Introduction
Le scandale de l'amiante désigne la prise de conscience française d'abord dans les années 1970, puis dans les années années 1990, aux larges échos médiatiques, du problème sanitaire causé par l'exposition à l'amiante. C'est l'inhalation des fibres d'amiante qui est dangereuse. Elle produit une fibrose pulmonaire, l'asbestose, dans le cas de fortes expositions (travailleurs de l'amiante). C'est également un cancérogène, en cause dans les cancers broncho-pulmonaires, et dans les cancers de la plèvre (mésothéliome ; ce dernier est considéré comme spécifique de l'amiante et sert de marqueur statistique). Les populations concernées sont les travailleurs de l'amiante, les travailleurs du bâtiment (amenés à intervenir dans des bâtiments contenant de l'amiante), et de façon plus générale les populations qui ont été exposées à l'amiante. Le rapport INSERM 2006 sur l'amiante a établi que : "Il n'y a pas de limite sous laquelle on peut considérer que l'amiante n'est pas cancérogène", mais la fréquence des pathologies qui y sont liées est fonction de la durée d'exposition, de la quantité d'amiante inhalée, et, hormis les fibroses, se matérialise longtemps après l'exposition (en ce qui concerne les cancers autour de 30 à 40 ans).
Des procès ont lieu entre industriels et ouvriers. Selon un rapport du Sénat de 2005, l’utilisation de l’amiante est responsable de 35 000 décès survenus entre 1965 et 1995 en France, et pourrait causer de 65 000 décès à 100 000 décès entre 2005 et 2025–2030.
Le président Jacques Chirac a décidé d’interdire totalement l’amiante en 1997. Les pouvoirs publics ont par ailleurs engagé des chantiers de désamiantage de bâtiments publics.
Chronologie de la connaissance des risques de l'amiante en France
De 1906 à 1994
- 1906 : Denis Auribault, inspecteur départemental du travail à Caen, publie un rapport dénonçant la « forte mortalité des ouvriers dans les filatures et dans les usines de tissage d'amiante »
- 1919 : les compagnies d'assurances américaines et anglaises suppriment leur garantie pour les entreprises fabriquant des matériaux contenant de l'amiante
- 1945 : un tableau de maladies professionnelles dues à l'amiante est créé. Les employeurs ne peuvent prétendre ignorer les risques.
- Dès la fin des années 1950, le mésothéliome pleural et péritonéal était attribué au rôle cancérigène des fibres d'amiante, mais les organismes de sécurité sociale refusaient d'admettre cette pathologie parmi les maladies professionnelles, du fait qu'elle ne figurait pas au répertoire.
- 1951 : les frères Blandin créent un matériau à projeter sans amiante. Un flocage sans amiante est disponible et très largement utilisé en France en concurrence avec l'amiante, bien avant l'interdiction de l'amiante dans les flocages.
- 1965 : le premier cas recensé en France d'un mésothéliome (dont la seule cause connue est l'amiante). Cela n'empêche pas d'en importer massivement pendant trente ans encore, pour un total équivalant à 80 kg par habitant.
- 1971 : les industriels américains du Nord et européens, qui développent des centaines d'applications de la fibre ignifuge, se réunissent à Londres lorsque des études scientifiques pointent sa nocivité. Les pressions vont s'accroitre à plus ou moins long terme, redoute l'organisateur de la conférence, « préparez votre défense »
- 1975 : les journaux télévisés informent du risque de cancer lié à l'amiante, et du risque de décès, autour de l'actualité de Jussieu, menée entre autres par le chercheur Henri Pézerat.
- 1976 : une conférence du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classe l'amiante comme cancérigène avéré pour l'homme.
- En 1977, le professeur Jean Bignon, pneumologue respecté, écrit à Raymond Barre, premier ministre : « force est d'admettre que l'amiante est un cancérogène physique dont l'étendue des méfaits chez l'homme est actuellement bien connue » et prédit « des conséquences plus graves sur la santé publique pour les trente années à venir ».
- Marcel Valtat crée les communications économiques et sociales, un des premiers cabinets spécialisés qui se chargera de la promotion des entreprises et sera la cheville ouvrière du lobbying de l'amiante en France. Son décès en 1993 sera le début de la fin de ce lobbying.
