Nationalisation de l'électricité au Québec - Définition

Source: Wikipédia sous licence CC-BY-SA 3.0.
La liste des auteurs de cet article est disponible ici.

1962-1963 : la seconde nationalisation

Buste de René Lévesque devant le siège social de la société, à Montréal. Ministre des Ressources naturelles dans le gouvernement Lesage, Lévesque s'est fait le champion de la nationalisation de 1962.

La Révolution tranquille n'interrompt pas le développement de nouveaux barrages. Au contraire, elle lui apportera une impulsion nouvelle sous la gouverne de René Lévesque, qui hérite du poste de ministre des Ressources hydrauliques et des Travaux publics (qui deviendra l'année suivante le ministère des Richesses naturelles du Québec), après l'élection de « l'équipe du tonnerre » de Jean Lesage.

Lévesque poursuit le développement des projets en construction, à Carillon à Beauharnois et au complexe Manic-Outardes, au nord de Baie-Comeau. Mais le travail commencé il y a 15 ans n'est pas terminé. Les tarifs d'électricité à l'extérieur des régions desservies par Hydro-Québec sont toujours aussi variables d'une région à l'autre en plus d'être généralement plus élevés qu'à Montréal. Dans la mire du gouvernement, la Shawinigan Water and Power Company, qui s'est construit un empire sur les bords de la rivière Saint-Maurice. Au fil des ans, la Shawinigan a étendu son influence à d'autres régions du Québec en faisant l'acquisition de participations majoritaires dans la Southern Canada Power, la Saint Maurice Power et la Quebec Power.

Depuis la création d'Hydro-Québec en 1944, la Shawinigan, qui exerce un monopole de la distribution dans presque tout le sud du Québec à l'exception de Montréal, est en perte de vitesse. Le gouvernement ne lui consent plus de nouvelles concessions hydrauliques, réservant l'exploitation de nouvelles rivières à la société nationalisée. Elle met en chantier quelques projets — les centrales de la Trenche et de Beaumont sont construites sur le Saint-Maurice dans les années 1950 —, mais devient de plus en plus dépendante d'Alcan et d'Hydro-Québec pour une partie croissante de ses besoins en énergie.

La Shawinigan envisage la construction d'une centrale thermique à Tracy ainsi que d'audacieux projets de développement dans le nord du Québec, dont le détournement de certaines rivières du bassin hydrographique de la baie James vers le Saint-Maurice. Elle participe aussi au montage d'une opération financière au Labrador en collaboration avec la British Newfoundland Development Corporation (BRINCO), un groupe d'investisseurs britanniques désireux de développer le potentiel hydroélectrique des chutes Hamilton.

Le ministre demande à une équipe de fonctionnaires de « faire l'inventaire des questions administratives dont le ministère est responsable dans le domaine de l'électricité, proposer des solutions efficaces et imaginatives et, surtout, ne pas craindre l'innovation et le changement », rappelle Michel Bélanger, qui était un haut fonctionnaire du ministère à cette époque.

Situation des secteurs public, privé et industriel
dans le processus hydroélectrique au Québec en 1962
Puissance installée Production effective Clientèle Revenus
MW  % GWh  % Nombre  % millions CAD  %
Entreprises publiques 3 661,1 40,0 18 412,7 36,9 698 895 46,6 98,5 41,5
Distributeurs privés 3 176,7 34,7 17 861,8 35,8 800 814 53,3 138,3 58,3
Producteurs industriels 2 315,6 25,3 13 633,5 27,3 1 617 0,1 0,4 0,2
Total 9 153,4 100 49 908,0 100 1 501 326 100 237,2 100

La solution s'impose rapidement : Hydro-Québec doit prendre le contrôle l'ensemble des entreprises d'électricité, à l'exception des installations de production électrique des grandes industries implantées sur le territoire. Dans la plus grande discrétion, le gouvernement demande conseil à Roland Giroux et Jacques Parizeau afin de savoir si le Québec est en mesure d'emprunter les capitaux nécessaires pour racheter la Shawinigan et les autres compagnies privées qui contrôlent la distribution de l'électricité dans la plupart des régions du Québec. Giroux, Parizeau et Michel Bélanger se rendent à New York pour consulter des financiers américains afin de déterminer la faisabilité du projet. Ils reviennent convaincus qu'il sera possible d'emprunter les sommes nécessaires.

