Etat des lieux
Le saturnisme aviaire est aujourd'hui reconnu par les ornithologues et écotoxicologues comme une cause les plus graves et les plus fréquente de mortalité par empoisonnement d'animaux sauvages et parfois domestiques ou de compagnie. Les oiseaux s'empoisonnent aussi en se nourrissant dans ou à proximité de sites de ball-trap, tir dit sportif, ou d'entrainnement au tir. Mais il n'a été formellement identifié comme tel que bien plus tardivement que le saturnisme direct touchant l'Homme. Et il semble encore être sous-estimé par une grande partie de la population et des experts en santé publique.
Au vu des nombreuses études réalisées depuis les années 1950, le plomb de chasse apparait être une cause générale et majeure d'empoisonnement chez les oiseaux sauvages (l'une des premières causes, avec les pesticides), notamment en Europe où la chasse au plomb est pratiquée abondamment depuis plus d'un siècle, et est pour longtemps (sauf analyse de la viande) une source de risque sanitaire pour la santé des consommateurs de gibier, en particulier d'oiseaux d'eau et de « petit gibier », mais également pour les consommateur de « grand gibier » tué par balle.
En Amérique du nord
- Les premiers cas scientifiquement documentés d'empoisonnement d'oiseaux d'eau par plombs de chasse remontent aux années 1880s.
- En 1919, les billes de plomb dispersées dans l'environnement par les chasseurs d'oiseaux d'eau étaient formellement identifiées comme source d'empoisonnement fatal d'oiseaux d'eau.
- Dès les années 1970, on s'inquiète du problème en Europe du Nord, dont au Danemark. En Europe, des études montrent que les zones humides sont très contaminées, avec des taux atteignant 399 billes de plomb/m2 dans les 30 premiers centimètres de sédiments à proximité des huttes de chasse ou dans les zones fortement chassées.
Une prévalence très élevée d'ingestion de grenaille de plomb a été détectée chez la « sauvagine » (oiseaux d'eau chassés) hivernant en région aride méditerranéen, probablement parce que ces oiseaux sont nombreux à y hiverner et qu'ils se regroupent autour d'un nombre limité de zones humides, presques toutes intensivement chassées depuis plusieurs décennies. Le Canard colvert (Anas platyrhynchos) est souvent utilisé comme sujet d'étude, car commun, facile à élever, à repérer. Il est parfois considéré comme un bon bioindicateur du saturnisme aviaire dans les zones humides. En Europe du nord, la prévalence observée d'ingestion de grenaille de plomb varie de 2% à 10% des colverts, mais ce taux est très sous-estimé. En effet, Déborah Pain, sur la base d'une expérience conduite en camargue, a montré que les oiseaux atteint de saturnisme se cachent soigneusement pour mourir et que moins de 10 % des oiseaux cachés ou déjà morts sont retrouvés, même quand on les cherche activement, dans un lieu que l'on connait déjà. Ils échappent donc à l'observation et aux statistiques. Autour de la Méditerranée, ce sont 25 à 45 % des sujets qui sont porteurs de billes de plomb dans les deltas méditerranéens. Les espèces trouvées avec le plus de grenaille de plomb avalées sont le canard pilet (Anas acuta) et le fuligule milouin (Aythya ferina), avec 60 à 70% des gésiers contenant un plomb ou plus ; - Le saturnisme est une des premières causes de mortalités chez des espèces menacées telles que l'Erismature à tête blanche (Oxyura leucocephala), ou chez les cygnes (Cygnus sp.).
- Lewis et Legler trouvent en 1968 14 plombs dans un gésier de Tourterelle de la Caroline ou tourterelle triste (Zenaida macroura) ; On en trouvera beaucoup d'autres et cette espèce porte fréquemment aussi des grenailles incrustés dans la chair ; ainsi sur 4884 tourterelles tristes abattues par des chasseurs (des états d'Arizona, Géorgie, Missouri, Oklahoma, Pennsylvanie, Caroline du Sud et Tennessee), 2,5 % de ces oiseaux portaient au moins une bille de plomb.
Là où l'acier est obligatoire, 2,4 % en moyenne de ces tourterelles (4,8% dans le Missouri) portaient au moins une bille d'acier (éventuellement en plus d'une ou plusieurs billes de plomb) ;
Lors de cette étude portant sur la période 1998–2000, une des 15 tourterelles examinées dans le Missouri avait dans le gésier 17 billes d'acier et 4 de plomb, et une autre avait avalé 18 billes d'acier et portait encore 2 billes de plomb. En général, les jeunes de l'année portaient plus de grenaille d'acier ou de plomb) dans leur « grit » (ce qui peut signifier qu'ils en mangent plus, et/ou qu'étant affaiblis, ils ont plus de chance d'être tués à la chasse).
Les os des colombes chassées sur des zones où le plomb est interdit présentaient de moindre teneur en plomb, ce qui laisse penser que la législation a déjà des effets bénéfiques. - Stendell et al. 1980 rapportent que 7,4% des foulques de leur zone d'étude sont porteurs d'un ou plusieurs plombs dans le gésier ;
- En 1980, Stendell démontre que des faucons crécerelles meurent aussi de saturnisme.
