Les procédés sol-gel permettent la production de matériaux vitreux sans recourir à la fusion.
Depuis des temps immémoriaux, le verre est fabriqué à partir de silice et d’autres composés chimiques (soude, chaux, magnésie…). La fusion de ces matières premières à haute température (1 300 à 1 500 °C) permet d’obtenir l’homogénéité à l’échelle moléculaire grâce au liquide obtenu. Les fondants (soude, potasse…) qui présentent une grande affinité chimique pour la silice (avec formation de silicates) abaissent la viscosité du verre liquide et en facilitent l’élaboration. La chaux, la magnésie, l’alumine assurent au verre sa stabilité chimique.
Depuis le XXe siècle, de nouvelles méthodes de synthèse et d’élaboration du verre sont étudiées et trouvent des applications dans le monde industriel. Regroupées sous l’appellation générique « procédé sol-gel » ces techniques permettent par simple polymérisation de précurseurs moléculaire en solution, d’obtenir des matériaux vitreux sans passer par l’étape de fusion. On dispose par ces méthodes de matériaux massifs mais sont surtout bien adaptées à la réalisation de revêtements. Outre le fait de pouvoir réaliser des matériaux purement inorganiques, elles sont aussi bien appropriées pour la synthèse de verres hybrides organo-minéraux. En associant ces deux mondes riches, organique et inorganique, la synthèse sol-gel ouvre un champ nouveau dans le domaine des matériaux vitreux.
Le procédé sol-gel permet de fabriquer un polymère inorganique par des réactions chimiques simples et à une température proche de la température ambiante (20 à 150 °C). La synthèse est effectuée à partir d'alcoolates de formule M(OR)n où M est un métal ou le silicium et R un groupement organique alkyle CnH2n+1.
Un des intérêts de ce procédé est que ces précurseurs existent pour un grand nombre de métaux et non-métaux. Ils sont soit liquides soit solides, dans ce cas ils sont, pour la plupart, solubles dans des solvants usuels. Il est donc possible de préparer des mélanges homogènes des monomères (précurseurs) ou oligomères.
Les réactions chimiques simples à la base du procédé sont déclenchées lorsque les précurseurs sont mis en présence d’eau : l'hydrolyse des groupements alkoxy intervient tout d’abord, puis la condensation des produits hydrolysés conduit à la gélification du système.
Nous allons décrire ces deux réactions dans le cas du tétraéthoxysilane Si(OC2H5)4 (ou TEOS) qui correspond à un système modèle pour les matériaux sol-gel.
C'est la première réaction sur les groupements alkoxy du précurseur. L'eau introduite dans une solution alcoolique de TEOS hydrolyse les groupements éthoxy en groupements silanols (Si-OH) et produit de l'éthanol. Cette réaction est catalysée en milieu basique et en milieu acide, sa vitesse est minimale à pH 7.
Cette réaction forme un pont siloxane (Si-O-Si) à partir de la condensation de deux groupements silanols et libère une molécule d'eau. Elle peut aussi avoir lieu entre un groupement éthoxy et un groupement silanol pour former un pont siloxane et libérer une molécule d'éthanol. Ces ponts siloxanes sont les unités de base du polymère inorganique. Dans les architectures moléculaires ainsi formées la brique de base est un tétraèdre (SiO44-) au centre duquel se trouve l’atome de silicium (figure 3), on retrouve d’ailleurs cette brique dans les verres à base de silice élaborés à haute température. Pour le TEOS, la réaction de condensation présente une vitesse minimale pour un pH de 2 ou 3. Pour des pH élevés, la réversibilité de la réaction peut devenir importante. Pour un précurseur R'-Si(OR)3 où R' est un groupement organique non-hydrolysable, la vitesse minimale de condensation est déplacée vers pH=4.
La compétition entre hydrolyse et condensation conditionne l’équilibre entre le grossissement de particules denses et leur collage ; elle détermine ainsi, à l’échelle du nanomètre, la géométrie des structures formées. Cette compétition est contrôlable chimiquement par le pH et la salinité des solutions, lesquels modifient la vitesse des réactions et la charge superficielle des particules formées.
En milieu acide (pH > 1), l’hydrolyse est rapide devant la condensation, ce qui libère l’ensemble des monomères pour la formation rapide de petites particules (unités polyédriques de quelques dizaines d'atomes) dont la taille ne dépasse pas un nanomètre. Ces particules s’agrègent ensuite pour former des amas polymériques ramifiés de faible densité, qui à leur tour s'agrègent. Ces amas restent en suspension sans précipiter, c'est le sol. Les amas occupent progressivement une fraction volumique de plus en plus importante jusqu’à une valeur proche de l’unité. La viscosité du milieu devient alors importante et le liquide finit par se figer : c’est la gélification. Macroscopiquement, cet assemblage s’achève par l’apparition d’une rigidité et d’une élasticité de type solide, provenant du gel. Solide, transparent, le gel obtenu est donc constitué d’un réseau polymérique de silice emprisonnant le solvant et éventuellement des amas encore en solution (figure 4a). Ce réseau présente une porosité dont la distribution s’échelonne de la taille des particules à celle des amas. Au-delà de la gélification, les réactions chimiques se poursuivent et modifient la distribution en taille des pores du gel.
