Bull: De la mécanographie à l'électronique (1931-1964) - Définition

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De nouveaux dirigeants

Les années 1935-1937 sont décisives. L'innovation exigeant des investissements coûteux, des pourparlers sont entrepris avec les pouvoirs publics en vue d'obtenir une aide pour le développement des études. Simultanément, E. Genon est mandaté par le conseil d'administration pour poursuivre auprès de différentes firmes aux États-Unis les recherches d'accords de licence de distribution. Il rencontre, entre autres, T.J. Watson, président d'IBM qui lui fait « une offre de collaboration amicale ». Mais la compagnie préfère demander l'engagement du gouvernement français. La décision de ce dernier tarde à venir. E. Genon, sans avoir reçu l'autorisation du conseil d'administration, vend alors à IBM la majorité des actions de Bull A.G. (la société de commercialisation des machines Bull), qu'il dirigeait. Il y voit un moyen d'obtenir « une paix tacite » des brevets entre IBM et Bull et de « développer l'affaire Bull sur le plan international avec l'appui d'un groupe américain ». L'intraitable G. Vieillard somme Genon de choisir : Bull ou IBM. Après dix ans d'une intense activité souvent décisive, E. Genon quitte Bull, dont les dirigeants garderont l'impression qu'il les a trahis. De nouveaux acteurs entrent en scène : la famille Callies-Aussedat.

Les mutations de l'après-guerre

L'internationalisation

De l'après-guerre jusqu'en 1961, la Compagnie connaît une croissance et une prospérité extraordinaires. En 1948, Bull dépasse IBM sur le marché français, avec 385 équipements installés. En seize ans, son effectif sera multiplié par dix. Il s'agit d'une croissance essentiellement interne, due au développement des produits et des ventes ; s'y ajoute l'absorption de certains sous-traitants de la Compagnie. Cette période est à la fois celle où le marché de la mécanographie atteint son apogée, et celle où Bull, de même que ses principaux concurrents, se convertit progressivement à l'électronique.

Un des traits les plus frappants de ce dynamisme est son caractère international. À partir de 1947, l'activité exportatrice, interrompue par la guerre, reprend vigoureusement. Pendant les quinze années suivantes, le réseau international de Bull, qui fonctionnait déjà dans les années 1930, va prendre une extension considérable et constituer une des grandes forces de la compagnie. Ainsi, en Belgique, SOMECA, qui représentait Bull AG en 1930, devient en 1942 la Société belge des machines Bull. En Suisse, la société Endrich A.G., partenaire de Bull depuis 1930, devient en 1947 une filiale sous le nom de Bull Lochkartenmaschinen A.G.. En 1949, se conclut une association avec Olivetti pour créer une filiale de distribution en Italie : la société Olivetti-Bull. CMB en retirera une partie de sa participation financière en 1962 et le reste en 1965. Entre-temps, Bull aura joué un rôle moteur dans la diffusion de l'informatique en Italie. Dès les années 1940, Bull est implanté en Hollande, en Allemagne, en Amérique du Sud. Bull s'attaque aussi aux marchés anglo-saxons, mais n'établit que très tard des filiales dans ces pays où ses principaux concurrents sont chez eux et où des accords de non-ingérence mutuelle la lient à British Tabulating Machines et à Remington Rand, écartés ainsi du marché français. Ces ententes représentent à la fois un atout et un handicap, puisque l'Amérique du Nord constitue à l'époque 80 % du marché mondial du traitement de l'information. En 1956, le marché soviétique s'ouvre aux produits de la CMB. En 1960, Bull entre sur le marché de la République populaire de Chine. En octobre 1962 est signé un accord commercial avec Mitsubishi qui reçoit l'exclusivité de la vente du matériel Bull sur le marché japonais et acquiert un Gamma 60, puis des Gamma 10. En 1963 est créée la Bull Corporation of Japan.

