Anaximandre - Définition

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Théories

L’apeiron, principe originel

Hippolyte de Rome (I, 5), et plus tard Simplicius attribuent à Anaximandre la paternité de l'usage du mot ἀπείρων / apeírôn (« infini » ou « illimité ») pour désigner le principe originel. Il aurait aussi été le premier philosophe à employer dans un sens philosophique le terme ἀρχή / arkhế. Celui-ci signifiait jusqu'alors le « commencement », l'« origine » ; à partir d'Anaximandre, il ne s'agit plus seulement d'un point dans le temps, mais d'une origine perpétuelle, qui peut continuellement donner naissance à ce qui sera.

Anaximandre plaçait ainsi l’apeiron, comme substance originelle ou principe, source, réceptacle de tout, éternel et indestructible, la cause complète de la génération et de la destruction de tout. Pour Anaximandre, le principe des choses n’est donc rien de déterminé, il n’est pas un des éléments, comme c’était le cas chez Thalès. Pas plus qu’il ne s’agit de quelque chose d’intermédiaire entre l’air et l’eau, ou l’air et le feu, plus dense que l’air et le feu et plus subtile que l’eau et la terre.

Il expliqua comment se forment les quatre éléments de la physique ancienne (l’air, la terre, l’eau et le feu) et, sous leurs interactions, comment se forment la Terre et les êtres qui l’habitent.

Selon Anaximandre, l’Univers tire son origine de la séparation des contraires de la matière primordiale. Ainsi, le chaud se déplaça vers le haut, se séparant du froid, et ensuite le sec se sépara de l’humide. Il soutenait également que toute chose qui meurt retourne à l’élément dont elle est issue (apeiron). La seule citation d'Anaximandre qui nous soit parvenue porte sur ce sujet. Elle a été rapportée par Simplicius et décrit les changements équilibrés et réciproques des éléments :

« Ce d’où il y a génération des entités, en cela aussi se produit leur destruction, selon la nécessité, car elles se rendent les unes aux autres justice et réparation de leur injustice, selon l’assignation du Temps. »

La ponctuation n'existe pas en grec ancien et les citations se fondent habituellement sur le contexte. Il est donc souvent difficile d'en déterminer le début et la fin. On considère néanmoins généralement qu'il ne s'agit pas là de l'interprétation de Simplicius, mais bien, comme il l'écrit, des « termes quelque peu poétiques » d'Anaximandre.

Cette idée de retour à l'élément d'origine fut souvent reprise par la suite, notamment chez Aristote (Métaphysique, I, 3, 983 b 8-11 ; Physique, III, 5, 204 b 33-34) ou chez Euripide (« ce qui vient de la terre doit retourner à la terre », Les Suppliantes, v. 532). Elle rappelle même l'expression judéo-chrétienne : « Tu es né poussière et tu retourneras à la poussière. »

Cosmologie

Schéma de l’univers d’Anaximandre

Son audacieux usage d’hypothèses explicatives non mythologiques le distingua radicalement des auteurs de cosmologies antérieurs. Il témoigne de la démythification de la démarche généalogique. La composition du plus ancien ouvrage en prose sur l’Univers et les origines de la vie, qui constitue la majeure contribution d’Anaximandre, lui valut d’être parfois désigné comme le père de la cosmologie ou fondateur de l’astronomie. Toutefois, le Pseudo-Plutarque (I, 7) précise qu’il considère que « les astres sont des dieux célestes ».

Anaximandre fut le premier à concevoir un modèle mécanique du monde. La Terre flotte en équilibre, immobile au centre de l’infini, sans être soutenue par quoi que ce soit. Elle demeure « au même endroit à cause de son indifférence », un point de vue considéré comme étant ingénieux, mais faux par Aristote dans son Traité du ciel (II, 13). Sa forme curieuse est celle d’un cylindre dont la hauteur est le tiers de son diamètre. La partie plane du dessus forme le monde habitable entouré d’une masse océanique circulaire.

Un tel modèle cylindrique permettait de concevoir que les astres aient pu passer en dessous. Cette représentation est novatrice par rapport à l’explication de Thalès d’un monde qui flotte sur l’eau. Thalès était confronté au problème de savoir ce qui alors soutiendrait son océan, alors qu’Anaximandre parvint à résoudre ce problème en introduisant le concept d’infini (apeiron).

Schémas du modèle de l’univers d’Anaximandre : à gauche, le jour en été ; à droite, la nuit en hiver

À l’origine, après la séparation du chaud et du froid, se forma une boule de flamme qui entoura la Terre comme l’écorce d’un arbre. Cette boule se déchira pour former le reste de l’Univers. Celui-ci ressemblait à un système de roues creuses concentriques emplies de feu et aux parois percées d’une bouche, comme le trou d’une flûte. De la même taille que la terre, le Soleil était donc le feu que l’on voyait à travers un trou sur la roue la plus éloignée et une éclipse correspondait à la fermeture de ce trou. Le diamètre de la roue solaire égalait vingt-sept fois celui de la Terre (ou vingt-huit, selon les sources) et celui de la Lune dont le feu était moins intense, dix-huit fois (ou encore dix-neuf). Son trou avait la capacité de changer sa forme expliquant ainsi les phases lunaires. Les étoiles et les planètes, plus rapprochées, étaient conçues sur le même modèle.

