Eugène Enriquez - Définition

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Inconscient et vie dans les organisations

Impact de l'inconscient

L’impact de l’inconscient dans la vie sociale va induire des phénomènes permanents tel que :

  1. L’inconscient va désigner les phénomènes de règles intériorisées qui agissent avec force et une intensité non maîtrisable,
  2. Ses effets et les conduites inhérentes persistent même si les causes ont disparu,
  3. Toute attitude unilatérale va obtenir les effets escomptés mais aussi toujours son inverse.

Toutefois l’inconscient n’est ni inconnu ni inexprimable, et en conséquences de quoi ses forces ont une logique propre que l’ont peut structurer en classes de processus inconscients non réductibles l’une à l’autre.

Dans une organisation, ces classes de processus forment les instances spécifiques avec leur loi de fonctionnement interne permettant de valider que tout acte dans l’organisation à toujours une motivation inconsciente. L’organisation visible effective est l’actualisation permanente des effets d’instances (ou niveaux d’analyse). Ces instances sont au nombre de sept :

  1. l’instance mythique,
  2. l’instance sociale historique,
  3. l’instance institutionnelle,
  4. l’instance organisationnelle (au sens stricte),
  5. l’instance groupale,
  6. l’instance individuelle,
  7. l’instance pulsionnelle.

Ces instances rendent compte de l’appareil inconscient collectif réel et particulier d’une organisation contemporaine. Ces instances fondent un système référentiel, elles donnent à l’organisation contemporaine moderne ses caractéristiques fondamentales réelles et non apparentes, mais dont on voit les effets permanents dans l’organisation effective visible sous forme de déroulement historique de l’activité, des relations et comportements entre les individus et/ou groupes symptômes pathologiques entre individus et entre groupes.

Description des instances rendant compte du système imaginaire, symbolique et culturel qu'est l'organisation

L’instance mythique

Le mythe ou la légende (c'est-à-dire ce qui mérite d’être perpétuellement narré) sert à fonder tout lien social et à le structurer. Il s’agit d’un ancrage dans un temps primordial « ancien » racontant les exploits de héros et de dieux et autres chimères plus ou moins symboliques.

Ces représentations symboliques doivent faire entrer tout groupe humain dans une histoire irréversible (évolution) et sert de système de valeurs référentielles fondamentales (les vertus héroïques ou la sagesse et/ou puissance des dieux en sont la manifestation prétendue) et est garant du bon déroulement de l’histoire humaine en cours dans l’organisation, il est évident que les dieux et les héros n’existent pas. Toutefois les fondateurs de l’organisation vont jouer ce rôle tutélaire surtout s’ils sont morts depuis longtemps. Ils vont être parés de toutes les vertus à l’image des héros et de tous les potentiels à l’image des dieux. Les fondateurs de l’organisation seront perçus comme des êtres transfigurés dans l’inconscient des membres de l’organisation.

Le mythe parle de l’origine des choses et de la communauté et il a pour but de souder en permanence par identification aux héros. Il s’agit de susciter l’identification à ces êtres vertueux et de fonder l’admiration, l’amour, la révérence et la sidération en contrepartie d’une reconnaissance élective. Cette reconnaissance au nom des fondateurs ou de leur valeur sera toujours attendue et demandée en permanence par tous les membres de l’organisation afin d’être élevés au rang des êtres au nom desquels les individus souhaitent parler et agir (adoubement).

La conséquence si l’identification au contenu est trop forte ou trop présente est de conduire à des phénomènes de sur investissement personnel (notion de sacrifice) conduisant les personnes à l’obligation constante de montrer sa force et ses capacités performantes et d’aboutir assez vite au « burn out » et à l’usure psychique des individus pris dans ces phantasmes d’héroïsme toujours hyper excessifs et vertigineux.

L’instance sociale historique

En réalité, vivre au rythme des exigences mythiques est intenable pour tout membre de l’organisation et assez vite une autre instance vient réguler l’instance mythique : c’est l’instance sociale historique qui a pour fonction d’éloigner et de se substituer à l’instance mythique (sans la faire disparaître).

Elle va tenir éloignés les individus des effets de l’instance mythique mais va en contrepartie leur imposer des règles idéologiques et des limites. L’idéologie va mettre en sens cohérent l’ensemble des pratiques sociales qui ont précédé; elle a pour but de calmer l’anxiété des individus.