Lévesque confronte la Shawinigan

Disposant maintenant d'une proposition concrète, Lévesque doit maintenant convaincre ses collègues libéraux et l'opinion publique québécoise. Le politologue Dale C. Thomson, qui a consacré un ouvrage à Jean Lesage et la Révolution tranquille, soutient que la réaction du premier ministre aux propositions de Lévesque ont d'abord été très négatives. « Over my dead body ! », se serait-il exclamé, mettant Lévesque au défi de vendre l'idée parmi la population.

Prenant le premier ministre au mot, Lévesque prononce une allocution qui donnera le coup d'envoi à sa campagne en faveur de la nationalisation, le 12 février 1962. Devant les membres de l'Association de l'industrie électrique du Québec, le ministre dénonce les coûts élevés de l'électricité qui varient d'une région à l'autre, le manque de coordination des investissements, le gaspillage de l'eau et l'interfinancement des compagnies qui opèrent dans plus d'une province. « Un tel fouillis invraisemblable et coûteux ne peut continuer, si l’on veut agir sérieusement dans le sens d’un aménagement rationnel de notre économie et ne pas se contenter d’en parler », conclura-t-il.

La réaction ne se fait pas attendre du côté de la Shawinigan, qui semblait sous-estimer l'ancien journaliste devenu politicien. Dès le lendemain du discours du ministre, les dirigeants de la compagnie accusent Lévesque de « sophisme », lorsqu'il prétend qu'un monopole d'État peut faire mieux que les compagnies privées parce que les compagnies sont à l'abri des considérations politiques et qu'elles administrent efficacement le réseau électrique.

Mais Lévesque est mieux préparé que l'avaient imaginé les dirigeants de la Shawinigan. Études à l'appui, le ministre des Richesses naturelles répond du tac au tac qu'il serait plus efficace de regrouper sous un même toit la production, le transport et la distribution au sein d'une seule entreprise.

Le ministre et la Compagnie d'électricité Shawinigan — qui francise sa raison sociale après plus de 60 ans d'unilinguisme anglais — s'affrontent dans un débat de plusieurs mois. La compagnie met en garde les chambres de commerce contre le danger d'expropriation de tous les services publics, dénonce le « socialisme » et prétend que le nationalisme canadien français vise à « s'emparer » de l'entreprise privée.

De son côté, Lévesque fait une tournée des régions du Québec, où il explique méthodiquement les avantages de son plan d'intégration des réseaux, un peu à la manière qui lui avait mérité l'estime du public pendant les années où il animait l'émission d'affaires publiques Point de mire à l'antenne de la télévision de Radio-Canada.

La position de Lévesque trouve écho dans les grands journaux montréalais. Gérard Pelletier, de La Presse, André Laurendeau, du Devoir et Yves Michaud, de La Patrie prennent position en faveur de la nationalisation. Contrairement à l'étatisation de la Montreal Light, Heat and Power en 1944, la nationalisation de 1962 s'inscrit ouvertement dans un contexte de nationalisme économique. Les canadiens français réclament un accès accru aux leviers de commande de leur économie, soutient l'historien Paul-André Linteau.

« Maîtres chez nous »

L'année 1962 avance et le plaidoyer de Lévesque en faveur de la nationalisation recueille l'approbation d'un nombre grandissant de Québécois. Mais la partie n'est pas acquise. Une partie ses collègues du Parti libéral restent à convaincre; plusieurs pensent qu'il serait préférable d'attendre à 1964 avant de soumettre la nationalisation à l'électorat.

