Les Petits Hommes - Définition

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La série

L'évolution de la série

Née au début des années 1970, la série n'est qu'une série de plus dans le paysage fourni de la bande dessinée de jeunesse franco-belge de l'époque : personnages à gros nez dans le style de Franquin, histoires humoristiques et gentillettes… Une série sympathique mais qui se ne sort pas spécialement du lot et se cherche une personnalité. Entre Alerte à Eslapion et L’Exode, le dessin de Seron s'est éloigné du style Attanasio pour se rapprocher de celui du Franquin des Gaston, auquel il emprunte les proportions de ses personnages et la plupart de ses effets de modelé (visages et vêtements).

Heureusement, dans les années 1980, Pierre Seron prend la direction artistique complète de sa série et ne laisse plus à d'autres le soin d'écrire les scénarios. Finies les histoires un peu bateau, l'évolution est saisissante ! Même le dessin se modernise et les personnages trouvent leur aspect quasiment définitif vers cette époque.

Personnages dont le stock se renouvelle d'ailleurs à cette occasion, avec l'abandon des comparses caricaturaux des débuts aux mentalités stéréotypées (Gilbert, Tarzan…). De Lapaille et Lapoutre, les coéquipiers dont les noms forment un bon mot, Pierre Seron choisit de ne garder que Lapoutre dont il fait le fidèle (et râleur !) compagnon d'aventures de Renaud. À part en tant qu'adjuvant très occasionnel, le pusillanime Lapaille n'apparaîtra plus dans la série. Par contre, Dimanche et Cédille font leur entrée et deviendront des compagnons incontournables aux personnalités délicieusement antagonistes. Ces personnages démontrent discrètement mais clairement l'ambition de Pierre Seron de prendre ses distances avec une conception très traditionaliste de la bande dessinée, appelée à tomber en désuétude : un personnage de couleur occupe un rôle de premier plan et n'est nullement le subalterne du héros blanc (ce type d'idéologie est au contraire volontiers égratignée dans les albums, toujours avec une savoureuse ironie), et Cédille caricature à ce point le faire-valoir féminin sexy sans un sou de jugeote qu'elle préfigure avec des années d'avance le stéréotype péjoratif de la blonde ! En contrepoint de ces nouveaux héros modernes, machiavélique, sadique, mégalomane et increvable, le duc de la Fourrière offre enfin un méchant à la hauteur de la série.

Côté scénarios, on connaissait depuis les débuts l'amour de Pierre Seron pour la technologie et l'aéronautique, toujours à l'honneur dans ses albums (cf. les fameux coléoptères, entre autres). Il est donc très logique qu'en trouvant un nouveau souffle la série s'oriente vers le nec plus ultra de la modernité : la science-fiction, qui permettra à l'auteur de se lâcher complètement en imaginant des engins et des architectures plus futuristes les uns que les autres (quoiqu'il ne se soit pas privé d'en faire autant en désignant les habitations des PH et leurs véhicules). En tout cas c'est un coup de maître : avec des albums comme La Planète Ranxérox ou Le Trou blanc, les Petits Hommes deviennent véritablement une grande série du neuvième art. Les décors et les engins sont de toute beauté, les personnages au meilleur de leur forme, l'humour est ravageur, les scénarios complètement inattendus et passionnants, et les albums fourmillent de trouvailles visuelles et de concepts d'une grande originalité.

Cet âge d'or se poursuit d'album en album, puis à partir de Voyage entre deux mondes une nouvelle tendance s'esquisse. Quoiqu'émaillée d'albums science-fiction de moindre ambition et du jubilatoire cycle des clones, la série s'attache davantage à raconter des aventures humaines dont l'action se déroule dans les grottes des PH ou à leurs abords, et mettent en scène l'histoire personnelle de personnages secondaires : des canards boiteux de la petite communauté (Voyage entre deux mondes), deux guerriers du passé se refusant à enterrer la hache de guerre (Choucroute Melba), un bébé adopté qui se retrouve de nouveau orphelin (Bébé Tango), deux gamins imprudents et irresponsables (Bingo), une fillette qui se réveille d'un long coma (Miss Persil), un looser qui deviendra roi (Les Fourmicrabes), la jeune victime d'un coup monté crapuleux et sordide (Chiche !), deux frères ambitieux et sans scrupules (Au nom du frère), etc.

L'auteur

La touche Seron

À partir des années 1980, Pierre Seron trouve véritablement son style et les albums deviennent très fortement imprégnés de sa personnalité. L'auteur définit ses propres codes : assurant maintenant le dessin et le scénario de ses albums, il réunit les deux en un unique concept en inventant le mot-valise « desnario ». Tous les albums porteront désormais la mythique mention « Desnario : Seron ».

Et cette mention n'est pas qu'une coquetterie ! Il y a derrière elle un véritable génie de la part de Pierre Seron pour imbriquer inextricablement le scénario et les expérimentations plastiques afin d'inventer de nouveaux modes de narration, donnant naissance à des albums ovnis qui compteront pour certains parmi les meilleurs de la série et même de la bande dessinée classique franco-belge !

Citons en particulier La Planète Ranxérox qui se lit en tenant l'album non pas de la façon habituelle, mais comme un calendrier, et où nos héros en couleurs découvrent un monde photocopié en noir et blanc où ils font figurent de « bugs visuels » et perturbent l'ordre établi. Ou encore l'album suivant Le Trou blanc, où le concept est poussé encore plus loin : l'album est quasiment monochrome et nos héros sont plus perdus que jamais dans un univers post-apocalyptique dantesque qui paraît sans issue… et sera en effet sans issue, d'une certaine façon.

