'endommagement à cause des contraintes oxydatives, connues sous le nom de lésions de reperfusion. Les cryonistes tentent de minimiser les lésions de reperfusion et ischémiques en refroidissant le corps et en le plaçant sous support cardio-respiratoire dès l'annonce de la mort. Des produits anticoagulants, comme l'héparine, et des antioxydants peuvent également être injectés. La compagnie Suspended Animation, Inc est une compagnie de Floride spécialisée dans la recherche et la mise au point de procédés minimisant les lésions ischémiques lors d'un sauvetage cryonique.
Il est presque universellement accepté par les scientifiques que la réversibilité de la cryoconservation n'est pas envisageable à court terme. Ceux qui croient en la résurrection par cryonie regardent principalement du côté de la bioingénierie, des nanotechnologies moléculaires ou de la nanomédecine. La résurrection nécessite la réparation des dommages dus au manque d'oxygène, à la toxicité des cryoconservateurs, aux contraintes thermiques, et aux cristaux de glace formés dans les tissus qui n'auront pas pu se vitrifier avec succès. Dans bien des cas, cela impliquera d'importantes régénérations des tissus. Les scénarios actuels pour y parvenir envisagent généralement l'utilisation d'organismes ou de machines microscopiques qui pourraient restaurer les structures cellulaires, ainsi que la chimie, le tout à l'échelle moléculaire, si possible avant même de réchauffer le corps. Le transfert d'esprit a également été suggéré comme approche, dans le cas où la technologie qui serait capable de scanner la mémoire d'un cerveau préservé verrait le jour.
L'idée a souvent été avancée que la résurrection serait un cas de dernier entré, premier sorti : tandis que les méthodes de conservation s'amélioreront jusqu'à ce que l'on découvre un moyen d'inverser l'opération, il faudra développer des techniques pour ramener à la vie ceux qui ont été conservés par des moyens plus primitifs. Il faudra peut-être des siècles pour trouver un moyen d'inverser le procédé actuel combinant neurovitrification et refroidissement. Peut-être même que ce sera impossible.
Il a été émis l'idée que si les technologies pour l'analyse et la réparation moléculaire venaient à être développées, il serait alors théoriquement possible de régénérer n'importe quelle partie du corps endommagée. La survie dépendrait alors de la conservation de l'information dans le cerveau, qui doit pouvoir être suffisamment bien conservé pour permettre de restaurer l'identité du patient, ce qui ferait de l'amnésie l'ultime frontière entre la vie et la mort.
Quand bien même la cryonie serait scientifiquement certaine, il est également des obstacles d'ordre social. Le plus évident est la croyance que la cryonie est impossible, et celle que les cryonisés sont morts. Bien qu'il faille redéfinir la définition légale de la mort pour que la cryonie puisse être utilisée, il reste à vaincre le sentiment de futilité devant de telles méthodes : par coutume et par loi, les corps de personnes mortes sont des objets et n'ont ni droits ni possessions. Cet obstacle culturel qu'est la dépersonnification du mort est combattu par les défenseurs de la cryonie en utilisant des termes plus flatteurs, comme « patient » et soutiennent l'idée qu'il est immoral de considérer les personnes cryonisées comme mortes, bien que ce soit leur état physique et légal actuel.
À cet obstacle s'ajoute la question de savoir si la société à venir aura intérêt à s'occuper ou à ressusciter des « morts ». À ceci, les cryonistes font remarquer qu'un sous-ensemble de la société s'occupe déjà des patients cryonisés, et ce, depuis des décennies. Ceci laisserait entendre qu'à supposer que la résurrection soit un jour possible, ce même sous-ensemble l'exécuterait sur les personnes déjà cryonisées. Il est également souvent avancé l'idée qu'une société future qui serait suffisamment avancée pour inverser le processus aurait probablement des vues de la vie et de la mort différentes d'aujourd'hui. Les partisans de la cryonie rejettent donc généralement la notion de « ressusciter les morts » et prônent plutôt la cryonie comme une procédure médicale expérimentale. Il a également été soutenu que la société future pourrait avoir intérêt à ressusciter des patients cryonisés à des fins historiques ou intellectuelles, quoique de toute façon l'obligation morale d'apporter des soins aux malades devrait s'appliquer quelle que soit la valeur intellectuelle mise en jeu.