Des cynodontes aux vrais mammifères
Des incertitudes
Bien que le « Tournant du Jurassique » ait probablement accéléré l’évolution des mammifères, il est difficile pour les paléontologues de le constater car les bons fossiles de quasi-mammifères sont extrêmement rares, principalement à cause de leur très petite taille (plus petits qu’un rat actuel en majorité) et de leurs niches écologiques de prédilection :
- Les mammifères ont été largement limités aux zones environnementales qui sont peu propices aux bons fossiles. Les meilleures conditions de fossilisations sur la terre sèche sont les plaines régulièrement inondées. Les inondations saisonnières recouvrent rapidement les cadavres d’une couche de boue protectrice qui est plus tard compressée en roche sédimentaire. Mais ces plaines humides sont dominées par des animaux de taille moyenne à grande, et au Trias les derniers thérapsides et les quasi-mammifères ne pouvaient pas rivaliser avec les archosauriens dans cette catégorie de taille ;
- Les os des petits animaux sont plus fragiles et sont souvent détruits par les charognards (y compris bactéries et moisissures) ou par écrasement et dispersion avant qu'ils soient fossilisés ;
- Les petits fossiles sont plus difficiles à découvrir et plus vulnérables aux agressions de la nature avant qu’on les découvre.
En fait, on dit, qu’il n’y a pas si longtemps, dans les années 1980, la totalité des fossiles de quasi-mammifères pouvait tenir dans une boite à chaussures et que la plupart étaient des dents qui sont plus résistantes que les os.
En conséquence :
- Dans de nombreux cas, il est difficile d’assigner un mammifère du Mésozoïque ou un fossile de presque mammifère à un genre ;
- Tous les fossiles disponibles d'un genre font rarement un squelette complet et il est donc difficile de décider quels sont les genres se ressemblant l'un l'autre et donc de là, très probablement proches parents. Autrement dit, il devient très difficile de les classifier au moyen de la cladistique, qui est la méthode, actuellement disponible, la moins subjective et la plus fiable.
Donc l'évolution de mammifères dans le Mésozoïque est pleine d'incertitudes, bien qu'il soit certain que les vrais mammifères (de type actuel) soient apparus au Mésozoïque.
Mammifères ou mammaliens ?
Une conséquence de ces incertitudes a été la modification de la définition de « mammifères » par les paléontologues. Pendant longtemps, un fossile était considéré comme un mammifère s’il possédait le critère de mâchoire et d’oreille interne vu précédemment (l’articulation de la mâchoire des mammifères est seulement composée de os temporal et de l’os mandibule, alors que l’os articulaire et l’os carré sont devenus l'enclume et le marteau de l’oreille interne moyenne).
Mais plus récemment, les paléontologues ont défini les mammifères comme le plus récent ancêtre commun aux monotrèmes, marsupiaux et placentaires, ainsi que tous leurs descendants. Les paléontologues ont dû définir un autre clade : les mammaliens (ou mammaliformes) pour classifier tous les animaux qui sont plus ressemblants aux mammifères que les cynodontes mais plus éloignés que les monotrèmes, marsupiaux ou placentaires.
Bien que cela semble maintenant être l'approche majoritaire, certains paléontologues ne l’admettent pas parce qu’il ne fait que déplacer la plupart des problèmes dans un nouveau clade sans les résoudre. Ainsi ce clade mammaliformes inclut quelques animaux avec des joints de mâchoire "mammifères" et certains avec des joints de mâchoire (os articulaire-os carré) "reptiliens" ; et la nouvelle définition "de mammifère" et "mammaliformes" dépend des derniers ancêtres communs des deux groupes qui n'ont pas encore été trouvés. Malgré ces réserves, on adoptera ici l’approche majoritaire et on appellera mammaliformes la plupart des descendants des cynodontes du Mésozoïque.
Arbre phylogénique des cynodontes vers les mammifères.
--Cynodontes | `--Mammaliformes | +--Allotheria | | | `--Multituberculata | `--+--Morganucodontidae | `--+--Docodontes | `--+--Hadrocodium | `--Symmetrodonta | |--Kuehneotheriidae | `--Mammifères
Multituberculés
Les Multituberculés, appelés ainsi pour les nombreuses bosses sur leurs molaires, sont aussi nommés "les rongeurs du Mésozoïque". C'est un excellent exemple de "l’expérimentation" de l’évolution pendant cette ère.
À première vue, ils ressemblent aux mammifères modernes : leurs joints de mâchoire consistent en seulement l'os mandibule et l'os squamosal, et les os carré et articulaires font partie de l’oreille interne moyenne ; leurs dents sont différenciées. Ils ont des os zygomatique (les pommettes) ; la structure de leur bassin osseux suggère qu’ils donnaient naissance à des petits minuscules et vulnérables, comme les marsupiaux modernes. Ils ont vécu pendant un temps incroyablement long, plus de 120 millions d'années (du milieu du Jurassique, il y a 160 millions d’années, au début de l’Oligocène, il y a 35 millions d’années. Ce qui en aurait fait les mammifères les plus réussis jusqu'alors.
Mais une étude plus approfondie montre qu'ils diffèrent beaucoup des mammifères modernes:
- leurs "molaires" ont deux rangées parallèles de bosses, à la différence des molaires tribosphéniques (à trois pointes) des premiers mammifères ;
- la mastication est complètement différente. Les mammifères mâchent avec un mouvement latéral qui fait que d'habitude les molaires s’emboîtent sur seulement un côté à la fois.
