Le 25 mai 1720, le bateau le Grand-Saint-Antoine en provenance du Proche-Orient arrive à Marseille au terme d'une longue navigation. Il apporte un précieux chargement d'étoffes de soie et de balles de coton, pour une valeur de 300 000 livres destinées à être vendues à la foire de Beaucaire de juillet.
Une partie de la cargaison appartient à plusieurs notables de Marseille dont le premier échevin Jean-Baptiste Estelle et le capitaine du navire Jean-Baptiste Chataud. Le bateau avait été armé par Ghilhermy et Chaud, Jean-Baptiste Estelle, Antoine Bourguet et Jean-Baptiste Chataud, intéressés chacun pour un quart. Comment ce vaisseau qui apporte la peste a-t-il pu être contaminé ?
Le Grand-Saint-Antoine quitte Marseille le 22 juillet 1719 et relie successivement Smyrne, Larnaca (Chypre), et Saïda (Liban). Dans cette ville il embarque des tissus de soie et des sacs de cendre destinés au lest et afin d'absorber l'humidité des cales pour assurer une meilleure conservation des précieuses étoffes. Cette cendre se vendait à Marseille aux savonneries qui l'incorporaient dans leurs fabrications. En 1978 des plongeurs qui avaient repéré l'épave du Grand Saint-Antoine au large de l'île Jarre ont remonté des échantillons de cendre. Le consul Poullard, qui ignore que la peste sévit à Damas, délivre une patente nette alors que le chargement est probablement contaminé. Le navire arrive à Tyr (aujourd'hui Sûr), et complète sa cargaison par de nouvelles étoffes probablement aussi contaminées. Le navire reprend la mer, mais doit faire escale à Tripoli (Liban) pour remédier à des dégâts causés par une violente tempête. Le vice-consul de Tripoli, Monhenoult, délivre également une patente nette. Le 3 avril 1720 le navire se dirige sur Chypre après avoir embarqué quatorze passagers. Le 5 avril un Turc meurt à bord et son cadavre est jeté à la mer. Les passagers descendent à Chypre et le navire repart le 18 avril 1720 en direction de Marseille. En cours de route meurent successivement cinq personnes dont le chirurgien de bord.
L'alerte est grave et le capitaine Chataud décide de s'arrêter alors dans la rade du Brusc à proximité de Toulon. Cette rade bien abritée par l'île des Embiez, constitue un mouillage forain apprécié des navigateurs depuis l'Antiquité. Il s'agit en effet de l'ancienne Tauroentum. Les raisons de cette escale sont assez mystérieuses, mais certains historiens estiment que Chataud a voulu prendre l'avis des propriétaires de la cargaison pour fixer la conduite à tenir.
Le Grand-Saint-Antoine fait alors demi-tour pour rejoindre Livourne où il arrive le 17 mai. Les Italiens interdisent l'entrée du navire dans le port. Cette précaution est d'autant plus judicieuse que le lendemain trois personnes décèdent à bord. Les cadavres sont examinés par des médecins qui concluent à une « fièvre maligne pestilentielle » ; ce terme ne doit pas prêter à confusion, car pour les médecins de l'époque il ne désigne pas la peste. Les autorités de Livourne mentionnent au dos de la patente de Tripoli qu'elles avaient refusé l'entrée du navire dans le port à cause de la mortalité d'une partie de l'équipage, en raison de cette fièvre.
Le navire retourne alors vers Marseille : il y a eu depuis le départ de Tripoli neuf décès à bord.
À son arrivée le capitaine Chataud se rend au bureau de santé faire sa déclaration à l'intendant semainier Tiran. Il produit les patentes nettes et ne peut que l'informer des décès survenus durant la traversée. Le 27 mai, deux jours seulement après l’arrivée du navire, un matelot meurt à bord. Le bureau de santé, à l'unanimité décide d'envoyer le bateau à l'île de Jarre, puis se ravise et dans une seconde délibération, décide de faire transférer le cadavre aux infirmeries pour examen et d'envoyer le navire à l'île de Pomègues, dans l'archipel du Frioul. Le 29 mai ce même bureau décide, fait inhabituel, de faire débarquer aux infirmeries les marchandises de valeur tandis que les balles de coton doivent être transférées à l'île de Jarre.
Le 3 juin le bureau revient sur sa position et prend une décision encore plus favorable aux propriétaires de la cargaison : toutes les marchandises seront débarquées aux infirmeries. Si aucune preuve écrite n'existe, il est probable que des interventions ont eu lieu pour faire adopter la réglementation la moins contraignante ; il est impossible de connaître les personnes qui sont réellement intervenues, mais l'intrication des intérêts des familles de négociants et des autorités qui dirigeaient la ville suffisent à comprendre les raisons de ces nombreuses négligences. La déclaration du capitaine Chataud est falsifiée par addition d'un renvoi indiquant que les membres d'équipage décédés en mer sont morts de mauvais aliments. Les intendants de santé ont probablement voulu sauver la cargaison destinée en partie à la foire de Beaucaire qui devait avoir lieu le 22 juillet 1720. Le 13 juin, veille du jour de sortie de quarantaine des passagers, le gardien de santé du vaisseau meurt. Le chirurgien de service du port, Gueirard, examine le cadavre et conclut à une mort par vieillesse, sans observer des marques de peste.
Un mousse tombe malade et meurt le 25 juin. À partir de ce jour plusieurs portefaix qui ont manipulé les ballots de coton décèdent. Le bureau de santé s'inquiète très sérieusement et décide de transférer le vaisseau à l'île de Jarre, de faire brûler les hardes des personnes décédées et d’enterrer les cadavres dans de la chaux vive. Mais ces mesures arrivent trop tard car des tissus sortis en fraude des infirmeries ont déjà transmis la peste dans la ville.