- 1977 : des décrets et arrêtés règlementent l'usage de l'amiante. Le flocage à l'amiante, c'est-à-dire la projection de fibres d'amiante avec un liant faible à fin d'isolation, ou le plus souvent de protection contre le feu de structures métalliques, est interdit dans les habitations (décret du 29 juin 1977). Mais le décret d'aout 1977 sur la protection des travailleurs exposés aux poussières d'amiante pose problème. Si le Royaume-Uni a adopté, dès 1969, une règlementation qui limite la norme d'empoussièrement à 0,2 fibre/cm³ d'air pour la crocidolite, variété la plus dangereuse de l'amiante, les industriels français imposent une norme dix fois supérieure.
- Janvier 1978 : le Parlement européen, dans une résolution, souligne le « caractère cancérigène » de l'amiante.
- Mars 1978 : un décret du 20 mars 1978, interdit les flocages contenant plus de 1 % d'amiante dans l'ensemble des bâtiments.
- L'évolution règlementaire de l'interdiction de mise sur le marché de produits contenant de l'amiante s'étalera jusqu'au 1er janvier 1997, date à laquelle, seules quelques applications pour lesquelles les enjeux en termes de sécurité sont tels, que l'amiante n'a pas encore trouvé de remplaçant fiable.
- En 1982, l' « Association française de l'amiante » qui regroupe les industriels de l'amiante crée le Comité Permanent Amiante (CPA), qui regroupe patronat et syndicats, chargé de la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. La paternité en revient à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Ce comité groupe informel, sans pouvoir et sans statuts, créé par Dominique Moyen, directeur général de l'Institut national de recherche et de sécurité, va orienter la politique sanitaire française pour l'amiante. Ce comité comprendra le professeur Jean Bignon et son successeur, le professeur Patrick Brochard, qui dira par la suite s'être fait piéger : « on ne sait pas faire sans amiante » … « tout le monde croyait les industriels ». Ce comité, dont le financement sera entièrement dépendant des industries, comprendra aussi des délégués des principaux syndicats qui défendront longtemps l'usage de l'amiante au nom de la préservation de l'emploi.
- Pendant douze ans, la politique en matière d'amiante sera entièrement confiée à ce comité avec la complicité d'un État Français singulièrement passif.
- 1986 : lorsque les États-Unis envisagent d'interdire l'amiante, la France intervient pour émettre un avis négatif, fondé sur un rapport du Comité permanent amiante. Et quand, poussée par l'Allemagne en 1991, la Communauté européenne s'interroge sur une interdiction pure et simple de l'amiante, le CPA procède de nouveau à un intense lobbying dans les couloirs de la Commission afin d'empêcher toute prohibition, de concert avec le lobby canadien.
- En 1991, la Communauté européenne s'interroge sur l'interdiction mais la France, aidée par un lobbying intensif du Comité Permanent Amiante, contribuera grandement à geler la situation.
- En 1992, dans une école de Pontoise, enseignants et parents découvrent la présence massive d'amiante dans les faux plafonds et s'inquiètent. Le maire ferme les classes et un instituteur prévient la CGT, qui renvoie sur le Comité Permanent Amiante.
- En 1994, la mort de six enseignants au lycée de Gérardmer (Vosges) relance le débat sur l'amiante et à Jussieu une nouvelle génération de chercheurs s'inquiète de la présence de l'amiante. Michel Parigot, responsable du Comité anti-amiante de Jussieu déclare : « nous avons été confrontés au Comité Permanent Amiante très rapidement et l'existence de ce truc m'a sidéré ; quand on téléphonait au ministère de la santé, on tombait sur quelqu'un de ce "comité" qui nous répondait : Il y a plus de risques sur le périphérique que dans votre université. Nous avons très vite compris que cette structure n'avait réussi à fonctionner aussi longtemps que parce qu'elle n'avait pas été dénoncée publiquement. C'est le genre de choses qui ne supportent pas la lumière. »
De 1995 à ce jour
- En 1995, les groupes d'opposition à l'amiante s'attachent à discréditer l'organisme et ses membres, menant une campagne efficace, envoyant des notes à tous les journaux sur le CPA. Certains membres du Comité Permanent Amiante sentant le vent tourner vont discrètement démissionner et les ministères annoncent quitter une structure où ils affirment n'avoir été qu'en tant qu'observateurs. Le comité disparaît fin 1995.
- 1996 : L'Inserm révèle l'ampleur de la catastrophe sanitaire, estimant qu'elle pourrait faire 100 000 morts en France d'ici à 2025.