La question est à l'ordre du jour d'une réunion secrète du conseil des ministres, au camp de pêche du lac à l'Épaule (dans l'actuel Parc national de la Jacques-Cartier), les 4 et 5 septembre 1962. L'ancien chef libéral Georges-Émile Lapalme prend la parole pour trancher la question : « Certains ne veulent agir qu'après la prochaine élection, d'autres veulent agir maintenant. Si la prochaine élection a lieu maintenant, nous sommes tous d'accord ! ». La décision est prise.

Deux semaines plus tard, le premier ministre Lesage annonce le déclenchement d'élections générales anticipées afin de soumettre la nationalisation aux électeurs. Les libéraux jouent la carte nationaliste avec leur slogan électoral : « Maîtres chez nous ».

Lévesque joue un rôle effacé durant les premières semaines de campagne, confiant de voir la population approuver la nationalisation. D'ailleurs, l'Union nationale de Daniel Johnson tente de débattre d'autres enjeux plutôt que d'engager le gouvernement sur la question.

Après un débat télévisé entre Lesage et Johnson, le 11 novembre 1962, l'élection générale du 14 novembre 1962 confirme l'optimisme du ministre des Richesses naturelles. Le Parti libéral est reporté au pouvoir avec une majorité de 63 sièges sur 95 et 56,4 % des suffrages. René Lévesque peut aller de l'avant avec le projet.

Le gouvernement agit rapidement. Il ne sera pas nécessaire d'amender la loi d'Hydro-Québec, puisque la loi de 1944 permet à la société d'État de faire l'acquisition de compagnies du secteur électrique. Afin d'éviter la spéculation sur les titres, le gouvernement attend la fermeture des marchés, le 28 décembre 1962, pour annoncer son offre publique d'achat de toutes les actions ordinaires de Shawinigan Water & Power, Quebec Power, Southern Canada Power, Saint-Maurice Power, Gatineau Power, la Compagnie de pouvoir du Bas-Saint-Laurent, Saguenay Power, Northern Quebec Power, la Compagnie électrique de Mont-Laurier, la Compagnie électrique de Ferme-Neuve et la La Sarre Power.

Le coût de la nationalisation de 1962-1963
(en dollars canadiens)
Actions ordinaires Actions privilégiées Dette Total
Shawinigan Water and Power 215 021 891 25 000 000 155 378 500 395 400 391
Southern Power 519 149 8 152 235 11 000 000 19 671 384
Quebec Power 12 344 347 16 668 000 29 012 347
Northern Quebec Power 7 012 500 3 275 000 5 668 000 15 955 500
Gatineau Power 58 186 800 16 480 800 49 844 000 124 511 600
Pouvoir du Bas-St-Laurent 7 400 000 2 118 020 4 803 000 14 321 020
Saguenay Electric 3 225 000 6 371 000 9 596 000
Électrique de La Sarre 450 000 100 000 550 000
Électrique de Mont-Laurier 386 500 346 500
Électrique de Ferme-Neuve 85 000 85 000

Les dirigeants des compagnies prétendent que l'offre du gouvernement est inférieure à la valeur réelle des titres, mais recommandent néanmoins à leurs actionnaires d'accepter l'offre, afin de toucher leur remboursement plus rapidement. Le gouvernement prendra possession des 11 compagnies le 1er mai 1963 pour la somme de 604 millions de dollars canadiens (CAD), dont 300 millions seront financés par une émission d'obligations Hydro-Québec sur les marchés américains. Une trentaine de coopératives d'électricité rurales et des réseaux municipaux acceptèrent aussi l'offre d'achat d'Hydro-Québec.

Seules les installations d'auto-production des groupes industriels — en particulier les centrales de l’Alcan —, et une dizaine de réseaux de distribution municipaux (Alma, Amos, Baie-Comeau, Coaticook, Joliette, Magog, Saguenay, Sherbrooke, Westmount et la coopérative électrique de Saint-Jean-Baptiste-de-Rouville) demeurent privées.

Page générée en 0.222 seconde(s) - site hébergé chez Contabo
Ce site fait l'objet d'une déclaration à la CNIL sous le numéro de dossier 1037632
A propos - Informations légales | Partenaire: HD-Numérique
Version anglaise | Version allemande | Version espagnole | Version portugaise