Parallèlement au travail de Christina Maslach d’autres définitions ou conceptions sont apparues à la même époque et ont marqué les recherches. Parmi celles-ci, se trouvent les modèles de Cary Cherniss et de Ayala Pines.
Cary Cherniss propose une vision transactionnelle du syndrome d’épuisement professionnel. Pour les approches transactionnelles, le stress et le burnout sont le produit d’une relation humaine où l’individu et l’environnement ne sont pas des entités séparées, mais les composants d’un processus dans lequel ils s’influencent mutuellement et continuellement.
Le modèle de Cary Cherniss repose sur l’analyse qualitative d’entretiens approfondis menés à plusieurs reprises entre 1974 et 1976 auprès de vingt-sept professionnels dans leur première année d’exercice : avocats, enseignants, infirmières de santé publique, professionnels de santé mentale. Cary Cherniss observe une profonde désillusion chez ces débutants. D’après lui, le syndrome d’épuisement professionnel provient d’un déséquilibre entre les ressources de l’individu, qu’elles soient personnelles ou organisationnelles et les exigences du travail.
Ce déséquilibre résulte des écarts entre attentes initiales et réalité de terrain. Le comportement des clients difficiles, peu coopérants voire agressifs, tranche avec une vision souvent idéalisée de la relation humaine d’aide ou de l’enseignement. Les règlements et les procédures à suivre, les tâches administratives également, limitent l’autonomie d’action espérée dans ces professions. Un travail souvent routinier contraste avec les envies de tâches variées, de stimulations, d’accomplissement. Le manque de coopération entre collègues, voire les conflits interpersonnels, s’ajoutent à ces écarts entre attentes et réalité.
Face à un environnement de travail décevant, la motivation initiale s’étiole et fait place à des attitudes de retrait. Dans ce modèle, les sources de stress se situent à la fois au niveau du travail (clients difficiles, conflits entre collègues, etc.) et au niveau de l’individu même si les premières ont une place plus importante. Autrement dit, comme chez Herbert Freudenberger qui voit dans le burnout la « maladie du battant », les caractéristiques individuelles ont leur part explicative dans l’émergence du phénomène. Certains individus ont des attentes, des orientations de carrière qui constituent une charge de travail supplémentaire et les rendent plus sensibles au syndrome d’épuisement professionnel. Pour Cheniss, les différences individuelles concernent également les stratégies développées pour faire face aux stresseurs. Certains adoptent des modalités actives pour résoudre les problèmes. D’autres adoptent des attitudes et des comportements négatifs. Dès lors, au fil du temps, le syndrome d’épuisement professionnel s’installe.
Il y a trois étapes dans cette transaction entre l’individu et son environnement. La première, le stress perçu, provient du déséquilibre entre les exigences du travail et les ressources de l’individu. Ceci conduit à la deuxième étape, la tension (stain). Il s’agit d’une réponse émotionnelle à ce déséquilibre, réponse constituée de fatigue physique, d’épuisement émotionnel, de tension et d’anxiété.
Enfin, ce sont les changements attitudinaux et comportementaux qui marquent la troisième étape. On note en particulier une réduction des buts initiaux et de l’idéalisme, le développement d’attitudes cyniques, détachées, mécaniques, ou encore une grande complaisance pour ses propres besoins. Cary Cherniss considère qu’il s’agit d’un « coping » défensif.
Ces modifications des attitudes et des comportements représentent une « fuite » psychologique qui s’installe quand le professionnel ne peut plus soulager son stress en affrontant directement le problème. Pour Cary Cherniss, le burnout est « un processus dans lequel un professionnel précédemment engagé se désengage de son travail en réponse au stress et à la tension ressentis ».
Des limites évidentes restreignent la portée du modèle de Cary Cherniss. Il se fonde sur un petit nombre d’entretiens et sa rationalité est spécifique aux professionnels débutants. Or les spécialistes savent que le syndrome d’épuisement professionnel apparaît tout au long d’une vie de travail et qu’il en existe une forme plus tardive causé par d’autres facteurs. Toutefois, ce modèle, qui explique une des formes possibles du burnout, a été validé empiriquement, notamment par Burke en 2004.
