René Huchon - Définition

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Portrait de René Huchon par Marguerite-Marie Dubois

M.-M. Dubois, qui a signé le portrait de R. Huchon (1965).

Marguerite-Marie Dubois, étudiante de René Huchon, lui succéda en janvier 1941 à la Sorbonne à titre de chargée de conférences.

Le professeur

J'ai commencé à assister aux cours de René Huchon en novembre 1933. Dès l'abord, il m'a paru très froid, très sévère, très exigeant, très redoutable ; et, de fait, il terrorisait tout le monde. Mais quelle érudition et quelle clarté d'enseignement ! J'admirais son sens pédagogique. Il parlait de façon mesurée, simple, concise ; il ne refusait pas de répéter, d'élucider. Jamais il ne manifestait d'impatience, jamais non plus de satisfaction. Il estimait normaux l'attention, l'effort, le bon vouloir, la réussite des étudiants qu'il interrogeait au hasard, comme dans le Secondaire, et qui devaient pouvoir répondre à n'importe quelle question. Habile utilisateur de nos capacités, il savait nous familiariser avec les langues germaniques et indo-européennes, en faisant appel à nos connaissances de latin et de grec, car nous étions presque tous de formation classique.

Le directeur de recherches

Lorsqu'en juillet 1937 j'ai obtenu la licence d'anglais en passant le certificat de philologie, René Huchon me conseilla de faire un mémoire de D. E .S. sur la langue et le style dans les Homélies d'Ælfric. Ses conseils étaient toujours des ordres. Il ne s'embarrassait pas des desiderata de l'étudiant, et il fixait le sujet de recherche, après avoir écarté, sans aucune violence mais sans aucune considération, les propositions qui pouvaient lui être faites. Cette attitude ne relevait en rien du despotisme, car il n'usait jamais de contrainte. Il réfléchissait extrêmement vite pour aboutir à une décision, excellente, la meilleure à coup sûr. Aussitôt, il exposait son point de vue, en laissant le candidat virtuellement libre, mais en refusant toute autre proposition. On acceptait tout de suite, ou on se retirait. Piquée au vif, j'acceptai. Huchon précisa : « Puisque votre travail écrit sera entièrement consacré à l'anglo-saxon (c'est ainsi qu'on appelait alors le vieil anglais), votre oral ne portera que sur le moyen anglais. J'aménagerai votre programme en conséquence ». Ce qui fut fait, et je respectai ses indications, très précises et indiscutables. Huchon ne dirigeait pas, au sens strict du terme ; il définissait les grandes lignes de recherche ; il demandait un certain nombre d'investigations dans des directions précises ; puis, sur plan détaillé, avec dix fiches remplies et un rapport global, il contrôlait l'état des travaux, avant d'autoriser la rédaction dont il ne voyait pas une ligne avant la date de l'examen. Je remplis ma tâche, en cherchant non sans mal les documents adéquats et en me familiarisant peu à peu, sans guide, avec les ressources des bibliothèques. Durant l'année de préparation, le maître s'était montré satisfait, en ce sens qu'il m'avait chaque fois rendu en silence, sans aucune correction ni suggestion, les feuillets que je lui avais remis. Ce mutisme était le compliment suprême !

En juillet 1938, je présentai mon mémoire, dactylographié par moi, avec des caractères spéciauxet, quelques jours plus tard, je passai l'oral.

Syððan wæs geworden þæt he ferde þurh þa ceastre and þæt castel: godes rice prediciende and bodiende. and hi twelfe mid. And sume wif þe wæron gehælede of awyrgdum gastum: and untrumnessum: seo magdalenisce maria ofþære seofan deoflu uteodon: and iohanna chuzan wif herodes gerefan: and susanna and manega oðre þe him of hyra spedum þenedon.
« Quelque temps après, Jésus se rendit dans les villes et les villages pour y proclamer et annoncer la Bonne Nouvelle du royaume de Dieu. Il était accompagné des Douze et de quelques femmes qu'il avait délivrées de mauvais esprits et guéries de diverses maladies : Marie, appelée Marie de Magdala, dont il avait chassé sept démons, Jeanne, la femme de Chuza, administrateur d'Hérode, Suzanne et plusieurs autres. Elles assistaient Jésus et ses disciples de leurs biens. »
Traduction de l'évangile de Luc 8:1-3 (Lc 8),
trad. La Bible du Semeur.

