Biospéologie - Définition

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Il y a de la vie sous terre

Le monde souterrain

On ne peut pas donner de description générale et universelle des caractères particuliers à la vie souterraine, car les grottes et leur “climat” sont bien différents suivant les latitudes ou l'altitude à laquelle elles s'ouvrent. Ces différences sont d'autant plus sensibles qu'on est proche de l'entrée ou de la surface. Pourtant, au fur et à mesure que l'on s'enfonce sous terre et dans les régions tempérées du globe, on retrouve des caractéristiques communes :

  • Obscurité : seul point commun à toutes les grottes du globe, passé quelques dizaines de mètres de l'entrée (distance variable suivant la topographie de la cavité) l'absence de lumière y est totale, ça n'a rien à voir avec une nuit sans lune.
  • Hygrométrie : le degré d'humidité des cavités est généralement très important dans la zone tempérée, et de toute façon plus élevé qu'à l'extérieur. Il existe des grottes plutôt « sèches », et le degré d'humidité varie suivant la saison, les zones, la profondeur, la circulation de l'air, la météorologie, la présence de cours d'eaux hypogés, etc. Dans les cavités, le taux d'humidité de l'air est parfois supérieur à 40 % et peut frôler les 60 %, ce qui permet à certains animaux aquatiques de sortir de l'eau pour changer de place par la voie terrestre (Niphargus). On peut rencontrer également des animaux terrestres comme l'isopode Scotoniscus macromelos qui peut rester noyé pendant plusieurs jours sans décéder pour autant. En réalité, de très nombreux cavernicoles troglobies sont amphibies.
  • Température : elle diffère notablement de celle enregistrée à l'extérieur ; il y a des grottes où il gèle et d'autres où il fait plus de 5 °C. Pour autant, les écarts de température sont toujours plus faibles qu'à l'extérieur et le climat y est plus clément. S'il fait 0 °C dans un aven alpin en altitude, il peut y avoir 10 à 20 degrés de moins au même moment à l'extérieur ; si au Nouveau-Mexique on relève plus de 20 °C dans une galerie de Lechuguilla, le mercure peut monter à 50 °C à l'ombre des cactus extérieurs. Dans les régions tempérées d'Europe, la température des cavités d'altitude moyenne se situe autour de 12 ou 13 °C, la variation de température y est faible, voire négligeable.

Par contre, les conditions de vie actuelles peuvent être bien différentes de ce qu'elles furent par le passé. Il ne faut pas oublier que si des cavités qui semblent aujourd'hui favorables au développement des animaux cavernicoles en sont totalement dépourvues, l'origine de ce phénomène remonte parfois bien loin. Les grottes ne sont pas peuplées au-delà d'une certaine latitude qui correspond sensiblement à l'extension des glaciers au cours des deux dernières glaciations de l'ère chrétienne (Glaciations de Mindel et Würm). Les glaces venant du Nord ont détruit leur peuplement sur l'ensemble du globe. Longtemps, on a cru qu’il n’existait pas de troglobies dans les grottes tropicales mais les recherches récentes montrent que de nombreuses espèces sont présentes.

De plus, même si aucune plante verte ne peut pousser loin de l'entrée des cavernes (par conséquent aucun herbivore n'y vit), la nourriture pour les cavernicoles ne manque pas. Tout d'abord la densité de population n'est pas énorme (mis à part dans les tas de guano où ça grouille vraiment), ensuite l'eau y entraîne suffisamment de matière organique pour repaître les troglobies.

Les trois catégories de cavernicoles

Dès qu'il fut constaté que le monde souterrain était peuplé, faire un tri parmi tous ces êtres vivants était devenu indispensable. Plusieurs possibilités s'offrent à celui qui s'attaque à cette tâche :

