Eugène Enriquez Né le 30 juillet 1931 à La Goulette, Tunisie, est professeur retraité de l'Université de Paris VII. Il y fut responsable de la formation doctorale de sociologie. Il est actuellement co-rédacteur en chef de la "Nouvelle Revue de Psychosociologie". Il est notamment auteur de : De la horde à l'État (1983) et co-auteur avec André Lévy et d'autres du Vocabulaire de psychosociologie.
Eugène Enriquez a repris comme base les apports de Sigmund Freud et de Max Weber et s'est essentiellement intéressé aux fonctions imaginaires et à l'inconscient social, et en particulier aux aspects mortifères du pouvoir. la première partie rappelle succinctement ses principales idées forces ressortant de ses œuvres, dans les parties suivantes est abordée la vie en organisation et plus particulièrement le sujet (de nouveau) à la mode de la conduite du changement, thème déjà abordé très tôt par Eugène Enriquez (vers 1972 voire très probablement avant).
D'un point de vue des sciences humaines, la psychologie et la psychanalyse dans leur appréhension des phénomènes inconscients ne peuvent suffire à rendre compte de leurs effets dans la réalité sociale : en effet, les concepts issus de ces sciences, bien que pertinents en soi, ne sauraient être "plaqués" sur la réalité sociale; il leur faut pour cela être validés (c'est-à-dire travaillés, expérimentés, épistémologiquement recevables etc.) comme trans-spécifiques d'une science à l'autre. Il faut donc pour rendre compte de cette réalité de manière pertinente, recourir à d'autres sciences telle une psychosociologie correctement définie et appliquée en tant que pratique rigoureuse observant des d'objets vivants concrets et réels relatifs à la vie sociale, et enfin promouvoir l'édification d'une sociologie clinique intégrant ces concepts rendus trans-spécifiques.
La pierre angulaire de son œuvre est la thèse "De la horde à L'État" publiée en 1983. À partir d'une exégèse méticuleuse des ouvrages à portée sociologique de Freud, la nature profonde du développement des civilisations (vie et mort des civilisations) y est analysée, élucidant ainsi le véritable sens du développement historique. La démonstration aboutit ainsi à décrire les différentes figures possibles que peut prendre l'État moderne, dont la forme d'État total dit "État de horde", expression ultime et mortifère de domination se voulant seul et unique principe sacré régissant la société, avec ses conséquences sociales et sociétales tant pour les groupes que les individus (mort et négation des groupes et individus soumis dans un retour dans la reconstitution d'un temps primordial au profit exclusif d'un seul individu et/ou groupe central unilatéral et directement violent), tout autre sacré tels la Religion, l'Argent, le Travail, l'Entreprise y sont alors relégués comme secondaires et contingents voire tout simplement supprimés.
Les différentes formes que peut prendre l'État ne sont ni le fruit du hasard ni fortuites, elles sont à l'image des besoins de réassurance de chacun des individus dans la mesure où tous sommes plus ou moins en situation de détresse infantile latente et permanente dans la vie, et exige en compensation et/ou en étai la présence d'une puissance tutélaire surtout en cas de perspective de perte des moyens sociaux d'autonomie.
Dans ses études postérieures, un accent particulier est mis sur la prégnance de l'inconscient. Une notion majeure est mise en évidence : la dichotomie entre imaginaire moteur (sublimation) expression de la pulsion de vie d'une part et imaginaire leurrant (idéalisation) expression de la pulsion de mort d'autre part. Ces deux imaginaires ont des fonctions complémentaires l'une de l'autre : là où l'imaginaire leurrant vise la conservation des normes et de maintenir une fonction de repère, la capacité à l'imaginaire moteur (créations, arts, imagination, rêverie, sublimation etc.), portée par chacun de nous, permet une ouverture favorisant la régénération des normes et des valeurs.
En outre, concernant la vie des organisations, Eugène Enriquez a mis en évidence la structure fondamentale de l'appareil inconscient de l'organisation (instances mythique, sociale historique, institutionnelle, organisationnelle (au sens strict), groupale, individuelle et pulsionnelle) et dont il caractérise les modalités (1992). Cet ensemble forme un système non stratifié, articulé, dynamique, cohérent avec rétro-actions complexes, et où ou chaque instance se renforce mutuellement pour former si possible un système équilibré. Il y est mis en évidence que l'instance motrice traversant les autres instances est l'instance pulsionnelle dans ces deux aspects de vie et de mort s'opposant et/ou s'alliant mutuellement. Cette découverte aboutit à une nouvelle définition de l'organisation considérée comme un système imaginaire, symbolique et culturel et servant de référentiel à la dynamique imaginaire (moteur et leurre) dans l'organisation.
Que cela soit dans la société tout entière ou dans le contexte de l'organisation, la manifestation de cet imaginaire moteur se traduit par l'apparition d'individus "créateurs d'histoire" plus ou moins dissidents (en particulier les artistes, écrivains, philosophes, personnages historiques émergents, penseurs politiques, scientifiques etc. mais aussi des anonymes dans leur quotidien). Les normes et valeurs créées par ces "créateurs d'histoire", constituent la seule véritable transgression efficace et efficiente pour endiguer des formes de pouvoir de par trop devenu oppressant en le faisant apparaître comme contingent et arbitraire, alors que la révolte voire le terrorisme (ce dernier n'étant qu'une forme avancée de désordre et rien d'autre) ne font que renforcer le pouvoir en place en tant que référence.
L'imaginaire moteur a donc pour fonction d'éviter à la société et à sa culture vivante un enfermement dans une entropie d'une part, mais aussi de démonétiser, au point de le renverser, un pouvoir devenu par trop mortifère à un moment donné d'autre part.