Phénomène émergent, et lente prise de conscience
Dès les années 1970, quelques spécialistes s'étonnent de différences géographiques et temporelles de qualité de sperme et plus particulièrement d'un nombre anormalement bas de spermatozoïdes, phénomène qui semble devenir plus fréquent.
Très vite, le professeur Niels E. Skakkebaek met en évidence une corrélation statistiquement significative de ce déclin avec une fréquence accrue de malformations génitales et notamment du testicule chez le petit garçon ; autant de problèmes pouvant avoir comme cause commune une perturbation hormonale in utero. Il propose alors avec Richard Sharpe de nommer cet ensemble de symptômes « syndrome TDS » (Testicular dysgenesis syndrome). Leur hypothèse explicative est celle d'une perturbation endocrinienne au moment de la formation des testicules du fœtus. C'est un moment-clé du développement où, via les hormones produites par les testicules naissants, est lancé le programme de « masculinisation » qui différenciera les organes masculins et féminins.
Historique
- En 1972, trois chercheurs danois comparent les spermogrammes de 1000 patients examinés en 1972 avec ceux de 1077 hommes examinés 20 ans plus tôt (en 1952).
En 20 ans, le volume moyen de l'éjaculat n'a pas changé, ni le nombre de spermatozoïdes immobiles, mais de 1952 à 1972 le nombre moyen de spermatozoïdes par ml de sperme a spectaculairement chuté chez les danois observés, passant de 73,4 millions de spermatozoïdes par ml à 54,5. De plus ces spermatozoïdes sont moins motiles et plus fréquemment malformés (Alors qu'en 1952, 26 % des spermatozoïdes étaient mal formés, ce taux avait presque doublé en 20 ans, atteignant 44,8 % en 1972). L'étude concluait que cette dégradation du sperme pourrait expliquer la détérioration de la fécondité masculine observée par les médecins.
- 10 ans plus tard, dans les années 1980, de premiers « lanceurs d'alerte » (danois encore) attirent l'attention sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'un phénomène local propre au Danemark : Tous les comptages de spermatozoïdes faits des années 1935 à 1980 révèlent un déclin marqué du nombre de spermatozoïdes ; partout dans le monde où des données sont suffisantes pour les outils statistiques sur plusieurs années ou décennies.
Les données extraites de plus d'une soixantaine d'études laissent penser qu'au moins dans les pays occidentaux, existe un problème général de dégradation de la spermatogenèse. L'ampleur du phénomène, ses causes et sa traduction en termes de fertilité masculine font cependant encore l'objet de controverses;
W.H. James, qui est aussi un spécialiste des anomalies de sex-ratio à la naissance, estime en 1980 qu'« il ne peut y avoir aucun doute raisonnable quant au fait que la moyenne du nombre de spermatozoïdes comptés par millilitre de sperme décline avec le temps, au moins depuis 1960 »., et ces alertes seront rapidement contestées par divers médecins qui ne croient pas à ces chiffres et/ou par des représentants de l'industrie chimique.
- À la fin des années 1980, ce sont les écologues et écotoxicologues qui alertent l'opinion et les décideurs, car ils observent des pathologies similaires dans la faune sauvage. Cette fois, certaines causes sont identifiées et reproductibles (exposition à des œstrogènes ou « mimes chimiques » d'hormones féminines), y compris hors du monde des mammifères (oiseaux, reptiles, invertébrés) ;
- - Par exemple les alligators du lac Apopca étudiés par Lou Guillette se sont féminisés et le restent leur vie durant, après une pollution du lac par un pesticide, et bien après que le lac a semblé épuré de cette pollution. Un taux de testostérone trop faible, y compris chez l'adulte alligator et une taille de pénis réduit de 25 % évoque le syndrome humain de TDS. Lou Guillette a pu reproduire en laboratoire les malformations (pénis et testicules atrophiés) en déposant sur la coquille de l'œuf d'alligator une simple goutte contenant de faibles doses de perturbateur endocrinien.
- Dans les années 1990, le nombre de couples consultant pour des difficultés à avoir des enfants a régulièrement augmenté. Plusieurs articles (dont de Luc Multigner et Bernard Jégou de l'INSERM en France alertent) ont alerté l'opinion publique sur la délétion de la spermatogenèse.
- En 1995, en France la plupart des experts se refusent encore à croire au phénomène ; ils pensent que des erreurs ou des biais de sélection entachent les études danoises et antérieures. À Paris Pierre Jouannet de l'INSERM doute aussi, mais il bénéficie au CECOS d'une cohorte ancienne, homogène et bien suivie de 1351 donneurs de sperme formant un groupe homogène. Il décide de comparer l'évolution de leurs spermogrammes sur les 20 années précédentes. Il doit constater que ces donneurs ont eux-aussi perdu – en moyenne – 40 % de leurs spermatozoïdes en 20 ans (de 1973 à 1992), soit une régression moyenne de -2,1%/an, le taux de spermatozoïdes chutant de 89×106 /ml de sperme 1973 à 60×106 par ml en 1992.
Après ajustement prenant en compte l'âge et la durée de l'abstinence sexuelle, sur ces 20 ans, chaque nouvelle génération (par année civile de naissance) a perdu 2,6 % des spermatozoïdes de la cohorte née l'année précédente, et le taux de spermatozoïdes mobiles a diminué de 0,3 % par an, et celui des spermatozoïdes de forme normale a diminué de 0,7 %/an.
Dans le même temps, le pourcentage de spermatozoïdes normalement mobile chutait de 0,6 % par an et celui des spermatozoïdes de forme normale diminuait de 0,5 % par an. Le constat est alarmant, mais on ne donne pas au chercheur les moyens de poursuivre son étude après 1995.