C’est une approche motivationnelle que propose Ayala Pines. D’après elle, le travail représente pour nombre d’individus une quête existentielle. Si cette quête échoue, le burnout survient. Dans des études qu’elle a menées entre 1988 et 2002, Ayala Pines appuie son argumentation sur le fait suivant : les définitions du burnout les plus souvent citées en font un état de fatigue et d’épuisement émotionnel qui représente l’état final d’un processus graduel de désillusion après un état initial de motivation et d’implication élevées. Elle explique ainsi que « Pour être « consumé », il faut d’abord avoir été enflammé. La surcharge de travail, les contraintes administratives, la résistance des clients, n’engendrent pas du syndrome d’épuisement professionnel simplement parce qu’ils entravent l’utilisation des compétences, mais pour une raison plus profonde : l’impossibilité d’utiliser ses compétences prive l’individu de la signification qu’il recherche dans son travail ».
C’est parce que les professionnels ne peuvent avoir l’impact souhaité qu’ils deviennent victimes d’épuisement professionnel. Plus ils s’impliquent au départ, plus la probabilité d’être atteint par le syndrome est forte si les conditions de travail sont défavorables. En fait, le modèle proposé par Ayala Pines s’apparente à un ensemble de modèles d’étude psychologique du stress et du burnout pour lesquels les tensions de l’individu proviennent de l’écart entre l’attente ou la motivation individuelles et la réalité. Mais elle situe dans ce dernier, a contrario des autres modèles, les attentes individuelles à un niveau particulier, celui de la quête existentielle.
Ces attentes et motivations peuvent être universelles, partagées par la plupart de ceux qui entrent dans la vie professionnelle : avoir une influence significative, être apprécié. Elles peuvent aussi être spécifiques à une profession. Ayala Pines insiste sur le fait que, « si chaque profession attire des vocations particulières, les professions "aidantes" répondent toutes à une aspiration commune : faire pour et avec les autres ». Les motivations peuvent être aussi personnelles, c’est-à-dire inspirées par une image romantique, une figure charismatique qui a servi de modèle identificatoire, etc. Qu’elles soient universelles, liées à une profession ou davantage personnelles, elles ne se réalisent que dans un environnement de travail propice.
Bénéficier d’autonomie et de soutien social, avoir des activités diversifiées, participer aux prises de décision, sont des variables organisationnelles qui favorisent ces motivations. Leur réalisation renforce les visées initiales selon une boucle positive, ou « cercle vertueux » de l’implication. Mais si l’individu doit se confronter à un environnement défavorable, avec par exemple une surcharge de travail quantitative et qualitative, des pressions bureaucratiques, des exigences contradictoires, il ne peut réaliser ses objectifs initiaux et tombera dans une boucle négative. Pourtant, ce n’est pas l’échec en tant que tel qui provoque le syndrome d’épuisement professionnel, c’est plutôt la perception que quels que soient les efforts, le sujet ne peut prétendre avoir un impact significatif. Bien sûr, Ayala Pines le fait remarquer, « un environnement de travail n’est jamais totalement positif ou négatif mais consiste en un mélange complexe ».
En fait, ce modèle n’a pas été testé en tant que tel. Il a été pensé par Ayala Pines pour interpréter les résultats de ses recherches et observations menées au cours d’ateliers ou de formations sur le burnout. Ayala Pines ne limite pas le syndrome d’épuisement professionnel aux professions « aidantes », ni même d’ailleurs aux situations de travail. Elle l’a également recherché dans les relations de couple, de 1993 à 1994 ou au cours de conflits politiques, de 1995 à 1996.
Il existe une multitude de définitions du syndrome d’épuisement professionnel parmi lesquelles sont répertoriées ci-dessous les principales (cette liste n’est donc pas exhaustive) :
« Les définitions du burnout se complètent plus qu’elles ne s’opposent. On peut regrouper selon qu’elles envisagent le burnout comme un état, celui de la personne atteinte, ou comme un processus, celui conduisant à l’état en question » selon Susan Jackson, dans son ouvrage La Gestion des ressources humaines. En fait, les premières décrivent l’aboutissement du processus qu’envisagent les secondes.