Le personnel des agences et filiales de la Compagnie est multiplié par soixante en seize ans : 4 000 personnes en 1964. Le réseau commercial Bull couvre alors plus de 42 pays. Entre 1950 et 1965, Bull réalise entre le tiers et la moitié de son chiffre d'affaires à l'exportation - performance exceptionnelle pour une entreprise française. Il faut attribuer cette réussite à la fois à la politique suivie de la Compagnie (notamment à travers le responsable de l'exportation de 1945 à 1964, M. Sanson), à ses origines multinationales des années 1920 ainsi qu'aux mesures prises par les pouvoirs publics pour protéger le marché français et soutenir l'activité exportatrice de Bull. Bull détient en 1963 le tiers du marché français et 10 % du marché européen. La mécanographie participe au phénomène d'ensemble qui, après la dévaluation de 1959, rend excédentaire la balance commerciale française ; en 1960, pour la première fois, la France exporte plus de machines à cartes perforées (2 397) qu'elle n'en importe (1 457).

La conversion à l'électronique

Cette ouverture internationale a aidé Bull à affronter le grand tournant technologique des années cinquante. Les machines classiques à cartes perforées faisaient partie d'un système technique déjà ancien, fondé à la fois sur l'électrotechnique (constituée vers 1880) et sur la mécanique de précision, développée au XIXe siècle dans les fabriques de machines à écrire, à coudre, d'armement (Remington) et depuis plus longtemps encore dans l'horlogerie.

La direction de Bull prend conscience relativement tôt des nouvelles possibilités ouvertes par l'électronique : en 1948, l'année où IBM sort aux USA son calculateur à tubes modèle 604. Cette période marque un tournant dans le recrutement du personnel technique de la Compagnie. Jusque-là, Bull recrutait des techniciens compétents en mécanique et en électrotechnique (mécanographie, horlogerie électrique, calculatrices...) et un petit nombre d'ingénieurs venant d'écoles très diverses ainsi que d'anciens officiers et quelques rares diplômés universitaires. Tous passaient, dès leur embauche, six mois à l'école Bull où ils apprenaient les principes de la mécanographie et le fonctionnement des machines à cartes perforées.

À partir de 1949, la Compagnie embauche de nombreux ingénieurs (notamment de l'École supérieure de mécanique et d'électricité Sudria et de l'Institut polytechnique de Grenoble) et, surtout, un nouveau type de spécialiste apparait chez Bull : l'ingénieur électronicien, diplômé de l'École supérieure d'électricité ou de l'École supérieure des télécommunications. Certains viennent d'entreprises où ils ont acquis une expérience en informatique - par exemple de la SEA et d'Univac. Ils apportent avec eux une culture technique nouvelle, des méthodes de travail importées d'autres environnements professionnels : un des premiers soins de Bruno Leclerc en arrivant chez Bull en 1949 est d'équiper son laboratoire d'instruments de mesure électroniques qu'il avait l'habitude d'utiliser lorsqu'il travaillait dans les télécommunications.

La course à l'innovation

L'arrivée de l'électronique amène une partie du personnel de Bull à établir des liens avec des milieux et des activités dont elle était jusque-là très éloignée: les utilisateurs de calcul scientifique. Un Centre national de calcul électronique fonctionne à partir de 1951 comme salle de démonstration des calculateurs Gamma. Dirigé par Philippe Dreyfus (qui créera en 1962 le mot informatique, il offre, les services d'un atelier de calcul équipé des matériels électroniques Bull aux laboratoires et aux entreprises qui ne disposent pas eux-mêmes de moyens de calcul puissants. Les premiers utilisateurs sont les observatoires astronomiques, les laboratoires de physique de l'École Polytechnique et de l'École normale supérieure, etc. Les plans de vol de l'avion Caravelle, ont été calculés avenue Gambetta. Cependant, les produits intégrant l'électronique sont conçus, en liaison étroite avec les clients, pour le marché habituel de Bull, la gestion, et en fonction du support d'information que connaissent bien le personnel de Bull et ses clients : la carte perforée. Ceci explique notamment le succès du Gamma 3 (1 200 exemplaires diffusés tant en France qu'à l'étranger depuis 1952) associé à la tabulatrice BS 120.

