« Nous sommes dans la situation de David face à Goliath » affirme Mike, « nous pouvons lancer des cailloux .»
« Bog » est le terme familier utilisé par Mannie pour désigner Dieu. Il a été forgé par Anthony Burgess dans 'L'Orange mécanique'.
Révolte sur la Lune multiplie les références à des événements passés, et notamment aux révolutions. Les deux principales sont la Révolution américaine et la Révolution française. La population même de la Lune, 3 millions d'habitants, correspond à celle des colonies britanniques en Amérique du Nord au moment de la guerre d'indépendance. « Il nous faut notre partie de thé de Boston » dit l'un des protagonistes, et « Prof » fait attendre plusieurs heures au nouveau congrès pour que la date de la déclaration d'indépendance soit le 4 juillet 2076, 300 ans exactement après la déclaration de Philadelphie. D'ailleurs les délégués y engagent également "leur vie, leur fortune et leur honneur sacré". La révolution française est évoquée d'une manière un peu moins marquée, par les bonnets phrygiens portés par les insurgés, par la marseillaise, ou encore le code "prise de la Bastille" qui permet aux membres dirigeants de la révolution d'accéder aux informations stockées par Mike. La révolution russe est suggérée par l'usage récurrent du terme « tovaritch » (« camarade ») par lequel les Lunatiques s'interpellent parfois, ainsi que par une référence faite par « Prof » à l'« insurrection comme un art » (Lénine).
La terre en 2075 est une planète surpeuplée, et dominée par quatre grandes puissances :
- La Dictature d'Amérique du Nord, un ensemble qui englobe les États-Unis, qui ont perdu leur indépendance et leur démocratie. Il s'agit d'une société raciste et rétrograde.
- La Sovunion, dont Heinlein ne dit pas grand chose, mais qui semble bien avoir hérité des caractéristiques de l'Union Soviétique du XXème siècle : puissance militaire et nucléaire, dictature communiste.
- L'Inde, État surpeuplé qui reçoit l'essentiel des livraisons de grains de Luna, et qui abrite à Âgrâ le siège de l'Autorité Lunaire.
- La Grande Chine, qui déborde largement de la Chine historique, englobant le Japon et divers pays d'Asie orientale. C'est sans doute la plus grande de ces quatre puissances, celle avec laquelle les insurgés devront composer.
Les autres pays du monde jouent un rôle secondaire.
L'Autorité Lunaire est une administration internationale issue des Nations Unies, qui ont disparu après la « guerre des pétards mouillés », un conflit nucléaire qu'Heinlein ne situe pas précisément, probablement au début du XXIème siècle. Depuis, les nations terrestres ont neutralisé leur satellite, sous le prétexte d'en faire un bien commun, mais en réalité pour lui conserver un statut démilitarisé préservant le statu quo géopolitique sur la planète mère.
Ce roman a été écrit dans un contexte de néomalthusianisme triomphant. Deux ans plus tard, en 1968, paraîtra aux Etats-Unis le best seller de Paul Ralph Ehrlich The Population Bomb (La bombe « P »), qui aura une grande influence sur l'opinion publique en général et la science fiction en particulier. Le club de Rome et son « rapport Meadows » finiront de populariser cette image d'une explosion démographique incontrôlée. La population de la terre en 2075 est de 11 milliards d'habitants (3,5 milliards en 1966), dont un milliard pour la seule Dictature d'Amérique du Nord, présentée comme relativement peu peuplée ; à Bombay des familles se transmettent par héritage les quelques mètres carrés de trottoirs sur lesquels elles vivent. « Ne plaisantez pas avec le vieux Malthus », dit le professeur de la Paz, « c'est toujours lui qui a raison à la fin ». Il est intéressant de constater que Heinlein, qui imagine une société lunaire pratiquant un contrôle des naissances contraignant, n'extrapole pas cette évolution à la planète elle-même. Il se révèle, comme les hommes de son temps, incapable d'anticiper la généralisation de la transition démographique et la fin de l'accroissement incontrôlé de la population, que l'on observera à partir des années 1980.
Révolte sur la Lune est avant tout un remarquable roman d'anticipation, dans le sens le plus classique du terme. Écrit alors que le programme Apollo bat son plein, il propose une vision frappante de ce que pourrait être la colonisation du satellite de la Terre un siècle plus tard, en proposant des solutions aux contraintes techniques, sociales, économiques auxquelles est confrontée une telle entreprise.
