L’observation de nombreux faits et phénomènes liés à la vie des abeilles montre que leur organisation obéit à des principes d’économie sans faille, et qui seraient sûrement jugés parfaitement totalitaires s’ils étaient appliqués à des sociétés humaines !
Quelques exemples:
Dans une cavité naturelle ou dans une ruche, toute la vie de la colonie s'articule autour de la reine. Une colonie sans reine est condamnée à disparaître (elle peut élever une jeune larve particulièrement afin d'en faire une nouvelle reine); cependant, une reine seule ne peut rien, car elle est incapable d'assurer l'élevage des larves. Par sa présence, la reine empêche le comportement de construction d'alvéoles royales et bloque le fonctionnement ovarien des ouvrières. Dans le cas de la mort de la reine, les ovaires de certaines ouvrières (appelées ouvrières pondeuses), dont les phéromones de la reine empêchaient jusque-là le développement, par «castration chimique», vont commencer à produire des œufs; mais, comme ce sont des femelles non fécondées, leurs œufs ne donneront que des mâles (c'est un cas particulier de parthénogenèse). On aura donc une ruche «bourdonneuse» qui finira par mourir en l'absence de nouvelle reine. La nouvelle reine pourra voir le jour, lorsque les ouvrières érigeront des cellules royales.
Les abeilles produisent du miel grâce au nectar qu'elles récoltent sur les fleurs ou au miellat secrété par les pucerons sur les arbres. Pour cela, elles le portent dans leurs jabots en attendant d'atteindre la ruche. Elles récoltent également du pollen, de la propolis et de l'eau.
Au sein d'une colonie, il y a répartition du travail, et les différentes activités sont effectuées par des ouvrières d'âges différents. Au cours de sa vie, une ouvrière change de tâche.
En été, la vie d'une ouvrière est brève, de cinq à six semaines, et elle occupe les postes suivants au cours de sa vie:
Les colonies les plus prospères se reproduisent par essaimage. Au début du printemps, quelques cellules à reine sont édifiées, d'une forme différente de celle des cellules d'ouvrières. Peu de temps avant la naissance des reines, l’ancienne reine quitte la ruche avec la moitié des effectifs de toutes les catégories d’ouvrières pour former un essaim: au moment du départ, toutes les ouvrières se sont gavées le jabot de provisions et, trop obèses, elles ne peuvent pas piquer : un essaim est donc inoffensif, et le reste en principe tout le temps de son voyage. Avec le premier essaim partira la reine fécondée. L'essaim cherchera à trouver un autre abri pour établir sa ruche ou, plus rarement en créera une ex nihilo sur les branche d'un arbre, sur une falaise…
Dans la ruche, la première reine qui naît tue immédiatement toutes ses rivales, qui sont encore dans leurs cellules, sauf dans les colonies très importantes, où les abeilles doivent préserver les jeunes reines afin d'essaimer encore deux fois. Il ne peut en effet y avoir qu’une reine par colonie. Une semaine plus tard, elle effectue son premier vol nuptial.
Une colonie peut produire, entre le début du printemps et le début de l’été, jusqu’à trois essaims, ils sont dits respectivement primaire, secondaire et tertiaire.
La communication revêt une importance particulière chez les insectes sociaux, elle est un facteur de cohésion et de coordination des actions du groupe. Les abeilles communiquent par contacts antennaires, par voie chimique via des phéromones émises par la reine et par des danses qui permettent aux ouvrières de se renseigner entre elles sur les sources de nourriture.
Il s'agit d'une communication chimique qui assure la cohésion de la structure familiale de la colonie. La reine émet des phéromones royales qui sont transmises à toutes les ouvrières par l'intermédiaire de contacts de leurs antennes, et par les échanges de nourriture. Celles-ci régulent le comportement des ouvrières et bloquent leur fonction ovarienne.