- Février 1996 : création en France de l'ANDEVA, Association Nationale DEs Victimes de l'Amiante, qui dépose plusieurs plainte contre X au pénal. Douze ans plus tard, ces plaintes n'ont toujours pas abouti. L'association procure une aide aux victimes, notamment pour l'accès à la reconnaissance en maladie professionnelle et pour l'indemnisation devant les tribunaux.
- 19 novembre 1996 : Des informations judiciaires sont ouvertes contre X pour "violences volontaires" et "abstention délictueuses" après des plaintes du comité anti-amiante de Jussieu et de deux enseignants.
- 1er janvier 1997 : L'usage de l'amiante est interdit, par le décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 relatif à l'amiante, pris en application du code du travail et du code de la consommation. La France est le huitième pays européen à le faire.
- Depuis 1996, avec des modifications en 1997, 2001 et en 2002, une réglementation s'imposant aux propriétaires d'immeubles bâtis crée des obligations de recherche d'amiante dans leurs locaux, à l'occasion notamment des transactions immobilières ou des démolitions. Dans certains cas exceptionnels où la population serait exposée au risque d'inhalation de fibres d'amiante, des travaux peuvent être imposés.
- 1997 : L'office parlementaire fustige en termes très durs le laisser-faire des pouvoirs publics. "A l'époque, il a semblé normal de confier la veille sanitaire au privé (CPA), résume Me Michel Ledoux, avocat d'Andeva (Association nationale de défenses des victimes de l'amiante). "C'est comme si la Seita s'était occupée du cancer du poumon". Le gouvernement interdit l'amiante.
- 18 décembre 1998 : Pour la première fois, la responsabilité de la Sécurité sociale est reconnue dans une affaire concernant les victimes de l'amiante. Le tribunal reconnaît la "faute inexcusable" de la société Everite et de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Gironde.
- 26 novembre 1998 : L'Assemblée nationale adopte à l'unanimité un amendement gouvernemental accordant une retraite anticipée, dès 50 ans, aux "salariés et anciens salariés" des établissements de manufacture de l'amiante et aux victimes.
- 1999 : La cour d'appel de Caen confirme une décision de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions pénales de faire indemniser un ancien mécanicien de la marine nationale. Elle confirme aussi la condamnation de la direction des constructions navales de Cherbourg.
- 2000 : Le tribunal administratif de Marseille juge l'État « responsable des conséquences dommageables du décès » de quatre personnes contaminées. C'est la première fois que l'État est directement mis en cause.
- 2001 : Fonds d'indemnisation. Le décret instituant le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) créé par la loi de financement de la Sécurité sociale paraît au Journal officiel, le 24 octobre 2001.
- Décembre 2003 : Tous les propriétaires d'immeubles de grande hauteur ou recevant du public doivent avoir rempli leurs obligations : rechercher la présence d'amiante selon un protocole précis, établir un dossier technique consultable par tous les occupants, et élaborer un programme de confinement ou de retrait du matériau. Le problème de cette réglementation, adoptée par étape entre 1996 et 2002, est que le gouvernement n'a aucun moyen de vérifier son application.
- Octobre 2005 : Une mission du Sénat, présidée par Jean-Marie Vanlerenberghe, évoque une "épidémie à venir inéluctable et irréversible" de cancers provoqués par l'amiante et met en cause "la responsabilité de l'État" dans "la gestion défaillante" de ce dossier. Elle formule vingt-huit propositions allant de l'amélioration de l'information des salariés à celle des tribunaux, en passant par un renforcement des mesures financières pour l'indemnisation des victimes de l'amiante.
- Juin 2006 : Parution d'un nouveau décret pour corriger les défaillances des réglementations précédentes. Le décret de 96 est annulé. Le Diagnostic Technique Amiante (DTA) doit maintenant être joint au Plan Général de Coordination et au Plan de Prévention établit avant travaux ainsi qu'au Dossier d'Intervention Ultérieure sur l'Ouvrage s'il subsiste de l'amiante après les travaux. Au plan de retrait et de confinement des matériaux amiantés s'ajoute le plan de démolition.
- 2007 : 22 morts et 130 victimes reconnues comme maladie professionnelle ont été recensés à ce jour parmi le personnel travaillant ou ayant travaillé sur le campus de Jussieu.