- Des aigles (dont le Pygargue à tête blanche ; Haliaeetus leucocephalus, symbole des Etats-Unis) consommant des oiseaux vivant sur des zones humides en meurent aussi (au moins 7 % des cadavres retrouvés) ou en sont affectés ;
- Une Grue blanche (Grus americana, espèces menacée, et plus grand oiseau des Amériques) trouvée morte par le US Fish and Wildlife service) présentait 75 plombs dans le gésier ;
- l'été 1982, un échantillonnage aléatoire d'oiseaux d'eau capturés sur la partie haute du littoral texan confirmait une incidence relativement élevée de l'ingestion de plomb chez ces oiseaux, avec un lien apparent entre le comportement alimentaire et de recherche de grit (taille préférentielle de grit) caractéristique des espèces et cette incidence, relation qui sera confirmée en 2005 par une étude de l'université du Texas.
- De 1996 à 1998, 1,2% des Gélinotte huppée observées au Canada portaient des grenailles de plomb dans le gésier, alors que le tétras du Canada et le lagopède des saules en présentaient moins. Le taux moyen dans la chair était d'environ 6 μg/g de poids sec, avec parfois un risque de saturnisme pour le consommateur ;
- Le doute n'est plus permis sur le fait que les canards ne sont pas toujours les animaux les plus touchés : par exemple, au Japon, sur 430 canards récoltés (Anas sp. Aythya sp.) et analysés, provenant de neuf préfectures entre 1994 et 1997, seulement 15 canards (4%) sur 363 oiseaux prélevés pendant et après les périodes de chasse avait une pastille de plomb dans le proventricule et le gésier. Mais 32 (soit 34%) de 93 cygnes (Cygnus sp.) trouvé mort dans différentes zones humides présentaient des lésions compatibles avec un empoisonnement au plomb. Et 27 (soit 84%) des 32 cygnes étaient concernés par ce problème dans la préfecture de Hokkaido. «l'intoxication par le plomb représente encore une grave menace pour la sauvagine au Japon, et il ya besoin considérable d'amélioration de l'environnement concernant ce problème » concluaient ces chercheurs en médecine vétérinaire.
- Le faisans lui-même est concerné, bien que massivement et couramment réintroduit dans la nature à partir d'élevages et souvent agrainés. Ainsi a ton analysé 437 faisans à collier tués sur 32 domaines de chasse les printemps 1996 et 1997 et lors des périodes de chasse de 1999-2000 et 2001-2002. Et le plomb a aussi été dosé dans l'os alaire (de l'aile) de 98 poules faisannes collectés en 1997. 3,0 % des gésiers contenaient au moins un plomb. Ce taux d'ingestion n'a pas varié selon les années, les saisons ni selon le sexe. Les mâles avaient des taux de plomb osseux variant de 7 à 445 ppm (moy= 48,8 ± 8,8) en poids sec. Les oiseaux présentant de la grenaille de plomb dans leur gésier en 1997 avaient aussi un taux osseux de plomb élevé. Les auteurs de cette étude suggèrent aux responsables de chasses et gestionnaire de ball-trapp et zones d'entrainement au tir de prendre conscience que l'ingestion de grenaille concerne aussi les faisans, et qu'il faut peut-être localemnet envisager des mesures pour réduire l'exposition de la faune sauvage au plomb.
- Il aura fallu près d'un siècle pour que le plomb commence à être (localement) banni de certaines cartouches, dans certains pays, et souvent dans un premier temps (ou à ce jour) uniquement pour les tirs effectués dans les zones humides (ou comme en France dans et vers les zones humides) dont aux USA en 1991 et au Canada en 1997. On a aussi montré que des déchets industriels, et les plombs de pêche pouvaient également contaminer, mortellement souvent, des oiseaux d'eau (cygnes notamment).
- Le monde cynégétique a longtemps estimé que les balles de plomb utilisées contre le gros gibier ne posaient pas de problèmes environnemnentaux ni pour la santé. Ils estimaient que ces balles étaient trop grosses pour que les animaux les ingèrent. Pourtant de gros oiseaux comme les cygnes ou sur terre les autruches peuvent ingérer des objets en plomb d'une taille encore plus importante (ex : gros lest de pêche).
De plus, les grands oiseaux charognards (vautours, condors dont condor de Californie (Gymnogyps californianus), et d'autres oiseaux partiellement charognards tels que des aigles à tête blanche (Haliaeetus leucocephalus), ou l'aigle royal (Aquila chrysaetos) s'intoxiquent fréquemment. Ceci a été montré en Amérique, comme en Europe. Ces animaux jouent un rôle écologique et sanitaire majeur en éliminant de la nature les animaux blessés ou infectés, ou leurs cadavres. Ce faisant, ils ingèrent très souvent des fragments et molécules de plomb. Ce plomb a été perdu par la balle lors de sa pénétration à haute-vélocité dans la chair, ou il s'agit de plomb issus de l'éclatement des balles en multiples fragments, dans le corps de leurs victimes (généralement au contact d'un os ou de parties dures).
Ainsi, le saturnisme aviaire est encore la 1ère cause de mortalité du Condor de Californie. Cette espèce est menacée de disparition et on l'a cru sauvée par des programmes réussis de réintroduction, mais ces animaux continue à mourir de saturnisme, empoisonnés par les fragments de plomb, ou par les trainées laissées par la pénétration de la balle dans les carcasses de grands animaux qu'ils mangent . L'analyse isotopique du plomb (uniquement trouvé chez les adultes vivant dans la nature, et non chez les jeunes en semi-liberté et nourris avec une nourriture contrôlé) identifie formellement le plomb de chasse comme origine du problème. Pour cette raison le plomb a aussi été localement interdit dans les balles utilisées pour le grand et petit gibier, ou pour tirer tout autre animal, dans la zone où vit le dernier noyau de population et où de jeunes condors sont nourris par l'homme les premières années afin qu'ils ne consomment pas de gibier empoisonné .