Saturn est une famille de lanceurs américains développée par la NASA dans les années 1960 pour le programme Apollo. Elle comprend le lanceur Saturn V développé pour permettre la lancement de l'expédition lunaire et capable de placer 110 tonnes en orbite basse et les fusées Saturn I et Saturn IB qui ont permis la mise au point par étapes de la fusée géante.
Les premières réflexions sur un programme de lanceur lourd américain démarrent en 1957 au sein de l'équipe d'ingénieurs supervisés par Wernher von Braun qui travaille à l'époque pour l'Armée américaine. Le lancement du programme lunaire Apollo entraine la nécessité de disposer d'un lanceur lourd et aboutit à la création de la famille de fusées Saturn. La conception et la mise au point de ces lanceurs est confiée au Centre de vol spatial Marshall dirigé par von Braun. Les fusées Saturn ont été tirées 32 fois sans un seul échec dont 13 fois entre 1965 et 1973 pour le modèle le plus puissant.
Trois lanceurs de la famille Saturn sont successivement développés dans le cadre du programme Apollo : Saturn I qui va permettre de confirmer la maîtrise du mélange LOX/LH2, Saturn IB utilisé pour les premiers tests du vaisseau Apollo en orbite terrestre et enfin, le lanceur lourd Saturn V dont les performances exceptionnelles et, jamais dépassées depuis, permettront les missions lunaires.
Les débuts de la famille de lanceurs Saturn sont antérieurs au programme Apollo et à la création de la NASA. Début 1957, le Département de la Défense (DOD) américain identifie un besoin pour un lanceur lourd permettant de placer en orbite des satellites de reconnaissance et de télécommunications pesant jusqu'à 18 tonnes. À cette époque, les lanceurs américains les plus puissants en cours de développement peuvent tout au plus lancer 1,5 tonnes en orbite basse car ils dérivent de missiles balistiques beaucoup plus légers que leurs homologues soviétiques. En 1957, Wernher von Braun et son équipe d'ingénieurs, venus comme lui d'Allemagne, travaillent à la mise au point des missiles intercontinentaux Redstone et Jupiter au sein de l'Army Ballistic Missile Agency (ABMA), un service de l'Armée de Terre situé à Huntsville (Alabama). Cette dernière lui demande de concevoir un lanceur permettant de répondre à la demande du DOD. Von Braun propose un engin, qu'il baptise Super-Jupiter, dont le premier étage, constitué de 8 étages Redstone regroupés en fagot autour d'un étage Jupiter, fournit les 680 tonnes de poussée nécessaires pour lancer les satellites lourds. La course à l'espace, qui débute fin 1957, décide le DOD, après examen de projets concurrents, à financer en août 1958 le développement de ce nouveau premier étage rebaptisé Juno V puis finalement Saturn (la planète située au-delà de Jupiter). Le lanceur utilise, à la demande du DOD, 8 moteurs-fusées H-1 simple évolution du propulseur utilisé sur la fusée Jupiter, ce qui doit permettre une mise en service rapide.
Durant l'été 1958, la NASA, qui vient tout juste d'être créée, identifie le lanceur comme un composant clé de son programme spatial. Mais début 1959, le Département de la Défense décide d'arrêter ce programme coûteux dont les objectifs sont désormais couverts par d'autres lanceurs en développement. La NASA obtient le transfert en son sein du projet et des équipes de von Braun fin 1959 ; celui-ci est effectif au printemps 1960 et la nouvelle entité de la NASA prend le nom de Centre de vol spatial Marshall (George C. Marshall Space Flight Center MSFC).
La question des étages supérieurs du lanceur était jusque là restée en suspens : l'utilisation d'étages de fusée existants, trop peu puissants et d'un diamètre trop faible, n'était pas satisfaisante. Fin 1959, un comité de la NASA travaille sur l'architecture des futurs lanceurs de la NASA. Son animateur, Abe Silverstein, responsable du centre de recherche Lewis et partisan de la propulsion par des moteurs utilisant le couple hydrogène/oxygène en cours d'expérimentation sur la fusée Atlas-Centaur, réussit à convaincre un von Braun réticent d'en doter les étages supérieurs de la fusée Saturn. Le comité identifie dans son rapport final six configurations de lanceur de puissance croissante (codés A1 à C3) permettant de répondre aux objectifs de la NASA tout en procédant à une mise au point progressive du modèle le plus puissant. Le centre Marshall étudie en parallèle à l'époque un lanceur hors normes capable d'envoyer une mission vers la Lune : cette fusée baptisée Nova, est dotée d'un premier étage fournissant 5 300 tonnes de poussée et est capable de lancer 81,6 tonnes sur une trajectoire interplanétaire.
Lorsque le président Kennedy accède au pouvoir début 1961, les configurations du lanceur Saturn sont toujours en cours de discussion, reflétant l'incertitude sur les missions futures du lanceur. Toutefois, dès juillet 1960, Rocketdyne, sélectionné par la NASA, avait démarré les études sur le moteur J-2 consommant hydrogène et oxygène et d'une poussée de 89 tonnes de poussée retenu pour propulser les étages supérieurs. Le même motoriste travaillait depuis 1956, initialement à la demande de l'armée de l'Air, sur l'énorme moteur F-1 (677 tonnes de poussée) retenu pour le premier étage. Fin 1961, la configuration du lanceur lourd (C-5 futur Saturn V) est figée : le premier étage est propulsé par cinq F-1, le deuxième étage par cinq J-2 et le troisième par un J-2. L'énorme lanceur peut placer 113 tonnes en orbite basse et envoyer 41 tonnes vers la Lune. Deux modèles moins puissants doivent être utilisés durant la première phase du projet :
Fin 1962, le choix du scénario du rendez-vous en orbite lunaire (LOR) confirme le rôle du lanceur Saturn V et entraîne l'arrêt des études sur le lanceur Nova.
Lanceur | Saturn I | Saturn IB | Saturn V |
---|---|---|---|
Charge utile en orbite basse (LEO) injection vers la Lune (TLI) | 9 t (LEO) | 18,6 t (LEO) | 118 t (LEO) 47 t (TLI) |
1er étage | S-I (poussée 670 t.) 8 moteurs H-1 (LOX/Kérosène) | S-IB (poussée 670 t.) 8 moteurs H-1 (LOX/Kérosène) | S-IC (Poussée 3402 t.) 5 moteurs F-1 (LOX/Kérosène) |
2e étage | S-IV (Poussée 40 t.) 6 RL-10 (LOX/LH2) | S-IVB (Poussée 89 t.) 1 moteur J-2 (LOX/LH2) | S-II (Poussée 500 t.) 5 moteurs J-2 (LOX/LH2) |
3e étage | - | - | S-IVB (Poussée 100 t.) 1 moteur J-2 (LOX/LH2) |
Vols | 10 (1961-1965) Satellites Pegasus, maquette du CSM | 9 (1966-1975) Qualification CSM, relève Skylab, vol Apollo-Soyouz | 13 (1967-1973) missions lunaires et lancement Skylab |