Il s’agit de mettre en forme des modèles significatifs de comportements suffisamment normalisés (et non pas les déchaînements héroïques et fascinants exigés par l’instance mythique). Elle va donc déterminer qui est dominant et qui est dominé, et quels sont les attributs spécifiques induits des classes d’individus (dirigeants, cadres et exécutants subordonnés). Cela vise en particulier à masquer les conflits permanents générés par l’instance mythique. Ces règles idéologiques vont être intériorisées. De mise en sens on passe de la mise en ordre indiscutable à un moment donné, il s’agit donc d’un idéal que l’inconscient de chaque individu va intégrer donnant l’illusion nécessaire de la cohérence.

De comportements héroïques seulement justifiés par les vertus, on va passer à des comportements autorisés. Elle fournit un modèle intangible sur lequel la formation collective (l’organisation) va s’étayer. De l’identification aux fondateurs on va passer à un rassemblement c'est-à-dire de s’identifier autant aux dirigeants mais aussi aux pairs de sa classe d’appartenance sans être en permanence obligé de se justifier puisque pré codés par l’instance sociale historique.

La contrepartie d’un excès d’adhésion au modèle intériorisé est un trop grand conformisme, une frustration des individus face à un modèle fondamentalement totalitaire certes rassurant mais unilatéral, répressif et intolérant. Cette instance conduit à une homogénéisation mortifère dont les symptômes sont la paranoïa, la perversion et l’apathie, si elle devient trop importante. L’aliénation au modèle serait la conséquence ultime pour un individu.

L’instance institutionnelle

Dans l’instance institutionnelle, ce sont les mécanismes de pouvoir et de justifications de pouvoir qui vont être intériorisés. Elle a pour fonction une fois le modèle social historique établi d’y générer et inscrire des normes, lois explicites et implicites.

L’institution est ce qui donne commencement, forme et établit : on donc voit que cette instance va s’arroger en réalité les deux instances précédentes afin de maintenir le système en état de fonctionnement et de donner une orientation à tout moment quitte à modifier les contenus hiératiques des deux autres instances.

Les règles inconscientes de cette instance vont détourner les règles précédentes intangibles en rapport de lutte, d’alliance et de compétition. Elle vont pour cela promouvoir un savoir qui a force de loi et qui doit être intériorisé en agissant toujours au nom du mythe. Cette instance va exiger la soumission et la subordination permanente des individus en se donnant les moyens de la répression.

Elle est le lieu exclusif des modèles de pensées politiques. Cette instance va se manifester par :

  1. Un système de savoir et une norme d’éducation plus ou moins contraignant afin de maintenir l’individu dans la forme voulue.
  2. Un système de pouvoir, c’est-à-dire un système de décision autonome avec une force contraignante en faisant peser des degrés d’incertitude de la sanction intériorisé par les individus afin d’obtenir le comportement voulu.

L’instance institutionnelle autorise l’autonomie là où les autres instances ne demandait qu’identification et idéalisation. Elle crée donc des zones de liberté (en particulier pour celui qui dispose de l’incertitude sur l’autre) afin de permettre la manoeuvrabilité de l’organisation. Toutefois un excès d’autonomie aura tendance à démultiplier le phénomènes institutionnels en sous institutions multiples concurrentes et refera surgir les conflits interne à l’organisation ; car chaque sous-institution de l’organisation qui se créerait avec les individus qui y sont acteurs vont désirer être l’institution primordiale et/ou l’institution préférée de l’institution centrale de l’organisation. La conséquence peut donc être l’éclatement de l’organisation par guerre interne.

L’instance organisationnelle (au sens stricte)

Les modalités de cette instances vont exprimer les institutions et les sous institutions qu’elle représente. L’organisation ou sous organisation est donc une modalité spécifique et transitoire de tout un chacune (les institutions) et tente d’être l’incarnation de son institution. Elle va autoriser la transformation dans les faits de ce qui a été institué en des solutions technologiques et opératoires. Les procédures et les mœurs intériorisées qui en découlent on pour but de moduler, stabiliser voire d’empêcher les désirs des différents individus et groupes à l’œuvre dans ces solutions ne donnant que la seule légitimité du moins apparente à l’institution.