Il fut ainsi le premier astronome à considérer le Soleil comme une masse énorme et par conséquent, à réaliser à quel point celui-ci pouvait être éloigné de la Terre. Il était aussi le premier à présenter un système où les astres tournaient à des distances différentes. D’ailleurs selon Diogène Laërce (II, 2), il construisit une sphère céleste. Cette réalisation lui permit sans doute d’être le premier à établir l’obliquité du zodiaque comme l'affirme Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle (II, 8). Il est beaucoup trop tôt pour parler ici de l’écliptique, mais les connaissances et les travaux d’Anaximandre sur l’astronomie confirment qu’il devait avoir observé l’inclinaison de la sphère céleste par rapport au plan terrestre pour expliquer les saisons. La mesure exacte de l’obliquité, d’après Aetius (II, 12, 2), reviendrait à Pythagore.

Pluralité des mondes

Selon Simplicius, Anaximandre suggérait déjà, comme Leucippe, Démocrite et plus tard Épicure, la pluralité des mondes. Ces penseurs supposaient qu’ils apparaissaient et disparaissaient pendant un temps, que certains naissaient quand périssaient d’autres. Et ils affirmaient que ce mouvement était éternel, « car sans mouvement, il ne peut y avoir ni génération ni destruction. »

Indépendamment de Simplicius, Hippolyte (Réfutation, I, 6) rapportait qu'Anaximandre disait que le principe des êtres émane de l'infini, duquel proviennent les cieux et les mondes (nombreux sont les doxographes qui ont fait état de l'usage du pluriel quand ce philosophe fait référence aux mondes en eux qui sont souvent en quantité infinie). Cicéron spécifie en outre que le philosophe associe des dieux différents aux mondes innombrables qui se succèdent.

Cette théorie rapprocherait Anaximandre des atomistes et des épicuriens qui, plus d'un siècle plus tard, affirmèrent également qu'une infinité de mondes apparaissaient et disparaissaient. Il y eut au cours de l'histoire intellectuelle grecque des penseurs qui soutinrent l'idée d'un monde unique (Platon, Aristote, Anaxagore et Archélaos de Milet), mais d'autres concevaient plutôt l'existence d'une série continue ou non de mondes successifs (Anaximène, Héraclite, Empédocle et Diogène d'Apollonie). Sans tirer de conclusion sur la ligne de pensée d'Anaximandre que l'on connaît trop peu, on peut supposer une relation entre son concept de l'apeiron, indéfini dans le temps, et l'infinité des mondes. Déjà, il posait des hypothèses qui sont encore aujourd'hui le sujet d'innombrables spéculations.

Phénomènes météorologiques

Anaximandre expliquait des phénomènes, tels que le tonnerre et les éclairs, par l'intervention des éléments et non par des causes divines. Le tonnerre serait le son produit par le choc de nuages sous l’action du vent, la force du son étant proportionnelle à celle du choc. S’il tonne sans qu’il éclaire, c’est parce que le vent est trop faible pour produire une flamme, mais assez fort pour produire un son. L’éclair, quant à lui, serait une secousse d’air qui se disperse et tombe en permettant à un feu peu actif de se dégager et la foudre, le résultat d’un courant d’air plus violent et dense.

Il considérait que la mer était ce qui restait de l’humidité originelle. Selon lui, la terre avait autrefois été entourée d’une masse humide dont l’évaporation d’une partie sous l’effet du soleil causa les vents et même la rotation des astres, comme si ceux-ci devaient aux vapeurs et aux exhalaisons marines leur mouvement en tentant de suivre les endroits où elles sont plus abondantes. Pour lui, la terre s'asséchait lentement et l'eau ne subsistait que dans les régions les plus profondes, qui elles aussi seraient un jour sèches. Si l'on se fie aux Météorologiques (II, 3) d'Aristote, Démocrite partageait aussi cette opinion. De manière analogue, Anaximandre expliquait la pluie comme un produit de l’humidité pompée de la terre par le soleil.

Origine de la vie

Anaximandre s’interrogea sur la naissance de la vie et spécula sur l'origine de la vie animale. Prenant acte de l'existence des fossiles, il affirma que dans un lointain passé, les animaux naquirent de la mer. Il disait aussi que les premiers animaux naissaient entourés d’une écorce épineuse, mais qu’en avançant en âge, l’écorce séchait et se rompait. Par l’action du Soleil sur l’humidité, des terres sont apparues et l’homme dut avec le temps s’y adapter. Censorinus rapporte :

« Anaximandre de Milet estimait que de l’eau et de la terre réchauffées étaient sortis soit des poissons, soit des animaux tout à fait semblables aux poissons. C’est au sein de ces animaux qu’ont été formés les hommes et que les embryons ont été retenus prisonniers jusqu’à l’âge de la puberté ; alors seulement, après que ces animaux eurent éclaté, en sortirent des hommes et des femmes désormais aptes à se nourrir. »

— Sur le jour natal, IV, 7. Traduction de J. Mangeart, Paris, 1843.

Il avança aussi l’idée selon laquelle les hommes avaient dû passer une partie de cette transition dans la bouche de gros poissons pour se protéger du climat jusqu’à ce qu’il puisse regagner l’air libre et perdre ses écailles.

Ces conceptions pré-darwiniennes peuvent paraître étranges au regard des connaissances et des méthodes scientifiques modernes car elles proposent des systèmes d'explication très complets de l'univers au moyen d'hypothèses audacieuses et difficiles à vérifier. Elles témoignent toutefois de la naissance d'un phénomène que l'on a parfois appelé le « miracle grec » : certains hommes se mettent à tenter d'expliquer la nature du monde non par le recours au mythe ou à la religion, mais par des principes « matériels ». On pourrait dire qu'il s'agit déjà là du principe fondamental de la pensée scientifique, même si les méthodes de la recherche se sont considérablement transformées depuis lors.

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