C’est au milieu de XIXe siècle que sont construits en Suisse les grands hôpitaux qui ont marqué l’histoire des patients psychiques et celle de la psychiatrie : le Burghölzli à Zurich, Préfargier à Neuchâtel en 1849, la Waldau à Berne en 1855, Cery à Lausanne en 1873. Ces institutions vont être reconnues par la faculté de médecine, développer et appliquer des traitements à la fois plus scientifiques et plus humains : la psychologie, l’ergothérapie, les médicaments calmants. Les grands noms suisses sont Eugène Bleuler, Auguste Forel, Jean Piaget, Hermann Rorschach, Adolph Meyer. Malheureusement pour les patients, ces institutions n’ont pas toujours su éviter des aventures dangereuses comme celle de la psychochirurgie, errances d’apprentis sorciers prétentieux et irresponsables (Gottlieb Burckhardt, 1888, Préfargier).
Un rapport de 1874, concernant Cery, montre à quel point le vent a tourné. Il y est fait état d’un certain nombre d’évasions mais, celles-ci étant liées à une plus grande liberté laissée aux malades, c’est un petit mal pour un grand bien. L’augmentation du personnel, ajoute le rapport, a permis de réaliser ce que chacun souhaitait depuis longtemps : la suppression graduelle des moyens de rigueur telles qu’entraves, camisoles de force, douches par contrainte, etc.
Le directeur type est un médecin énergique, bienveillant et paternaliste, qui habite l’institution avec sa famille et se bat pour obtenir de l’État les moyens financiers nécessaires pour un meilleur traitement des malades. Cery a eu longtemps des problèmes d’adduction d’eau, à cause de sources insuffisantes. Est-ce pour cette raison que l’hôpital consomma, par exemple en l’année 1900, 28 720 litres de vin blanc et 700 de rouge? On achète pourtant une machine à préparer l’eau gazeuse et la limonade.
Jean-Étienne Esquirol a retrouvé, un siècle et demi plus tard, après la Révolution française, ces mendiants et malades mentaux enfermés pour leur bien :
S’il est vrai que Pinel a désenchaîné les patients des asiles parisiens, il ne faut pas croire que cela a signifié, en France, la fin de la contention à l’égard des patients psychiques. Les patients sont restés enfermés dans les asiles, avec la panoplie des traitements médico-baroques plus ou moins sophistiqués pratiqués pendant tout le XIXe siècle. Ce qui frappe, quand on étudie cette époque, c’est que la plupart des traitements prétendument thérapeutiques sont aussi utilisés pour intimider, terroriser et punir, pour faire régner l’ordre dans l’asile.
Tels sont notamment les bains froids ou chauds prolongés, les purgatifs et émétiques, les saignées, les irritants, le fauteuil rotatoire, le bain de surprise, les attachements, les isolements, les galvanisations et autres électrothérapies. Les médecins eux-mêmes ne craignent pas de le dire. Par exemple, dans un ouvrage paru en 1859, un certain Dr Teilleux écrit :
Le film : Vol au-dessus d'un nid de coucou, montre que ces pratiques ont perduré fort longtemps. (Cf. le livre de Pierre Morel, psychiatre, et Claude Quetel, historien : Les médecines de la folie).
Pourtant, dans toute l’Europe, se fait jour la volonté politique d’améliorer le sort des malades mentaux internés. Pestalozzi fut l’un de ceux qui luttèrent contre les traitements inhumains qui leur étaient infligés. Dans le canton de Vaud, le Grand Conseil vote en 1810 la création d’un hospice des aliénés. A Lausanne, on aménage une ancienne propriété située au Champ-de-l’Air, en bordure de la route de Berne « dans une situation très agréable et très salubre, dont la vue embrasse tout le bassin du Léman ».
En 1830, le directeur du Champ-de-l’Air, Charles-Albert Perret-Porta, a sous ses ordres trois infirmiers, deux infirmières, une cuisinière et un boulanger. Voici ce qu’il dit de son asile, qui accueille à ce moment une centaine de malades :