La définition de Christina Maslach et Susan Jackson est la plus connue des définitions en termes d’état. Pour Wilmar Schaufeli et Robert Enzmann, ces définitions varient en fonction de leurs étendues, de leurs précisions et de leurs dimensions. Cependant, elles partagent trois caractéristiques essentielles :
Les définitions de Cary Cherniss ou de Yeor Etzion conçoivent clairement le syndrome d’épuisement professionnel comme un processus. Pour Wilmar Schaufeli et Robert Enzmann, les définitions en termes de processus affirment que :
Si la définition de Christina Maslach et Susan Jackson a été largement retenue, c’est entre autres parce qu’elle est doublée d’un des seuls outils de mesure validés et de maniement facile, la définition et l’outil ayant en effet été construits parallèlement. Utiliser le Maslach Burnout Inventory’s suppose évidemment d’accepter la définition correspondante. Celle-ci limite le syndrome d’épuisement professionnel à des professions particulières. Or, en fait, les recherches ont progressivement mis à jour les facteurs organisationnels qui agissent sur chacune des dimensions de ce syndrome. Ces facteurs — manque de participation aux prises de décision, surcharge du travail, traitement inéquitable entre autres — ne sont pas spécifiques aux institutions sociales ou médico-sociales. Il semble bien que le syndrome d’épuisement professionnel puisse frapper l’ensemble des champs professionnels. Par ailleurs, s’il atteint ceux qui s’engagent et entrent dans leur profession avec des attentes élevées, il semble alors inutile de le restreindre à certaines catégories.
Bien des professions en dehors du secteur social, médico-social ou de l’éducation, et plus généralement en dehors des relations de services, supposent aussi un engagement important. Wilmar Schaufeli décrit cela de la manière suivante : « le syndrome d’épuisement professionnel est présent dans toute occupation dans laquelle les individus sont psychologiquement engagés dans leur travail. Les emplois psychologiquement engageants épuisent les ressources cognitives, émotionnelles et physiques ».
Mais la définition et la mesure de Christina Maslach et Susan Jackson doivent être modifiées pour englober toutes les professions. Voilà pourquoi le burnout a été reconceptualisé. Il est conçu comme une crise de relation avec son travail et non des relations au travail. Depuis 2007, le Maslach Burnout Inventory a été complété et adapté avec les recherches de Michael Leiter et Christina Maslach pour s’adresser à l’ensemble des individus au travail.
Huit des vingt-deux items de la forme initiale du Maslach Burnout Inventory’s font explicitement référence aux relations avec les clients et les usagers et quatre autres aux relations en général. Par exemple : « J’ai l’impression de ne pas me soucier vraiment de ce qui peut arriver à certain mes clients ». Ce genre d’item est inadapté pour évaluer le syndrome d’épuisement professionnel d’un opérateur de saisie ou d’un militaire. Au niveau de la définition, la première dimension, l’épuisement émotionnel n’a pas subi de modification, mais les items ont été en partie remaniés.
La deuxième dimension, la dépersonnalisation qui concerne les attitudes développées à l’égard des clients, patients ou étudiants, exclut bien des activités professionnelles. Elle a été remplacée, dans la forme générale par le cynisme, une des attitudes qui sous-tend la dépersonnalisation. Les items concernent le travail en général. Quant à la troisième dimension, l’accomplissement personnel, elle a été renommée en efficacité professionnelle. « Elle inclut les évaluations personnelles d’auto-efficacité, le manque d’accomplissement, le manque de productivité et l’incompétence ».
Avec Herbert J. Freudenberger, le syndrome d’épuisement professionnel a été observé dans un contexte où le travail représentait pour de nombreux jeunes professionnels un engagement qui s’accorde avec la défense de causes collectives. Ce sont de jeunes idéalistes qu’il nous décrit en 1974. Pour lui, le syndrome d’épuisement professionnel provient de l’écart entre un idéal de changement et la réalité de l’environnement de travail. Dans le domaine de l’aide sociale par exemple, les professionnels arrivent sur le terrain avec des images souvent idéalisées à la fois de leurs futures activités et des relations qu’ils entretiennent avec leurs clients ou leurs patients. Ainsi, on observe rapidement chez eux un niveau particulièrement élevé de burnout.
