La philosophie pour les enfants est une pratique éducative qui cherche à développer la pensée réflexive, créatrice et critique chez les enfants de tout âge à partir de discussions démocratiques et de manuels narratifs dans le cadre pédagogique d'une communauté de recherche philosophique. Créée initialement par Matthew Lipman, elle connaît un développement mondial. Elle constitue aujourd'hui un courant à part entière, à la croisée des sciences de l'éducation, de la philosophie et de la pédagogie.
La philosophie pour enfants n'est pas une approche plus efficace ou simplifiée de l'enseignement classique, extérieur et frontal de la philosophie. On ne présente pas ici une galerie de philosophes, avec explication de leurs œuvres. Au contraire, la philosophie pour les enfants incarne un nouveau paradigme éducatif qui veut partir de l'expérience et des conceptions des enfants, pour leur apprendre à penser par une pratique où ils sont amenés à découvrir par eux-mêmes divers raisonnements élaborés. Le but n'est pas de donner aux enfants des réponses toutes faites, prêtes-à-penser, mais de susciter chez eux un questionnement. Il s'agit non pas d'une pédagogie de la réponse, mais d'une pédagogie de la question.
La méthode consiste en un débat sur une question de portée philosophique à l'aide d'histoires, le cœur de la méthode reposant sur une délibération entre enfants où l'adulte animateur (instituteur ou intervenant) a un rôle de guide et de facilitateur. Par la rencontre des points de vue et par la confrontation des argumentations, les enfants font l'expérience de leur pensée, de celle des autres et de la nature de la discussion. Susciter le débat philosophique, c'est permettre un apprentissage par la pratique de l'échange démocratique.
Matthew Lipman est un philosophe et pédagogue américain. Il est le créateur et le principal développeur de la philosophie pour les enfants depuis une trentaine d'années. Son influence est mondiale et tous les praticiens, pédagogues ou philosophes qui font de près ou de loin de la philosophie pour les enfants de par le monde se réclament de lui ou le citent comme influence principale.
Le modèle de Lipman s'est vu transposé au Québec, où il est appliqué abondamment et fait l'objet de nombreuses productions théoriques et pratiques, en particulier par les chercheurs de l'université Laval, sous l'égide de Michel Sasseville. De nombreux autres pays font aussi partie de l'IAPC (Institut pour l'avancement de philosophie pour enfants) de Lipman, et mettent en place des structures sur le modèle et avec le patronage de Lipman.
En 1999, à la suite d'une rencontre internationale d'experts qu'elle a organisée sur le sujet, l'UNESCO a produit un rapport recommandant l'introduction généralisée de la pratique de la philosophie dès la pré-maternelle.
En France, même si la méthode Lipman est une influence revendiquée, chacun s'en est inspiré librement pour alimenter ses propres théories et pratiques pédagogiques. Les recherches se sont multipliées ces dix dernières années dans le domaine de la didactique de l’apprentissage du philosopher. Les didacticiens se penchent en particulier sur les modalités concrètes de mise en œuvre de cet apprentissage avec des enfants.
Deux équipes de recherche francophones ont apporté de nouvelles perspectives : le groupe AGORA à l’Université de Montpellier, autour de Michel Tozzi, et le groupe AGSAS de l’Université de Genève, avec Jacques Levine comme artisan principal. Tout comme la méthode Lipman, ces courants s’accordent pour proposer une pratique de la philosophie par l’intermédiaire de la discussion, à la différence de la pratique de la philosophie au lycée et à l'université qui s’effectue au travers des textes et des grands auteurs.
La pratique de la discussion philosophique à l'école s'effectue aujourd'hui selon une grande variété de dispositifs, qui divergent sensiblement sur les rôles du maître et des élèves ou sur le temps consacré à la discussion par exemple.
La particularité de ce dispositif réside dans le fait que les élèves sont gérants de leur propre parole. Ce modèle a pour origine les travaux d’Alain Delsol, dont s’inspire le courant de Michel Tozzi, qui préconisaient de donner des responsabilités aux enfants pendant le débat. Ainsi, quatre rôles principaux peuvent être tenus :
Ces rôles, qui ne sont bien sûr pas tous indispensables, peuvent être tenus par plusieurs personnes à la fois afin de faciliter la tâche. Du fait de leur complexité, ils sont à expérimenter progressivement. C’est d’abord le maître qui endosse les rôles, avant de déléguer ses fonctions au fur et à mesure aux élèves, en prenant soin d’expliquer les prérogatives de chacun. Dans le débat, les discutants peuvent être accompagnés par des observants. La discussion est suivie d’une analyse a posteriori, qui laisse un espace de parole aux observants pour pouvoir exprimer ce qu’ils ont constaté.
Dans cette méthode développée par Anne Lalanne, les enfants apprennent à philosopher, par l’intermédiaire de l’adulte, selon trois directions : la technique du débat, les valeurs démocratiques (droits égaux vis-à-vis de la parole, respect des autres participants…) et les exigences intellectuelles de la philosophie (la conceptualisation, la problématisation et l’argumentation). L’adulte est garant du respect des règles de fonctionnement du débat, qui sont connues de tous. Il organise le débat en posant des questions et en assurant la répartition de la parole. Il permet au groupe de progresser dans la réflexion en reformulant les idées et en retraçant le cheminement conceptuel du débat.
Dans l’histoire de la philosophie, ce type de débat reprend le principe de la maïeutique qui désigne la méthode par laquelle Socrate disait « accoucher » les esprits des pensées qu’ils contiennent, sans le savoir.
Ce dispositif, autrement appelé le protocole « Je est un autre », a été pensé par Jacques Levine et son groupe de recherche sur la base des avancées de la psychanalyse. L’atelier philo est le protocole dans lequel le guidage de l’adulte est le moins marqué. Par le débat d’idées avec l’autre, les élèves sont amenés à découvrir les concepts et leur propre pensée.
Au démarrage de l’atelier, l’adulte donne une seule question. Les enfants échangent ensuite entre eux, pendant une dizaine de minutes, tandis que l’adulte reste silencieux. Cet échange est filmé ou, à défaut, enregistré. La classe écoute ou visionne l’enregistrement immédiatement après et peut ainsi revivre le déroulement du débat. Suivent dix minutes de discussion, au cours de laquelle l’enseignant accompagne les réactions du groupe.
Cette expérience est déclinée dans une série aux éditions Milan dirigée par Brigitte Labbé et Michel Puech. Ces livres, certains existant aussi en CD audio, incitent les enfants à réfléchir sur de grands thèmes sur lesquels ils s’interrogent.
Le principe est le suivant : il y a à boire et à manger, les élèves sont assis par terre en cercle, ils s’installent comme ils veulent et parlent ainsi plus librement. Il est conseillé de ne pas être plus de 10 personnes pour assurer la bonne tenue du débat. Soit tout le monde s’est mis d’accord pour parler d’un sujet précis, soit quelqu’un est chargé de proposer plusieurs sujets. Dans ce cas, chacun réfléchit pour décider quel sujet il préfère, puis chacun vote pour le sujet qu’il a choisi. Le sujet qui recueille le plus de voix devient le sujet du débat. La durée totale est d’environ une heure.