D'emblée, Huchon, qui trône dans son bureau de la rue de l'École de Médecine, me tend un volume assez récent de la Early English Text Society : The Exeter Book, dans l'édition de Krapp et Dobbie, exactement le troisième des six volumes des Anglo-Saxon Poetics Records, corpus de la poésie anglo-saxonne actuellement cité sous le sigle ASPR. Et il l'ouvre à une page déjà marquée. Il s'agit de Riddle 5 (« Énigme 5 ») : « Préparez les quatre premier vers », me dit-il. Du vieil-anglais ? Un texte que je n'ai jamais vu ? J'ose objecter : « Monsieur, vous m'aviez donné du moyen-anglais pour… ». Il m'interrompt : « Vous analysez convenablement la prose anglo-saxonne ; je voudrais voir ce que vous pouvez faire en poésie ». À nouveau je bredouille : « Je ne connais pas les Énigmes ». — « Je sais. Vous ferez connaissance. Allez ! » Impossible de fuir. J'affronte. Et à la fin, j'entends : « Merci. Vous pouvez vous retirer. »

Le lendemain de mon succès au D. E. S., René Huchon me convoqua pour m'inscrire d'office en Doctorat. Il avait choisi le sujet de mes deux thèses, l'une sur Ælfric, l'autre sur Cynewulf. Je commençais les recherches, seule, livrée à moi-même, afin d'être jugée digne ou non du titre convoité. Puis, la guerre éclata, s'étendit. Je dus quitter Paris, évacuée dans le Berry. Les contacts avec mon maître se firent rares mais féconds.

L'épreuve de la défaite

Toutefois, au fur et à mesure du temps, la guerre devenait meurtrière ; les revers militaires se succédaient. L'année 1940 fut décisive : le 28 mai, après dix-huit jours de combat, la Belgique capitulait. Témoin de la première guerre mondiale, Huchon supportait fort mal les nouvelles hostilités ; l'avance des troupes ennemies lui était intolérable. En outre, l'inquiétude pour son fils mobilisé minait ses forces. L'anéantissement de la Pologne, l'invasion de la France, la démission des hommes politiques le remplirent de dégoût. Par malheur, sa santé se délabra ; il fit une crise d'urémie, ce qui aggrava son état dépressif. Parti avec sa famille pour Bordeaux, errant parmi les fugitifs de l'exode jusqu'au Lot-et-Garonne, désemparé, épuisé, brusquement il faussa compagnie aux siens, lorsque la T. S. F. porta à la connaissance de tous que la France s'avouait vaincue. Incapable de supporter la défaite, il mit fin à ses jours à Thivars, acte patriotique par excellence. Dans une lettre, Madame Huchon m'avertit de la disparition de son mari, qui avait emporté un révolver :

« […] disparition survenue le jour même de l'armistice, en une petite commune du Lot-et-Garonne où la vague des reculs devant l'ennemi nous avait échoués. Brisé de fatigue, meurtri dans ses plus chers espoirs, il n'aura pu résister au choc final, et il nous a quittés pour ne plus revenir… les enquêtes n'ont retrouvé aucune trace… »

.

En effet, on ne le découvrit mort que le 25 octobre 1940.

La succession

Comme approchait la rentrée universitaire qui avait alors lieu en novembre, il parut impossible aux autorités d'attendre plus longtemps pour assurer les cours de philologie anglaise. Et l'on fit appel à moi. Sans doute y eut-il de délicates et longues tractations entre la Faculté des Lettres et le Ministère de l'Éducation Nationale puisque je ne pouvais être nommée suppléante sans être docteur, et que le corps des assistants n'était pas encore créé. Je fus donc recrutée en tant que chargée de conférences.

Un suicide patriotique parmi d'autres

Gyp, comtesse de Martel.

Mort par suicide lors de l'armistice de juin 1940, René Huchon a peut-être suivi l'exemple du Docteur Georges Basch, fils de Victor Basch (1863-1944), ancien président de la Ligue des droits de l'homme (1926), qui mit lui aussi un terme à ses jours en juin 1940 pour les mêmes raisons patriotiques.

Un autre suicide, célèbre, fut celui du docteur de Martel (Comte Thierry de Martel de Janville) [7 mars 1875-14 juin 1940], pionnier de la neurochirurgie française, propriétaire de grands hôpitaux à Paris (la Glacière et Léopold Bellan) qui, le jour où Paris fut déclarée ville ouverte, préféra se donner la mort plutôt que de voir les Allemands défiler sur les Champs Élysées. Sa mère, née Gabrielle de Riquetti de Mirabeau, écrivait sous le pseudonyme de Gyp.

Louis Chaffurin (31 mars 1881–13 octobre 1943), personnalité originale de l'enseignement secondaire, élève d'Émile Legouis à Lyon (1885-1904), agrégé en 1906, précepteur à New-York du directeur du New-York World (1906-1907), enseigna en France aux lycées de Lorient (1907), de Bastia (octobre 1907), de Toulon (octobre 1908), de Lyon (octobre 1910), de Paris (à Buffon et à Condorcet, 1919-1920) et à l'École des Hautes Études Commerciales (HEC) (1921). Auteur de célèbres manuels d'anglais, il fut retraité le 31 mars 1941, et on a pu certifier que « la guerre fut en partie la cause de sa mort ; il ne pouvait voir sombrer tout ce que pourquoi il avait vécu ».

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