Il s’agit ici d’une des origines possibles du syndrome d’épuisement professionnel. Les spécialistes s’accordent aujourd’hui sur le fait qu’il prend sa source dans l’environnement de travail et qu’il est le résultat d’une interaction entre des stresseurs interindividuels ou organisationnels et des facteurs individuels également. La nature du syndrome d’épuisement professionnel peut changer si la nature des pressions qui s’exercent sur l’individu change aussi.
S’il est vrai que l’écart entre les attentes professionnelles et la réalité quotidienne de l’emploi est toujours source d’épuisement professionnel, dans les années 2000 il ne s’agit plus des mêmes attentes ni de la même réalité. Le travail ne fait plus vivre les valeurs des années 1970. La réussite professionnelle n’est plus l’objet des mêmes représentations. La poursuite du statut social, l’argent, la simple nécessité de trouver un emploi et de le garder, tous les motifs plus centrés sur soi, sont devenus des priorités. À titre d’exemple, Donna McNeese Smith et John Crook trouvent que des jeunes infirmières américaines valorisent davantage l’aspect économique que leurs aînées. Dans la même veine, des jeunes médecins français débutent davantage leur carrière avec des valeurs tournées vers leurs vies privées, comparativement à leurs collèges plus anciens qui commencent leurs vies professionnelles avec des valeurs d’engagement social.
L’environnement du travail s’est lui-même considérablement modifié. En quelques dizaines d’années, l’influence de facteurs économiques, socioculturels, politiques et technologiques, a redessiné le cadre de vie et les conditions de travail. Les spécialistes s’accordent à dire que le syndrome d’épuisement professionnel évolue selon 4 phases :
D’après Christine Färber dans une publication de 2000, les individus ne sont plus atteints par la forme traditionnelle du syndrome d’épuisement professionnel, celle dans laquelle la poursuite utopique de buts élevés socialement significatifs se heurtait à la résistance d’un environnement de travail qui anéantit les espoirs professionnels : « le syndrome d’épuisement professionnel qui prévaut aujourd’hui est marqué par le fait que les individus ont une multitude d’obligations, des pressions externes croissantes, des exigences grandissantes de la part des autres, une limitation des possibilités de s’engager et des salaires qui ne compensent que partiellement les efforts fournis. ».
Il existerait donc trois espèces d’épuisement professionnel :
C’est donc une erreur de considérer le syndrome d’épuisement professionnel sous une seule forme. Les recherches sur les liens entre justice perçue et syndrome d’épuisement professionnel apportent indirectement appui à cette hypothèse. Par exemple, le fait de trouver des degrés élevés de burnout à la fois chez les médecins qui jugent trop fort leur investissement auprès des patients et chez des médecins qui le jugent trop faible corrobore bien l’idée que le syndrome d’épuisement professionnel est multiforme. Il est difficilement concevable que les surinvestisseurs et les sous-investisseurs ressentent le même type d’épuisement professionnel. C’est un enjeu des travaux actuels que d’identifier les états et processus qui contribuent aux diverses formes du syndrome d’épuisement professionnel.
Selon l’Institut national de recherche et de sécurité, un tiers des travailleurs européens se plaignent de problèmes de santé liés à un travail stressant. D'après l’Organisation mondiale de la santé, les trois pays où les dépressions liées au travail étaient les plus nombreuses en 2010 sont :
Ce phénomène a d’abord été repéré dans des professions d’aide, de soins ou de formation. Une étude réalisée en France estime en effet que le coût direct et indirect du stress peut être évalué entre 830 000 000 € et 1 656 000 000 € par an, ce qui équivaut à 10 à 20 % du budget de la branche accidents du travail / maladies professionnelles de la Sécurité sociale.