La recherche technologique chez Bull s'est effectuée largement dans la perspective d'une course avec les concurrents, surtout avec IBM. Les nouveaux produits sont nés en partie par réaction aux innovations de ce dernier. Ainsi, le calculateur électronique Gamma 3 (1952) est une réponse à l'IBM 604. En 1956, après le lancement sur le marché français des premiers ordinateurs SEA et de l'IBM 650, Bull commercialise le Gamma extension tambour (« E.T.»), son premier ordinateur à programme enregistré. De leur côté, certaines équipes d'IBM en France et en Allemagne, devant le succès du Gamma 3, établissent un projet qui donnera naissance à l'IBM 1401. Bull y répondra notamment par le Gamma 10. Entre-temps, le Gamma 60, annoncé en 1957, aura été une tentative de réplique aux super-ordinateurs IBM de la série 700.

Dans cette course à l'innovation, les machines deviennent de plus en plus des ordinateurs et de moins en moins des tabulatrices. Le tambour magnétique permet au Gamma ET d'avoir un programme enregistré. C'est le passage du calculateur à l'ordinateur. Le rapport entre la machine électronique et la tabulatrice qui lui sert d'unité d'entrée et de sortie change. La tabulatrice perd son rôle central pour être progressivement remplacée par un lecteur de cartes, une imprimante et une séquence d'instructions dans un programme - le tableur ! Cette transition, qui dure environ une décennie, constitue une mutation profonde dans les produits de Bull dans son identité technique et culturelle, auprès de ses concurrents, ses fournisseurs, ses marchés.

L'apogée de la diffusion d'équipements mécanographiques se situe autour de 1960. Dix ans avant, il était rare de trouver des ensembles à cartes perforées dans des entreprises de 1 000 salariés ; vers 1960, ces ensembles peuvent être rentabilisés dans des PME de 100 personnes. Ceci entraîne un progrès spectaculaire des ventes et des locations de tabulatrices, comme de leurs nouveaux concurrents, les ordinateurs. Mais la mécanographie ne pourra pas longtemps suivre le mouvement ; cette technique a atteint sa maturité entre les deux guerres et elle est désormais saturée : elle ne peut plus se perfectionner que de façon marginale. Les tentatives pour pousser ses performances à la limite de ses possibilités naturelles aboutissent à des échecs. Chez Bull, cela se produit avec la série 300 TI (1960) ; des expériences comparables sont faites à la même époque chez IBM (série 3000) et chez Powers-Samas (Samastronic). Ces trois machines, peu fiables et peu rentables, seront retirées du marché peu après leur présentation.

En attendant, Bull connaît une croissance remarquable. La Compagnie procède à des embauches massives, notamment après 1956, pour faire face à l'explosion du marché et pour développer et produire le Gamma 60. Bull avait trois usines en 1953, deux en France et une en Hollande. Entre 1953 et 1962, sept autres usines sont construites ou acquises - cinq pour la mécanographie, deux pour l'électronique. Ces établissements totaliseront 188 000 m2 en 1962. La seule usine d'Angers, entièrement consacrée aux productions électroniques, couvre 68 000 m2. En 1960, la Compagnie des Machines Bull est le deuxième constructeur mondial d'équipements électroniques à traiter l'information. Elle détient un parc de plus de 800 machines électroniques auquel s'ajoutent 3 453 ensembles mécanographiques, classiques, dont la moitié ont été exportés. Avec 14 000 salariés en France, un chiffre d'affaires de 16 022 millions d'anciens francs en 1959, la Compagnie reste cependant loin derrière IBM qui, 30 fois plus gros que Bull, consacrait à ses recherches l'équivalent de trois fois le chiffre d'affaires de Bull et bénéficiait de contrats passés avec l'administration américaine. Cela n'empêche pas la Compagnie des machines Bull de connaître une certaine euphorie lorsqu'à la Bourse de Paris, le cours de son action, qui a grimpé en flèche, la place au 9e rang des sociétés françaises à la fin de 1960.

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