Au moment de l'essaimage, la reine ne produit pas suffisamment de phéromones par rapport au nombre d'ouvrières. Certaines se mettent à construire quelques alvéoles royaux, plus grands, et vont nourrir la larve uniquement de gelée royale, ce qui provoque le développement d'une ou plusieurs jeunes reines. La première éclose tue les autres larves de reine en développement. Si deux reines éclosent en même temps, elles se combattent à mort. La survivante entreprend quelques jours plus tard son vol nuptial, et se fait féconder par les faux bourdons. C'est en général la vieille reine qui quitte la colonie, avec une partie des ouvrières, pour former un essaim.
La glande de Nassanov produit une phéromone aux fonctions multiples. Elle sert à marquer l’entrée de la ruche, ou un lieu intéressant comme une source de nectar, une source d’eau, ou un lieu d’arrêt provisoire lors de l’essaimage. Pour diffuser la phéromone, les abeilles exposent leur abdomen et ventilent en battant des ailes. L’odeur de la phéromone guide les autres ouvrières.
La reine émet un nombre important de phéromones ayant un rôle capital dans la vie de la colonie. Elles ont plusieurs origines: on distingue celles produites par les glandes mandibulaires, les glandes abdominales, et celles émises par l’extrémité des pattes. La phéromone mandibulaire est constituée de cinq composés qui ne sont actifs qu’ensemble.
La phéromone mandibulaire est répartie sur tout le corps de la reine par contact avec les ouvrières. Elle est rapidement dispersée dans la ruche par échange de nourriture, contact entre individus et par sa volatilité. Le rôle principal de la phéromone mandibulaire est d’inhiber l’élevage royal: lorsque la reine vieillit, et que sa production de phéromone mandibulaire diminue, ou lorsqu’elle meurt, les ouvrières construisent des cellules royales en vue de son remplacement.
Les contacts d'antennes et des déplacements appelés «danses» jouent un grand rôle dans la communication entre ouvrières au sein d'une colonie, et leur permettent d'exploiter au mieux les ressources en nourriture de leur environnement. La découverte de nourriture est d'abord le fait de quelques butineuses. Une butineuse qui a trouvé une source de nourriture intéressante est capable, à son retour, d'informer les autres abeilles sur la nature et la localisation de sa découverte. Cette transmission d'informations élaborées sur le milieu est l'une des caractéristiques remarquables de la vie sociale des abeilles à miel.
Exemple: «La danse en huit»
C'est au cours des échanges de nourriture qu'interviennent principalement les contacts antennaires. Le nectar collecté par une butineuse est placé dans son jabot social. Une fois rentrée à la colonie, une butineuse est capable de régurgiter son nectar et de le transmettre à une autre abeille, c'est la trophallaxie; ces échanges sont très fréquents. L'abeille solliciteuse déplace l'une de ses antennes entre les mandibules de la donneuse, puis étend sa langue. La donneuse répond à la sollicitation par des mouvements d'antennes bien précis et régurgite des gouttes de nectar. Par d'autres mouvements d'antennes, elle indique la fin de l'échange.
C'est à l'éthologue autrichien Karl von Frisch (1886 - 1982), dans son ouvrage Vie et mœurs des abeilles, que l'on doit la description et la compréhension des «danses» des abeilles. Ces découvertes de Karl von Frisch ont pu être confirmées en 1986, à l'aide d'un robot miniature capable d'exécuter cette danse des abeilles. Grâce à ces mécanismes de communication, les colonies peuvent s'adapter et localiser efficacement les sources de nourriture disponibles. L'intensité plus ou moins grande des danses renseigne sur les plantes qui cessent d'être productives et sur celles qui le deviennent.
Aux autres ouvrières restées dans la colonie, l'abeille découvreuse indique, par danses, la direction des fleurs particulièrement intéressantes à butiner. Selon la proximité de la source de nourriture, elle effectue deux types de rondes différents.
Elle émet également avec ses ailes un son particulier et transmet l'odeur du nectar dont elle veut communiquer la position. Les réceptrices restent en contact avec la danseuse. Ces danses exécutées sur les rayons d'alvéoles sont d'autant plus vives, et de longue durée, que le nectar est abondant et riche en sucre. Alertées, les abeilles jusque-là inactives s'envolent à la recherche de cette nourriture.