Elle a pour but aussi de culpabiliser les individus sur la notion d’efficacité, de rendements, d’excellence etc. en imposant des one best ways. L’excès de l’instance conduit à une réification de l’individu et à une limitation de son autonomie, l’autonomie réelle ou revendiquée n’étant que l’apanage du pouvoir et de l’institution. L’individu dépendant des exigences de l’instance ne pourra prétendre qu’à un degré d’autorité conféré mais non pas de pouvoir jalousement réservé à l’institution. Un tel système va inconsciemment générer des phobies :

  1. L’organisation effective est une mise en forme aussi le non prévu est y est haï,
  2. Les comportements impulsifs et créateurs rejetés,
  3. L’inconnu réduit au plus possible pour réduire la charge d’anxiété surtout face au pouvoir,
  4. Les autres en tant que dangers potentiels doivent être soumis à tout moment en particulier par l’intégration dans l’équipe et la soumission à l’ « esprit d’équipe » sous peine d’exclusion,
  5. La parole libre non autorisée est bannie car susceptible de remise en cause ou d’ « aberrations »,
  6. La pensée désintéressée et créativité n’ont pas leur place.

La conséquence par excès de l‘instance est une fétichisation, une compulsion de répétition des conduites de ritualisation maniaques finissant par aliéner les individus et aussi par l’apparition de conduite perverses entre individus de types sado masochistes comme le harcèlement ou encore coulage sabotage etc., ou bien la communication pour la communication et les postures hystériques qu’elle induit.

L’instance groupale

L’instance groupale va créer un modèle de spécifique de production conforme à l’organisation au sens stricte mais aussi un regroupement de lutte : aussi cette instance est double, elle est à la fois formelle et informelle. Cette structuration est inévitable car les individus n’ont pas vocation à être des insectes et vont tenter à la fois de produire conformément aux normes et directives et limiter le possible celles-ci afin de ne pas être dépersonnalisé ni aliéné.

Le groupe est le porteur des projets de l’organisation qui va s’instaurer autour d’une illusion, croyance et idéalisation fournies par les précédentes instances et qui va se matérialiser dans l’élaboration et la mis en œuvre d’un projet commun fournis ou proposés par les groupes. Le groupe va être le lieu d’une autonomie propre nécessaire ou bien il n’existe pas :

  1. Il va être le lieu de la réalisation de chacun.
  2. Il va être le lieu du contre pouvoir par des luttes implicites (jeux) et explicites (conflits).

Le groupe va se sentir investi d’une mission qui le structure et le défini en propre, sans groupe l’organisation ne peut pas exister. Aussi, le groupe va être le lieu privilégié des conduites pathologiques (individus et chefs). Enfin la caractéristique importante est que le groupe sera le lieu privilégié de l’expression de l’inconscient, le lieu de la reconnaissance du désir et du désir de reconnaissance. En conséquence, un groupe va être écartelé et fluctuer entre ces deux pôles extrêmes :

  1. A un extrême – désir de reconnaissance seul : le groupe sera massifié c'est-à-dire c’est la notion de groupe qui surplombe totalement l’individu, les symptômes d’une intolérance à cette situation va se traduire par des conduites pathologiques comme les conduites émotionnelles, perturbées, délations, violence, méfiance, la paranoïa va s’y installer avec émergence de discours passionnels. Si cette position s’installe trop (si les aspirations des individus y sont trop déniées et forcloses alors c’est l’explosion assurée).
  2. A l’autre extrême – reconnaissance du désir seule : le groupe est différencié c'est-à-dire surplombé par les individus (à la limite le groupe n’existe pas ou est un prétexte) alors c’est la lutte de tous contre tous qui s’instaure dans le but d’en prendre le contrôle voir de d’en fonder un ; en un mot de venir le chef, on voit ressurgir le héros et l’instance mythique avec l’exacerbation des conduites perverses et manipulatrices de l’instance organisationnelle. Si cette situation perdure trop le groupe implose par conflit généralisé entre ses membres.

Il est donc nécessaire pour le leader du groupe de veiller à garder un équilibre médian (et non pas une illusion de l’harmonie) entre ces deux pôles en donnant la reconnaissance nécessaire à chaque individu et en rappelant la légitimité du groupe en tant qu’entité (l’esprit d’équipe mais sans excès).