- De 1995 à 1999, dans certains pays, la presse, et surtout la presse de vulgarisation scientifique évoque périodiquement le problème, avec notamment en 1996 un article de B Jégou intitulé « Les hommes deviennent-ils moins fertiles ? » dans La Recherche L'idée que des xénooestrogènes soient impliqués progresse, de même que l'idée que la faune sauvage et domestique pourrait aussi être touchée. Alors que les cancers et problèmes de thyroïde sont en progression, une étude en 1999 confirme que des composés organochlorés semblent perturber le système hormonal thyroïdien. L'idée qu'une même cause (perturbation endocrinienne) puisse avoir des effets différents selon la dose, le produit et le stade de développement au moment de l'exposition (fœtus, enfant, adulte…).
- Dans les années 2000, alors que des perturbations endocriniennes sont observées chez diverses espèces de poissons (également exposés aux œstrogènes de la pilule peu dégradés par les stations d'épuration), certains chercheurs s'inquiètent pour l'Homme (toujours dans les pays riches, faute d'études ailleurs), notamment parce que le phénomène semble aussi toucher les jeunes, dont des donneurs de sperme, en apparente bonne santé.
Les perturbateurs endocriniens, certains plastifiants et certains pesticides sont de plus en plus fortement soupçonnés, mais les impacts des cocktails de polluants ou perturbateurs à faible dose sont peu étudiés, difficiles à étudier, et toujours controversés.
- Les Danois confirment (en 2001) l'importance du facteur environnemental dans le TDS. Les PCB sont notamment accusés de pouvoir contribuer au phénomène. On note aussi que les dioxines ont un impact sur le sex-ratio
- En avril 2002, l'implication de certains pesticides se confirme ; Un consultant (Ecorisk) travaillant pour le compte d'une entreprise fabriquant des pesticides (devenue depuis Syngenta) demande à un universitaire, le Pr B. Tyrone Hayes d'observer et commenter les effets de l'exposition de têtards à de faible doses d'Atrazine (doses comparables à ce qu'on trouve dans la nature ; l'atrazine, volatile et très soluble dans l'eau étant dispersée par les eaux superficielles et les pluies). Hayes constate que les têtards mâles produisent des adultes anormaux, aux testicules dans lesquels on découvre des cellules ovariennes et même des œufs immatures, signe d'un profond et grave dérèglement hormonal. C'est la première fois qu'une action de perturbation hormonale est démontrée pour un pesticide de manière si manifeste. L'étude génère une vive controverse (et Syngenta cesse de la financer), forçant l'EPA à réunir un groupe d'experts sur la question. Les universitaires s'y opposent aux experts de l'Industrie chimique. Pour l'EPA, 6 études portant sur 3 espèces apportent toutes des preuves suffisantes pour incriminer l'Atrazine dans le déclin des amphibiens, mais des chercheurs travaillant pour l'industrie chimique, dont Glen Van der Kraak annoncent tirer d'autres conclusions des recherches disponibles, et ne pas voir de corrélation entre l'utilisation de pesticides et la régression des amphibiens.
- - D'autres études (dont faisant état de testicules ou ovaires multiples) montrent que l'Atrazine et d'autres pesticides affectent la reproduction des amphibiens, qui commencent à régresser ou disparaître sur toute la planète ; 35 % des espèces sont menacées en 2008 selon l'UICN et l'Évaluation des écosystèmes pour le millénaire. Le crapaud doré a disparu en quelques années, alors qu'il vivait en pleine jungle. Les chercheurs ne disent pas que les pesticides sont la seule cause ou la cause systématique, mais pensent à un effet synergique de cocktails de polluants agissant à très faible dose et susceptible d'affecter la reproduction et l'immunité. L'Atrazine sera finalement interdite en Allemagne puis peu à peu dans différents pays (mais parfois avec le droit de faire des stocks et de les utiliser). De nombreux autres pesticides et produits chimiques pourraient avoir des effets similaires, mais n'ont pas ou peu été étudiés depuis.
On continue à s'interroger sur d'éventuels biais statistiques ; les donneurs de sperme sont-ils notamment représentatifs de la population ? Mais d'autres indicateurs (mesure de la distance ano-génitale) semblent confirmer l'implication de perturbateurs hormonaux (dont phtalates).
Une étude en 2005 confirme une relation entre Hypospadias et problèmes hormonaux et des chercheurs s'inquiètent de la fréquence de détection du Bisphénol A 4-nonylphenol dans les urines humaines, le Bisphénol ayant été désigné comme affectant les glandes mammaires de souris en 2001;
En 2008,
- la situation danoise ne s'est pas améliorée :
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- – près de 1% des hommes danois (des jeunes pour la plupart) sont traités pour cancer du testicule ;
- – 5 à 6% des garçons ont des testicules anormalement petits ;
- – près de 1% des garçons danois présentent des anomalies du pénis à la naissance ;
- – plus de 40% des jeunes hommes ont un nombre anormalement bas de spermatozoïdes ;
- – 1 jeune Danois sur 5 n'a pas assez de spermatozoïdes de qualité pour avoir une fécondité normale.
- on trouve aux USA des grenouilles mâles contenant des œufs (28 %) dans des mares péri-urbaines.
- La liste des substances suspectées d’être des PE (Perturbateurs Endocriniens) s'allonge, à partir d'une liste initiale de 564 composés suspects, dont 38 jugés prioritaires par la Commission Européenne (incluant des métaux et organométalliques, des composés bromés et des dérivés phénoliques).