En milieu neutre ou modérément basique, la condensation des espèces siliciées est plus rapide que l’hydrolyse, le polymère est alors progressivement alimenté en monomères. L’étape de formation des unités élémentaires est une agrégation monomère - amas dont la cinétique est limitée par la Chimie. Ce mécanisme conduit à la formation de particules denses de silice. Celles-ci, de taille pouvant atteindre plusieurs centaines de nanomètres sont chargées négativement. Les répulsions électrostatiques qui en résultent empêchent une nouvelle agrégation entre particules qui restent en suspension dans le solvant. L’ensemble particules - solvant constitue le sol. Par addition de sels ioniques ou par basculement du pH (vers un pH acide), il est possible d’écranter ces interactions coulombiennes et de permettre la déstabilisation du sol. L’agrégation entre particules, conduit alors à la gélification comme pour le système acide. Finalement, en milieu très basique (pH > 11), la dépolymérisation (rupture des ponts siloxanes) l'emporte et la silice est transformée en silicate soluble.
L’obtention d’un matériau, à partir du gel, passe par une étape de séchage qui consiste à évacuer le solvant en dehors du réseau polymérique.
Dans le cas d’un séchage hypercritique, des solides ultra-légers (figure 4b), appelés aérogels, sont obtenus. Cette technique de séchage qui opère dans des conditions de température et pression où la tension superficielle du solvant est nulle (conditions critiques) permet l'expulsion du solvant sans dégradation de la structure ramifiée de la phase solide. Ce type de séchage conduit par conséquent à des matériaux très poreux.
Les aérogels se caractérisent par un très grand pouvoir d'isolation thermique : un aérogel est cent fois moins conducteur de la chaleur qu'un verre classique, et surtout cinq fois moins que l'air. Le pouvoir d'isolation thermique, associé à la transparence dans le visible et à l'opacité dans l'infrarouge, fait des aérogels de formidables boucliers thermiques.
Le champ d'applications est très vaste : il va du double vitrage à l'utilisation dans les fusées spatiales. Ces matériaux extrêmement poreux (jusqu'à 99 %) intéressent également la physique nucléaire pour le piégeage des particules, et l'industrie de la catalyse pour l'élaboration de supports. Le fort pouvoir d’isolation thermique proviendrait, au moins en
partie, de l'existence dans un réseau fractal de modes de vibrations atomiques localisées (fractons) qui ne permettraient pas la propagation de la chaleur à grande distance.
Pour un séchage traditionnel des gels en étuve ou à l’air libre, à une température proche de la température ambiante, l’élimination des solvants est beaucoup plus délicate. En effet, les forces capillaires, lorsque l'interface liquide-vapeur progresse à l'intérieur des pores du gel, créent des contraintes telles, que la structure peut s'effondrer entraînant ainsi la fissuration des monolithes, voire la transformation du gel en poudre. L'étape de séchage doit donc être conduite très lentement (augmentation progressive de la température et atmosphère confinée) de manière à ce que le réseau s'accommode peu à peu des contraintes induites par les forces capillaires. Le séchage du gel se traduit par une densification au fur et à mesure que l'évaporation se fait et que la condensation se poursuit. Il en résulte des matériaux très faiblement poreux voire denses appelées xérogels (figure 5).
La souplesse du procédé sol-gel permet de mettre le matériau final sous diverses formes, parmi lesquelles les monolithes (matériaux massifs de quelques mm³ à quelques dizaines de cm³) et les films minces (de quelques nanomètres à quelques dizaines de micromètres d'épaisseur). Ils sont préparés à partir du sol. Dans ce cas l'évaporation du solvant est très rapide et le passage par l'état de gel n'est souvent que conceptuel. Les deux types de procédés utilisés pour former des films minces, le trempage (ou "dip-coating") et la centrifugation (ou "spin coating") sont présentés respectivement sur la figure 6a et la figure 6b. Lors du dépôt sur un substrat par chacune de ces techniques, l'évaporation du solvant est un élément important. En effet juste après le dépôt et avant le traitement thermique une grande partie du solvant s'est évaporée. L'étape de séchage des films minces est en général beaucoup plus courte que pour les matériaux massifs.