La propulsion nucléaire thermique ou nucléo-thermique est un mode de propulsion des fusées qui utilise un réacteur nucléaire pour chauffer un fluide propulsif. Celui-ci, comme dans le cas d'un moteur-fusée classique, est expulsé via une tuyère pour fournir la poussée qui propulse la fusée. Ce type de propulsion permet d'atteindre en théorie des vitesses d'éjection de gaz nettement plus élevées et donc un meilleur rendement que la propulsion chimique utilisée sur les lanceurs actuels.
Différentes architectures ont été étudiées depuis le début de l'ère spatiale du simple cœur solide (similaire à celui d'une centrale nucléaire) jusqu'aux concepts plus complexes mais plus efficaces tels que les cœurs gazeux. Bien qu'un prototype ait été testé au sol par les États-Unis (moteur NERVA), aucune fusée utilisant ce type de propulsion n'a encore jamais volé. Des recherches importantes sont encore nécessaires entre autres pour diminuer le rapport poids/poussée.
Si elle est retenue, la propulsion nucléaire devra faire face à une partie de l'opinion publique fondamentalement hostile à tout lancement d'engins nucléaires. Aujourd'hui, le recours à la propulsion nucléaire n'est évoqué que dans le cadre du programme Constellation, pour des missions habitées hypothétiques vers Mars, à échéance éloignée (après 2037).
Dans un système de propulsion nucléaire thermique ou nucléo-thermique, un fluide propulsif, en général de l'hydrogène, est chauffé à haute température par un réacteur nucléaire et est éjecté par une tuyère, ce qui génère une poussée.
L'énergie du combustible nucléaire remplace celle des réactions chimiques utilisée dans les lanceurs classiques. Grâce à la densité énergétique plus importante des matériaux fissiles, environ 107 supérieure aux réactifs chimiques, il en résulte un mode de propulsion plus efficace (impulsion spécifique au moins deux fois meilleure) même en dépit du poids important du réacteur.
Un tel moteur fut envisagé aux É.-U. en remplacement du J-2 des étages S-II et S-IVB des fusées Saturn V et Saturn I. Originellement prévu comme un « échange standard » visant à améliorer les performances, des versions plus importantes de remplacement du S-IVB furent étudiées en vue de missions lunaires avancées ou martiennes. De même, l'Union Soviétique considéra cette option pour le dernier étage de la fusée lunaire N-1. Toutefois, aucun prototype ne fut vraiment au point avant que la frénésie de la course à l'espace s'achève.
À ce jour, aucune fusée nucléo-thermique n'a encore volé.
Comparer directement les performances des moteurs nucléaire et chimique n'est pas chose facile ; la conception d'une fusée étant le compromis de plusieurs solutions donnant globalement le meilleur résultat. Dans l'exemple ci-après, un étage basé sur un moteur NERVA, version 1961, est comparé avec l'étage S-IVB de la fusée Saturn V qu'il était censé remplacer.
Pour une poussée donnée T, le moteur doit fournir une puissance définie par P = T * Ve / 2 (où Ve est la vitesse d'éjection, proportionnelle à l'impulsion spécifique : Ve = Isp * g). Ainsi, le moteur J-2 du S-IVB développe P = 414 s * (1014 kN * 9,81) / 2 ≈ 2060 MW, cette puissance dégagée par la réaction chimique correspond à celle d'un gros réacteur nucléaire.
D'après la formule précédente, un moteur nucléaire de poussée équivalente devrait avoir une puissance de 4600 MW (en supposant que l'échange thermique soit idéalement efficace). Notons que cette puissance accrue n'est le fait que de l'Isp plus importante. Les configurations proposées pour NERVA vont jusqu'à 5 GW, ce qui en ferait les réacteurs nucléaires les plus puissants du monde. Mais avec une telle puissance, le réacteur devrait avoir une taille et une masse prohibitive. Comme la poussée détermine la durée d'allumage mais n'influe pas sur le delta-V obtenu, ce comparatif se basera sur un moteur NERVA de 266 kN de poussée : la puissance du réacteur est alors de 1044 MW.
Le débit de fluide propulsif pour une poussée donnée T est défini par dm = T / Ve. Pour le moteur J-2, dm = 1014 kN / (414 * 9,81) ≈ 250 kg/s. Pour le moteur NERVA, il ne serait que de 34 kg/s. Compte tenu du fait que l'hydrogène est six fois moins dense que le mélange oxygène/hydrogène utilisé par le J-2, les débits volumiques sont tous les deux de l'ordre de centaines de litres par seconde.