  • classer en fonction de caractéristiques anatomiques, c'est ce que font les systématiciens et qui permet d'associer telle ou telle espèce à un ordre et une famille donnée ;
  • classer en fonction des lieux de vie préférés des cavernicoles : l'eau, le guano, l'argile, le concrétionnement… Des essais en ce sens eurent lieu mais le résultat n'est pas convainquant : les animaux adultes peuvent, par exemple, vivre dans une zone de la caverne totalement différente du stade larvaire de la même espèce. Pourtant il reste intéressant d'étudier les différents écosystèmes souterrains : zone d'entrée — faiblement éclairée — des cavités, les tas de guanos grouillants de vie, les mélanges de pierre, d'argile et les parois stalagmitiques, l'eau souterraine libre et enfin le milieu interstitiel noyé de la nappe phréatique. Dans chacune de ces parties on retrouvera préférentiellement tels ou tels types d'animaux, comme par exemple dans la zone d'entrée dont le biotope a été étudié en détails et auquel a été donnée le nom d'« association pariétale » par René Jeannel ;
  • classer en fonction de la faculté à vivre exclusivement ou non dans le monde hypogé.

Cette dernière méthode s'est affinée au fil des ans pour être actuellement reconnue comme la plus pratique en biospéologie. Trois catégories de cavernicoles sont donc définies par l'étroitesse de leur lien au monde souterrain profond : trogloxènes, troglophiles et troglobies.

Les trogloxènes

Ce sont des animaux qui utilisent, quand cela est possible, le monde souterrain au cours d'une partie de leur existence pour des raisons particulières à chaque espèce. Les caractéristiques physiques des cavités leurs sont temporairement favorables, par exemple, pour hiberner (ours et chauve-souris), pour estiver (batraciens des pays chauds) ou tout simplement pour s'abriter (serpents, rongeurs). Ces animaux peuvent trouver ailleurs des conditions semblables (semi-obscurité, température stable…) et utiliser d'autres lieux en l'absence de cavités. De plus ces animaux n'effectuent pas leur cycle complet de reproduction sous terre : même les espèces de chauves-souris qui utilisent les grottes comme nursery s'accouplent à l'extérieur à une autre période de l'année.

Les troglophiles

Ces animaux, bien que très peu différents morphologiquement des formes épigées, sont particulièrement bien adaptés à la vie souterraine. Au cours de l'histoire de leur lignée sont apparus, suite à la variabilité génétique, des caractères qui les ont rendus plus aptes que d'autres à la vie dans les conditions spécifiques du monde souterrain. C'est ce qu'on appelle la « préadaptation ».

Certains animaux utilisent ces prédispositions pour exploiter le monde hypogé en leur faveur, ils peuvent alors voir leur comportement différer sensiblement de celui des membres épigés de la même espèce : les escargots Oxychilus épigés hibernent alors que l'Oxychilus cavernicole troglophile a une activité constante tout au long de l'année. De plus, si on analyse les sucs digestifs d'une espèce d'Oxychilus épigé on s'aperçoit qu'ils contiennent dix fois plus d'enzymes capables de digérer les carapaces des insectes que ceux des autres escargots, et pourtant Oxychilus épigé est détrititivore (animaux morts, feuilles mortes) ; alors que sous terre, l'espèce troglophile d'Oxychilus est carnivore : il mange les déchets de carcasses d'insectes et chasse même des papillons. Cet exemple de préadaptation montre bien que sans cette spécificité physiologique préalable, jamais Oxychilus n'aurait pu donner une lignée d'animaux cavernicoles viables.

Pour autant, et même si leur cycle de vie se déroule entièrement dans les cavités, la morphologie des troglophiles n'a pas ou très peu évolué : peut-être ne sont-ils pas hypogés depuis un nombre de générations suffisamment élevé, car comme le souligne Stephen Jay Gould : « Les organismes ne sont pas une pâte à modeler que l'environnement façonne à son gré, ni des boules de billard sur le tapis vert de la sélection naturelle. La morphologie de ces organismes et le comportement qu'ils ont hérité du passé exerce une contrainte et freine leur évolution : il leur est impossible d'acquérir rapidement de nouvelles caractéristiques optimales chaque fois que leur environnement se modifie. ». Seules les bactéries, encore mal connues, semblent peut-être faire exception à cette règle et avoir un pouvoir adaptatif au-dessus de la moyenne des autres êtres vivants mais, malgré une présence bactérienne importante dans les argiles des grottes, ceci est une autre histoire.

Les troglobies

Leptodirus hochenwartii, un coléoptère troglobie des Alpes dinariques.

