Le récit d'exploration d'un monde inconnu par un aventurier contemporain de son lecteur permet à l'auteur de confronter deux mondes : celui de la pensée rationnelle moderne et celui de la magie et des légendes. Dans Le Visage dans l'abîme, le héros - qui est un ingénieur très au fait des découvertes scientifiques de son temps - tente de s'expliquer de manière rationnelle les phénomènes dont il est le témoin sur le continent perdu de Yu-Atlanchi. La pensée rationnelle s'oppose ainsi à la pensée magique et tente de ramener tous les éléments traditionnels du merveilleux dans le giron de la science.
Quelques exemples :
Pour le héros, seuls existent des phénomènes physiques ou chimiques plus ou moins accessibles à la compréhension humaine, selon l'état d'avancement de la recherche scientifique. Abraham Merritt déclara d'ailleurs qu'il n'y avait dans son roman aucun énoncé scientifique qui ne puisse être justifié.
La civilisation oubliée de Yu-Atlanchi que l'auteur crée dans son roman est un monde pour le moins éclectique qu'il présente comme la matrice et la source de toutes les civilisations humaines connues, présentes ou passées. Ainsi, au cours de leur longue migration du continent antarctique recouvert par les glaces à la préhistoire de l'humanité, les Yu-Atlanchiens ont essaimé sur Terre les germes de nos civilisations. Ainsi, Yu-atlanchi serait l'archétype des civilisations perdues attestées dans l'histoire, comme l'Atlantide ou même la Terre de Mû, donnant un réel fondement aux légendes. Dans la cité, Nicholas Graydon découvre des statues qui ressemblent aux dieux égyptiens à têtes d'animal et un temple qui rappelle celui de Karnak, faisant ainsi de la civilisation égyptienne antique un rejeton de cette civilisation première. La Mère-Serpent apparaît au héros comme l'archétype mythique des princesses Naga de la civilisation Khmer ou de Lilith, la première épouse d'Adam, chassée par Ève. Les rebelles de Huon portent des cottes de maille semblables à celles des croisés et des armes de type de celles utilisées en Crète antique.
Abraham Merritt répond dans son récit aux questionnements typiques d'une quête des origines, d'une source unique de toutes les civilisations connues qui, par migrations successives, aurait essaimé dans le monde entier, comme une sorte de pendant romanesque au mythe des Aryens. Il est utile de rappeler que le mythe d'une civilisation unique à l'origine des civilisations humaines avait été relancée par le colonel James Churchward dans ses différents ouvrages sur le Continent perdu de Mu dont le premier volume parut en 1926, soit quatre avant la parution de la seconde partie du roman d'Abraham Merritt qui se fera un devoir de le citer.
Au cours de son récit, Abraham Merritt fait quelques allusions érudites aux beaux-arts comme pour substituer à de longues descriptions littéraires des comparaisons visuelles autrement plus efficaces sur le lecteur cultivé. Ainsi, le héros compare le visage hideux de Kon, l'homme-araignée, aux visions de cauchemar du Sabbat des Sorcières d'Albrecht Dürer et les peintures de la salle de la Sagesse oubliée aux œuvres de Michel-Ange - avec son Jugement dernier - ou bien du Greco, de Davies, de John Singer Sargent, de Hans Holbein le Jeune ou de Sandro Botticelli.
À l'instar de H.G. Wells dans L'Île du docteur Moreau, Abraham Merritt aborde sans le développer le thème du croisement des espèces, en l'occurrence du croisement homme-animal, et de ses conséquences. L'auteur imagine une race ancienne aux pouvoirs immenses qui maîtrise l'évolution et intervient sur le processus d'évolution en vertu de considérations historiques et biologiques : les cellules à l'origine de l'homme et des animaux sont les mêmes et l'embryon humain passe par tous les stades animaux avant de devenir proprement humain et la nature elle-même produit des anomalies.
Abraham Merritt n'hésite pas à mélanger les genres et les références, puisant aux sources de la religion chrétienne ou de la mythologie grecque, inventant même des savants aux recherches douteuses, pour fonder la possibilité scientifique de telles interventions sur les races. L'auteur développe une argumentation polymorphe, citant saint François d'Assise - qui appelait les animaux ses « frères » -, Protée - qui symbolisait dans l'antiquité le polymorphisme de la vie - et des savants européens de son invention comme Grégory d'Édimbourg - qui aurait inventé le terme de protaebion -, le Russe Vornikoff, l'Allemand Schwartz ou le Français Roux. Mais c'est toujours un sentiment d'effroi qui s'empare du héros lorsqu'il discerne sur les traits animaux de certains personnages du récit des caractéristique humaines.