L'idée d'un remplacement standard de l'étage S-IVB implique un étage NERVA de mêmes dimensions, c'est-à-dire le même volume de carburant. Le S-IVB transporte environ 310 m³ de carburant dans une proportion massique LOX/LH2 de 5,5:1, représentant donc une masse de carburant totale de 106 600 kg. Un étage NERVA de mêmes dimensions (en négligeant la différence d'encombrement des moteurs et l'espace récupéré par l'absence de séparation entre deux réservoirs) transporterait donc 310 m³ de LH2, soit 22 000 kg. Diviser ces masses par le débit massique des moteurs respectifs donne la durée d'allumage de ces étages, soit 427 s pour le J-2 du S-IVB (en réalité, cette durée est de 500 s car le moteur ne tourne pas à plein régime pendant les 100 premières secondes) et 650 s pour un étage à moteur NERVA.
Le changement de vélocité delta-V peut être calculé par l'équation de Tsiolkowski basée sur le rapport des masses initiale et finale :
où m0 est la masse initiale (avec carburant) et m1 la masse finale (ou masse sèche, ou encore masse inerte, réservoir(s) vide(s)). La masse sèche d'un S-IVB est de 13 300 kg dont 1 438 kg de moteur J-2. Pour un remplacement par NERVA, compte tenu des 6 803 kg du moteur (et en négligeant le gain de poids dû à l'absence de raccord entre réservoirs) on a une masse sèche de 18 665 kg. La légèreté du carburant de NERVA compense plus que largement le surpoids du moteur, l'étage plein (m0) étant trois fois plus léger que le S-IVB original.
D'après l'équation précédente (et en l'absence de charge utile), la version J-2 générerait un ΔV de 8 930 m/s. La version nucléaire n'obtiendrait que 6 115 m/s. Cette performance moindre est due à une masse sèche plus importante mais aussi à l'éjection d'un fluide certes plus rapide mais moins dense. La version nucléaire de l'étage semble a priori moins intéressante.
Moteur | J-2 | NERVA | |||||
---|---|---|---|---|---|---|---|
Poussée | T | kN | 1014 | 266 | |||
Masse moteur | mM | kg | 1438 | 6803 | |||
Impulsion spécifique | Isp | s | 414 | 800 | |||
Puissance | P | =g.Isp.T/2 | MW | 2059 | 1044 | ||
Débit massique | dm | =T/(g.Isp) | kg/s | 250 | 34 | ||
Débit volumique | dv | =dm/densité | l/s | 726 | 477 | ||
Étage | S-IVB | même taille | même masse | S-N C-5N | |||
Masse sèche | m1 | kg | 13300 | 18665 | 42389 | 10429 | |
Masse initiale | m0 | kg | 119900 | 40683 | 119000 | 53694 | |
Masse réservoir | mR | =m1-mM | kg | 11862 | 11862 | 35586 | 3626 |
Masse carburant | mP | =m0-m1 | kg | 106600 | 22018 | 77511 | 43265 |
Volume de carburant | VP | =mP/densité | m³ | 310 | 310 | 1091 | 609 |
Durée de combustion | tB | =mP/dm | s | 427 | 650 | 2287 | 1272 |
Delta-V sans charge | ΔV | =g.Isp.ln(m0/m1) | m/s | 8930 | 6115 | 8160 | 12861 |
Delta-V avec 45 t de charge | m/s | 4223 | 2331 | 4983 | 4528 |
Cependant, cette analyse simple ne prend pas en compte certains aspects importants :
Dans cette optique, le remplacement envisagé doit donc se faire par un étage de masse équivalente au S-IVB, donc beaucoup plus volumineux (du fait de la différence de densité des carburants). En supposant simplement que le poids du réservoir s'en trouve triplé (pesant alors 35 586 kg), on obtient une masse sèche m1 de 42 389 kg, et pour la même masse initiale que le S-IVB, on peut transporter 77 511 kg de LH2. Le nouveau ΔV à vide est 8 160 m/s, toujours moins bon que celui du S-IVB. Plus la charge utile augmente, plus le rapport m0 / m1 tend vers 1 (la masse sèche a de moins en moins d'importance) et plus le paramètre Ve devient déterminant. Avec une charge utile de 45 t (le poids de la mission Apollo 11), les ΔV du S-IVB et de son remplaçant sont respectivement de 4223 et 4 983 m/s, montrant ainsi le net avantage de la propulsion nucléaire.
Bien sûr, l'augmentation de taille du réservoir n'est pas sans poser un bête problème : le véhicule doit pouvoir être assemblé dans le VAB et pouvoir passer sous les 125 m de hauteur des portes du bâtiment. Du coup, la configuration RIFT (Reactor In-Flight Test), proposée en 1961 et détaillée dans la dernière colonne du tableau précédent, adoptait des dimensions plus modestes. Le véhicule permettait d'augmenter la charge lançable en orbite terrestre basse de 120 à 155 t.