Les mâchoires des Multituberculés étaient incapables de ce mouvement latéral. Ils mâchaient en frottant leurs dents inférieures d’avant en arrière contre les supérieures comme si la mâchoire était fermée.
- la partie antérieure (devant) de l'arc zygomatique est formé essentiellement de l'os maxillaire (anciennement os maxillaire supérieur) plutôt que l'os jugal et le jugal est un petit os dans un petit créneau dans le processus maxillaire (l'extension) ;
- l’os temporal ne fait pas partie du crâne ;
- le rostre (le museau) est différent de celui de mammifères, en fait il ressemble plutôt à celui d’un pélycosaurien comme le Dimétrodon. Le museau des Multituberculés est semblable à une boite, avec les grands maxillaires plats formant les côtés, l’os nasal le sommet et l'os prémaxillaire formant le devant.
Les Morganucodontes
Les premiers Morganucodontes apparaissent à la fin du Trias, il y a environ 250 millions d’années. Ils sont un excellent exemple de forme transitionnelle puisqu’ils ont aussi bien la jonction de mâchoire os mandibule-os temporal que articular-os carré. Ils sont aussi l’un des premiers mammaliformes trouvés et aussi l’un des plus étudiés depuis qu’un nombre inhabituel de fossiles ont été découverts.
Les Docodontes
Le membre le plus caractéristique des docodontes est le Castorocauda '("queue de castor")'. Ces animaux ont vécu au milieu du Jurassique il y a 164 millions d’années. Ils ont été découverts en 2004 et décrits en 2006.
Le Castorocauda n’était pas un docodonte typique (la plupart étaient omnivores) et pas non plus un vrai mammifère, mais il est extrêmement important dans l’étude de l’évolution des mammifères parce le premier fossile trouvé était presque complet (un vrai luxe en paléontologie) et cela remis en cause le stéréotype « petit insectivore nocturne » du mammifère :
- il est visiblement plus grand que la plupart des fossiles mammaliformes du Mésozoïque- environ 43 cm du nez à la pointe de la queue (queue de 13 cm), et aurait pesé plus de 800 grammes ;
- il donne la preuve irréfutable de la plus ancienne présence de poils actuellement connue. Auparavant, le fossile « à poils » le plus ancien était le Eomaia, un vrai mammifère d’il y a 125 millions d’années ;
- il a des caractéristiques d’adaptation aquatique comme les os de la queue plats, et des tissus mous entre les orteils suggérant qu’ils étaient palmés. Avant sa découverte, le plus ancien mammiforme semi-aquatique connu datait du miocène, 110 millions d’années plus tard ;
- les puissantes pattes avant du Castorocauda semblent faites pour creuser. Cette caractéristique ainsi que les éperons sur ses chevilles le font ressembler à l'ornithorynque, qui lui aussi nage et creuse ;
- ses dents semblent adaptées pour manger du poisson : les 2 premières molaires sont cuspides (bosselées) et rangées en ligne droite. Elles semblent plus appropriées pour saisir et couper que pour broyer. Ces molaires sont orientées vers l’arrière pour aider dans la prise d’une proie glissante.
Hadrocodium
L’arbre phylogénétique de consensus de la famille vu au début de chapitre, montre "Hadrocodium" comme "un oncle" de vrais mammifères, tandis que les symmetrodontes et kuehneotheriides sont liés plus directement aux vrais mammifères.
Mais les fossiles de Symmetrodontes et de Kuehneothériens sont si peu nombreux et fragmentaires que ces animaux sont mal compris et pourraient être paraphylétiques. Alors qu’il y a les bons fossiles d’"Hadrocodium" qui montrent quelques importantes caractéristiques:
- la jonction de la mâchoire est seulement composée de l'os temporal et l’os mandibule (anciennement maxillaire inférieure), et, à l’opposé de la structure thérapside, la mâchoire ne contient plus de petits os à l’arrière de l’os mandibule ;
- chez les Thérapsides et la plupart des Mammaliformes, le tympan est tendu sur une cuvette à l'arrière de la mâchoire inférieure. Mais "Hadrocodium" n'avait pas une telle cuvette, ce qui suggère que son oreille fait partie du crâne, comme chez les mammifères - et de là que les anciens os articulaire et carré ont migré dans l’oreille interne moyenne et sont devenus le marteau et l’enclume. D'autre part, la mâchoire inférieure a une " baie " à l'arrière absente chez les mammifères. Cela suggère que l'os mandibule "de l'Hadrocodium's" ait conservé la même forme qu'il aurait eue si l'os articulaire et l’os carré étaient restés dans la partie du joint de mâchoire et donc que "Hadroconium" ou un ancêtre très proche aurait été le premier à avoir une oreille interne moyenne entièrement mammifère.
- les Thérapsides et premiers mammaliens avaient leur articulation de mâchoire très en arrière dans le crâne, en partie parce que l'oreille était derrière la mâchoire, mais devait aussi être proche du cerveau. Cette organisation limitait la taille du crâne, parce qu'il obligeait les muscles de mâchoire d'être autour et au-dessus. Du fait de l’évolution de l’oreille, le crâne de l’"Hadrocodium" et ses mâchoires n’avaient plus cette contrainte et l’articulation de la mâchoire put être plus sur le devant. Chez ses descendants ou ceux d'animaux ayant une organisation semblable, la boite crânienne était libre de s'étendre sans être gênée par la mâchoire, et réciproquement la mâchoire était libre de changer sans être contrainte par le besoin de garder l'oreille près du cerveau.
Autrement dit, il était maintenant possible pour les animaux mammaliens de développer une plus grande intelligence, d’adapter leurs mâchoires et de spécialiser leurs dents à leur nourriture.