Ce sont les véritables cavernicoles qui ont surpris les premiers observateurs par leur aspect physique, différent de celui des animaux épigés. Bien que lointainement issus d'animaux de surface, ils s'en sont depuis tellement éloigné physiologiquement et morphologiquement qu'ils ne peuvent plus survivre bien longtemps à l'extérieur. Leur développement dépend totalement des grottes, avens, nappes phréatiques qu'ils peuplent et auxquels on dit qu'ils sont inféodés. Pour toutes ces raisons, ils forment de nouvelles espèces à part entière, cousines éloignées de celles qui vivent à l'extérieur. Il n'existe donc pas d'herbivores troglobies puisqu'il n'y a pas de végétation chlorophyllienne dans l'obscurité totale, pas d'oiseaux ni de mammifères (le Guacharo et les chauves-souris sont des trogloxènes), quelques rares vertébrés (poissons, batraciens) et une foule immense d'invertébrés (insectes, crustacés, mollusques, vers, unicellulaires).

Les espèces hypogées troglobies véritables présentent par rapport à leurs cousins épigés de la même famille, des traits distinctifs dont les plus fréquents et les plus connus sont les suivants :

  • Vision : De nombreuses espèces ne présentent plus d'yeux (au moins à l'âge adulte), d'autres ont des yeux extrêmement réduits ou non apparents (cachés par de la peau). Cependant, anophtalme et aveugle sont deux choses différentes : certains cavernicoles sont aveugles bien que pourvus d'yeux. De plus, plusieurs animaux épigés sont aveugles (avec ou sans yeux). L'absence d'yeux n'est donc pas une règle immuable dans le monde souterrain des troglobies, mais tout au plus une tendance beaucoup plus fréquente que chez les espèces épigées ou troglophiles.
  • Dépigmentation : Les tissus animaux sont plus ou moins colorés et ces couleurs ont des origines diverses : phénomènes optiques (reflets des plumes du paon), pigments colorés (parures de la peau des salamandres, teinte rouge de l'hémoglobine), mélanine (bronzage des plagistes Homo sapiens). Les biospéologues ont pu constater que de nombreuses espèces troglobies avaient le teint plutôt pâle ou étaient presque transparentes (niphargus, protée). D'autres pourtant ont encore des couleurs sombres (Staphyllin). Il semblerait que cette disposition à perdre certains pigments ne soit d'ailleurs pas toujours irréversible, chez le protée par exemple qui devient brunâtre quand il est exposé longtemps à la lumière artificielle. Chez d'autres espèces, l'exposition à la lumière solaire est mortelle (hypersensibilité aux UV) dans un délai allant de quelques secondes (Planaires) ou quelques minutes (Sphodrides) à quelques dizaines d'heures (Niphargus).
  • L'absence d'ailes (alors que la famille est ptérygote) : Tous les hypogés troglobies dont les cousins épigés sont ailés, sont dépourvus d'ailes complètes. Bien que leurs élytres soient encore présents, les ailes sont toujours atrophiées, il n'en reste souvent que des traces, des moignons. Encore une fois, ce caractère se rencontre aussi chez certaines espèces épigées (Trechus qui vivent dans l'humus).
  • Taille et forme du corps : Bien qu'on ait, par le passé, souvent écrit que les troglobies voyaient leur taille augmenter (ainsi que celle de leurs antennes par exemple) par rapport à leurs cousins des mêmes groupes épigés, aucune règle générale ne semble ressortir de l'examen systématique des espèces du monde souterrain. Il semble simplement que l'évolution ait accentué certains caractères déjà présents sur les lignées animales épigées une fois qu'elles se sont retrouvées isolées sous terre. Les opilionidés cavernicoles ont par exemple des pattes encore plus longues que celles de leurs cousins. Si l'écrevisse cavernicole Cambarus tenebrosus est plus grosse que l'écrevisse des ruisseaux, les isopodes, eux, sont devenus minuscules.

L'idée selon laquelle les cavernicoles avaient vu leurs organes sensoriels augmenter en taille et en nombre pour compenser la perte de la vue, bien que séduisante pour certaines espèces, ne peut pas être généralisée.

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