On peut encore évoquer Tchakakahn, où en parallèle de l'aventure des PH se déroule une autre histoire entre les cases de l'album : deux enfants s'amusent à y jouer aux billes, à la voiture téléguidée ou à y lâcher une souris qui finit par dévorer complètement les cases de l'histoire en fin d'album ! Ou Melting-pot qui fait évoluer Renaud et ses amis dans un univers virtuel truffé d'images informatiques. Ou encore Duels qui présente une curieuse mise en abîme : Renaud y découvre sur les planches d'un ami dessinateur de bande dessinée l'histoire qu'il est simultanément en train de vivre…

Sans être intimement liées au déroulement de l'histoire, de nombreuses autres trouvailles visuelles émailleront les albums : l'utilisation d'images photocopiées ou scannées intégrées dans les décors, de trames, de couleurs fluos audacieuses dans Les Fourmicrabes, de légendes typographiées comme des listings informatiques inhabituelles dans ce type de bande dessinée… Bingo nous offre des cases panoramiques en traitant chaque double-page en vis-à-vis de l'album comme une unique page très large. Le début de Bébé Tango propose une magnifique ellipse du temps qui s'écoule juste après l'accident, alors que la voiture est dans le ravin. Et ainsi de suite…

Autre petite touche personnelle de l'auteur, la page de garde de l'album ne comporte pas une illustration tirée de l'album comme c'est quasiment toujours le cas dans le neuvième art, mais une illustration inédite jouant sur un registre comique et décalé, faisant volontiers un clin d'œil humoristique au thème ou au titre de l'album.

Apparaît également au cours de la seconde époque de la série le Lecteur : un petit garçon représentant l'échantillon type du lectorat de série qui commente sur un mode comique les avatars des héros. Son point de vue est strictement celui du spectateur : il ne joue lui-même aucun rôle dans l'action principale, mais il interpelle volontiers l'auteur pour critiquer ses choix scénaristiques ou lui demander que les héroïnes soient un peu plus dénudées ! Il ne perdure guère dans la troisième époque de la série.

Mais le Lecteur n'est que l'un des aspects du goût de l'auteur pour le détournement des codes et les mises en abîme scénaristiques. Quoi qu'étant au départ une série pour la jeunesse des plus classiques, Les Petits Hommes devient vite un véritable laboratoire où l'auteur s'amuse à prendre le spectateur au dépourvu et à inventer toutes sortes d'innovations artistiques pas toujours mais souvent très réussies…

Une âme de sadique ?

Pierre Seron adore également se jouer de ses personnages et les prendre comme cobayes d'expériences rarement vécues par ceux-ci comme agréables :

  • Dans La Planète Ranxérox il fait de Dimanche un Blanc et de la blonde Cédille une Noire !
  • Lapoutre se retrouve affublé d'un alter ego monochrome.
  • À la fin de l'album Les 6 Clones nous n'avons plus un seul mais sept Renaud !
  • Le Dernier des petits hommes présente un futur alternatif de cauchemar où la communauté des PH est découverte par des Grands qui éradiquent les personnages les plus attachants de la série l'un après l'autre, avant de faire périr tous les PH dans un holocauste monstrueux (de loin l'album le plus violent de la série, et même ultra-violent… et follement jouissif, il faut bien le reconnaître !!!).
  • Renaud mettant de la mauvaise volonté à jouer son rôle de héros et se rebellant ouvertement contre Seron, celui-ci lui inflige une série de crasses et en fait son véritable souffre-douleur dans l'album Petits hommes et mini-gagagags, par ailleurs dépourvu de toute intrigue.
  • Dans C + C = Boum, Renaud n'est pas le héros et n'apparaît que comme guest star à la toute fin de l'album !
  • Miss Persil, Les Fourmicrabes et Chiche ! voient l'aspect de notre héros se modifier considérablement sur plusieurs albums, suite aux expériences d'apprenti-sorcier du docteur Hondegger.

Noms de lieux et de personnages

Bien que Belge de naissance, l'auteur Pierre Seron semble porter une certaine affection aux noms pittoresques de certaines localités françaises dont il s'inspire largement pour nommer les lieux fictifs où vivent les petits hommes, en les détournant malicieusement. On peut ainsi rapprocher Eslapion d'Espalion, Ravejols de Marvejols ou encore Berg-en-Brousse de Bourg-en-Bresse.

Les noms des personnages constituent souvent eux aussi des clins d'œil plus ou moins explicites. La bande dessinée franco-belge des années 1970 se caractérisait par un certain nombre de poncifs parmi lesquels le patronyme du héros, censé évoquer de hautes qualités morales ou encore la modernité triomphante des Trente Glorieuses : Michel Vaillant, Marc Dacier, Vic Vidéo, etc. C'est avec un sens certain de l'ironie que Pierre Seron donne à son héros le nom du fleuron de l'industrie automobile française, Renault (malgré l'orthographe légèrement modifiée, l'auteur confirme lui-même la référence dans La Planète Ranxérox). Lapaille et Lapoutre font référence à un célèbre précepte évangélique. Dimanche nous rappelle le personnage de Vendredi dans le roman Robinson Crusoé de Daniel Defoe et les romans de Michel Tournier, et évoque le mythe du bon sauvage… alors qu'il est ostensiblement le plus civilisé de la bande ! Avant de devenir un personnage de tout premier plan, Cédille apparaît initialement comme une poupée écervelée, une fioriture de luxe comme peut le paraître la cédille, signe diacritique maniéré de la langue française écrite. En outre, son nom évoque celui d'une autre héroïne de bande dessinée tout aussi futile, quoique dans un genre différent : Virgule de Guillemets la dulcinée d'Achille Talon. La Fourrière n'évoque rien de sympathique de par son nom, et il entre effectivement dans l'univers des Petits Hommes comme un malfaisant qui les met en cage. Le nom du docteur Hondegger reste en revanche une énigme…

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