Luna en 2075 est constituée d'un ensemble de colonies dont les plus anciennes ont environ un siècle. Il y a six gros « terriers » et une cinquantaine de plus petits. La plus ancienne colonie semble être Johnson City, mais les plus grandes « termitières » sont Luna City, Honk-Kong Lunaire et Novylen (Novy Leningrad). Sont également cités, Endsville, Tycho inférieur, Churchill, Beluthihatchie... A l'époque de la révolution, tous les terriers ne sont pas reliés entre eux. Il existe des lignes de métro, comme celle qui joint les deux principales villes, Luna-City et Hong-Kong lunaire, en passant sous Sinus Medii. Pour joindre d'autres lieux, on est obligé d'emprunter des transports de surface, lents, malcommodes et dangereux. Un programme reliant d'une manière plus complète les principales colonies est en cours de construction lorsque la révolution éclate. Luna City, reliée au complexe de l'Autorité lunaire, fait office de capitale, tandis que Hong Kong Luna, avec une monnaie officieuse mais forte (car fondée sur un étalon de matières premières et de produits vitaux), sa production autonome d'électricité, et une industrie dynamique est la véritable capitale économique.
Le nom de ces colonies s'explique par leur origine nationale. Mais si la composition ethnique de Luna City ou de Hong-Kong est encore dominée par les Nord-Américains dans un cas, et les Asiatiques dans l'autre, le métissage est de plus en plus grand.
Robert Heinlein explore ici systématiquement et de manière crédible les possibilités d'une colonisation lunaire telle qu'on pouvait l'imaginer alors que le programme Apollo était en cours de réalisation. Les Lunatiques ne vont guère à la surface, bombardée de radiations, ils vivent dans des cités souterraines, creusées sur plusieurs niveaux, organisées autour de dômes, et parfois reliées par des lignes de métro. L'eau est extraite de la glace contenue dans la roche lunaire. Elle permet une culture hydroponique dans des tunnels dont la plupart appartiennent à des familles de fermiers comme les Davis. Ceux-ci cultivent des céréales, des fruits, mais élèvent également des abeilles.
Robert Heinlein décrit l'émergence d'une intelligence artificielle sur la base d'une masse critique d'ordinateurs interconnectés, ce thème est récurrent dans les sciences cognitives : il est basé sur l'hypothèse de nécessité de l'existence d'une capacité minimale de traitement de l'information pour faire apparaître "l'intelligence". Bien évidemment, ce thème occulte le problème de l'organisation spécifique que doit probablement avoir une telle entité, comme le notait Dijkstra : la question de savoir si les ordinateurs peuvent penser est du même ordre que celle de savoir si les sous-marins peuvent nager. Ce livre a popularisé le loglan (l’ancêtre du lojban), une langue artificielle formelle. Heinlein y lie aussi l'émergence de l'intelligence à celle de l'humour, un autre thème récurrent chez l'auteur.
Le sex ratio à l'époque des premiers déportés était très inégal: une femme pour dix hommes. En un siècle, il s'est un peu rééquilibré, mais il reste encore une femme pour deux hommes. Heinlein explore toutes les contraintes et toutes les solutions apportées à cette loi d'airain de la rareté des femmes, dans le contexte d'une nature hostile (un homme trop jaloux n'est jamais très loin du vide interplanétaire), et d'une société de pionniers qui se forge ses propres règles. Le sacrement du mariage existe, mais les mariages sont avant tout des contrats civils. Presque toutes les formes d'union existent, à part la polygamie. La monogamie est rare, et la forme la plus répandue est une polyandrie associant deux maris et une épouse. Le racisme recule, devant la nécessité d'un métissage qui a gagné la plupart des familles. Le thème de l'homosexualité est peu abordé, si ce n'est comme une pratique carcérale des anciens déportés, que Heinlein, d'ailleurs, ne condamne pas. Mais la forme d'union la plus originale est un modèle fondé sur le mariage multiple.
Il est impossible de trouver l'équivalent dans l'histoire humaine du modèle familial que représente la famille Davis. Les mariages multiples entre des groupes de frères et des groupes de soeurs étudiés en Océanie ne dépassaient pas une génération, et les expériences de polyamour durent pour la plupart encore moins longtemps et n'ont pas de finalité économique. En outre le terme de « line family » utilisé dans la version originale est pratiquement intraduisible. Le traducteur a choisi "ménage familial", qui ne peut rendre compte d'un élément essentiel : la durée.