Lorsque l'exploratrice effectue une danse en rond, elle indique que la source de nectar est proche, dans un rayon d'environ quarante mètres. La découvreuse décrit un cercle, en tournant sur elle-même à un rythme très rapide, de huit à dix tours en quinze secondes, puis fait un demi-cercle en sens inverse. Les autres abeilles, qui suivent la danseuse en la palpant avec leurs antennes, détectent le parfum de la source de nectar dont son corps est imprégné, et quittent alors la colonie, à la recherche de la source de nourriture, guidées par l'odeur des fleurs à exploiter.
Une danse frétillante indique une ressource en nourriture située à une plus grande distance. Dans ce cas, la butineuse s’oriente par rapport à la direction du soleil: en plus de ses deux yeux composés, elle dispose, sur le haut de la tête, de trois ocelles, des yeux simples qui, sensibles à la lumière polarisée, permettent de repérer le soleil au travers des nuages.
L'abeille découvreuse décrit une courte ligne droite, puis un demi-cercle, pour revenir à son point de départ, elle parcourt à nouveau le diamètre, effectue un nouveau demi-cercle, de l'autre côté, et recommence. Pendant les trajets en ligne droite, le corps de la danseuse est porté en avant, les pattes fermement en contact avec le support, et elle frétille rapidement, à la manière d'un pendule. En suivant la danseuse, les autres abeilles reconnaissent l'odeur de l'espèce de fleur à explorer, et obtiennent aussi des informations sur la direction de la ressource et sa distance par rapport à la colonie. La danse frétillante est d'autant plus rapide que la source de nourriture est proche, et l'angle formé entre la verticale et l'axe de la danse rectiligne est le même que celui formé entre la direction du soleil et celle de la nourriture. Au fur et à mesure de la course du soleil, la danseuse modifie l'angle de sa danse.
Sur les rayons, disposés verticalement, la butineuse se comporte comme précédemment, mais entreprend une danse différente: elle commence par décrire un demi-cercle, puis elle revient vers son point de départ, en suivant une ligne droite, le diamètre; de retour à son point de départ, elle parcourt l'autre demi-cercle, dans l’autre sens, puis parcourt à nouveau en ligne droite le diamètre précédent, avec le même sens de parcours. Ce cycle dont la forme rappelle celle d'un huit est parcouru de nombreuses fois. Lorsqu’elle parcourt le diamètre, l'abeille frétille en agitant l'abdomen latéralement.
Indication d’une source de nectar située à 60° à droite par rapport à la direction du soleil |
La direction du diamètre indique celle de la source de la miellée. Imaginons un cadran avec la ruche au centre, et le soleil placé au-dessus à la verticale. Sur ce cadran, l’abeille se dirige du centre vers la source de nourriture. Si la source de nourriture est dans la direction du soleil, l’abeille va se diriger verticalement de bas en haut sur la ligne droite. Si la source se trouve à 30° à droite par rapport à la direction du soleil, la ligne droite qu’elle décrira sera inclinée de 30° à droite par rapport à la verticale, elle la parcourra de bas en haut. Si la miellée est à l’opposé du soleil, son trajet se fera alors de haut en bas.
Quant à la distance de la source de nectar, elle est indiquée par le nombre des mouvements latéraux de l'abdomen, lors d'une phase vibrante, ou par la durée de celle-ci (mesure équivalente): ainsi plus le nombre de mouvements est important, plus la source de nourriture est éloignée.
L'utilisation de fleurs artificielles, délivrant une solution sucrée et odoriférante, a permis de mettre en évidence la mémoire olfactive des abeilles. L'odeur mémorisée permet à la butineuse de s'orienter sélectivement vers les fleurs sur lesquelles elle a précédemment trouvé de la nourriture. Au cours de la journée, les abeilles et les bourdons apprennent à mieux exploiter les fleurs qu'ils butinent. En revanche, leur mémoire décroît pendant la nuit. Cette amnésie présente un avantage: les fleurs ayant une vie courte, le souvenir trop persistant de ce qui n'est plus, pourrait inhiber, chez les ouvrières, la recherche de nouvelles fleurs.