L’instance individuelle

Cette instance introduit deux aspects :

A La division sujet/individu :

  1. L’individu est acteur social parlant au nom des autres instances en particulier de son groupe et de sa classe,
  2. L’individu est sujet c'est-à-dire sujet de son propre inconscient freudien et collectif en dehors de l’organisation.

B Le clivage entre normal/pathologique :

  1. L’individu normal plutôt dominé et orienté sur la régulation de l’activité,
  2. L’individu pathologique plus proche des instances donc plutôt « chef » caractérisé par des degrés de paranoïa (la mission qui justifie tout), de perversions (manipulations sans fin et illusion de maîtrise totale), et hystérie (communication à outrance et théâtralisation).

Chaque individu n’est ni totalement l’un ou l’autre de chacun des aspects : il n’existe pas dans une organisation d’individu totalement fou ou totalement normal ni totalement sujet ni totalement « acteur total ». En réalité l’individu va être acteur social dans la répétition relative (conduite normale conditionnée par les instances) et sujet de par une conduite plus ou moins éruptive (se traduisant par absentéisme, conflictualisation, mauvaise volonté ou au contraire par enthousiasme, sublimation, velléité de grandir : signe de son propre inconscient en jeu avec les instances :

  1. Tout individu à tout moment de par son statut de sujet inconscient constitue un écart irréductible par lequel le système entier s’ouvre et se régénère.
  2. Cette instance rend l’individu/sujet apte, consciemment ou non, à transformer la structure d’organisation.

Ceci est donc la condition du changement possible. Cette aptitude est le fait de tous les individus de l’organisation sans exceptions. Le symptôme privilégié d’un changement inéluctable à venir se traduira par des conduites de dissidences plus ou moins voyantes d’individus se situant à la marge, quelle que soit sa classe ou son statut. Ce symptôme est caractérisé par un discours où l’individu (en général se sentant isolé et incompris) désigne l’organisation et son fonctionnement comme parfaitement contingente et parfaitement arbitraire.

L’instance pulsionnelle

C’est l’instance reprenant le « ça » découvert par Freud et portée par l’ensemble des individus de l’organisation. Cette instance va dynamiser l’ensemble de la structure inconsciente de l’organisation aussi elle va forcément traverser l’ensemble des six autres instances. Les instances sont ici le destin des pulsions. L’instance pulsionnelle va représenter les deux sources de pulsions que sont Eros et Thanatos, et dont les buts sont :

  1. Eros : la pulsion de vie, la liaison et la mise en lien de contenu inconscient afin de garantir les besoins et nécessités
  2. Thanatos : la pulsion de mort visant à détruire ou effectuer la dé liaison.

Cet ensemble pulsionnels vise la satisfaction sans limite des aspirations des individus de l’organisation (fonction du « ça ») et ne peut donc qu’avoir en permanence un impact sur les autres instances ainsi que les individus.

On oppose Eros et Thanatos, mais dans le cas de l’organisation l’une agit de concert avec l’autre au travers de l’ensemble des individus permettant à la fois la création et la régénération des instances (lieu traduisant des règles intériorisées) et la destruction c'est-à-dire, la démonétisation, la désuétude, l’oubli ou « fossilisation » des règles en voie de vestiges. Le symptôme du travail des pulsions va être :

  1. L’agressivité permanente tournée vers l’extérieure ou les individus internes perçus comme déviants et expression de la pulsion de mort.
  2. La permanence d’idées nouvelles, de discours nouveaux, de formation de groupes, institutions, organisation effective nouvelle etc. c'est-à-dire l’expression de la symbolisation permise par la pulsion de vie et qui finissent tôt ou tard par s’instaurer de gré de force.

Au niveau individuel cela se traduira par :

  1. L’individu est temporaire c'est-à-dire définitivement précaire dans l’organisation,
  2. La lutte pour la reconnaissance est irrépressible,
  3. La renonciation et la résignation voire apathie (inverse de ci-dessus) comme contrepartie à un moment donné,
  4. L’échec inéluctable obligeant à des deuils comme condition de la réussite ultérieure.

Au niveau collectif, c’est la pulsion de mort qui régit le cycle de création destruction, c’est une fonction de régulation nécessaire et inéluctable. C’est la pulsion de vie qui permet de combler le vide ainsi créé par la régénération d’un système imaginaire, symbolique et culturel, c'est-à-dire exprimant un sens et contenu inconscient nouveau, opérant dans l’organisation et structuré dans les instances.

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