« Tillie » et « Jack Davis le Noir » sont les fondateurs de la lignée Davis. Ils se sont mariés « il y a près d'un siècle ». Depuis, la lignée se perpétue : ce sont les femmes qui choisissent à l'unanimité de nouveaux époux et de nouvelles co-épouses. La cohésion familiale repose sur une forme de matriarcat teinté de démocratie autoritaire et de respect des anciens. Les intérêts économiques sont mis en communs, ce qui fait de ces lignées, présentées comme traditionnelles à Luna City des familles influentes. Les enfants sont élevés en commun, et lorsqu'ils sont assez âgés (à la puberté), ils sont cooptés par d'autres familles, dans un strict souci d'exogamie et de bonnes relations « politiques ». Chaque époux a sa chambre et les enfants vivent dans des dortoirs.
Les relations sexuelles, en particulier la nuit (ou les nuits ?) de noce, se déroulent dans un ordre rituel, le nouvel époux (ou la nouvelle épouse) visitant ses conjoints par ordre d'âge décroissant. Heinlein ne parle pas d'homosexualité au sein de ces ménages, ni de sexualité de groupe. Il présente ce type d'union comme idéal par rapport aux conditions lunaires. Ces familles présentant les avantages de la stabilité affective, de la sécurité matérielle, de la solidarité (envers les enfants, les handicapés, et les personnes âgées), et aussi de la longévité. A l'époque de la révolution, en 2075-2076, la famille est composée du côté des femmes de Minnie « Mamie » Davis, qui fait office de chef de famille, de Anna, Sidris, Léonore, et de Ludmilla (qui n'a que quinze ans). On assiste au mariage de Wyoh avant le départ de Mannie pour la terre. Du côté des maris, il y a « Grand Père » Davis, mais aussi Greg, Manuel, Hans. Trois maris sont cooptés durant et après la révolution : Ali, Franck, et « Stu ».
Robert Heinlein imagine ici une société lunaire, dont la devise est « il n'existe pas de repas gratuit » (There ain't no such thing as a free lunch, ou TANSTAAFL), qui est une utopie libertarienne. Le positionnement politique de Heinlein a pu déconcerter, aux États-Unis même, où cet homme né en 1907 s'est trouvé en porte-à-faux avec la génération de ses jeunes lecteurs, par la facture « classique » de ses premiers ouvrages, avant de les surprendre par le caractère révolutionnaire de ses romans des années 1960. En réalité, Heinlein, dans beaucoup de ses œuvres, mais surtout dans celle-ci, se place délibérément dans la mouvance libertarienne, qui n'a guère d'équivalent sur le vieux continent.
Heinlein décrit une organisation révolutionnaire occulte dont le fonctionnement est basé presque entièrement sur l'utilisation des technologies de l'information (téléphone, écoute, reconnaissance de la parole, synthèse imitant un locuteur, base de données, contrôle de systèmes à distance, planifications complexes, simulations, etc.)
Au milieu des années 1960, Heinlein est au sommet de son art narratif, qui a fait de lui une idole incontestée des amateurs de science-fiction. Il a une manière unique de suggérer toute une société mais aussi toutes les contraintes techniques qui l'accompagnent sans longues descriptions préalables. Le lecteur est ainsi naturellement embarqué dans un univers où les femmes ont deux maris et où une gravité faible, un air tarifé et la proximité du vide sont des données de base de la vie courante. Une couleur locale est apportée par l'utilisation de termes russes, espagnols, français, et par la description rapide des habitudes vestimentaires minimalistes des Lunatiques.
On note toutefois aussi cette prépondérance des dialogues qui ont pu rebuter certains lecteurs. Les informations d'ordre sociologiques, la longue préparation de la révolution passent par de très longs échanges entre Mike, Mannie, et le professeur de la Paz. Ces deux derniers personnages correspondent à un procédé récurrent chez Heinlein, qui consiste à opposer un homme jeune, au coeur de l'action, et un personnage plus ancien, haut en couleur, qui fait passer les idées politiques de l'auteur. Cf. Valentin Michaël Smith et Jubal E. Harshaw dans En terre étrangère.