Magnétisme animal - Définition

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Controverses scientifiques

En France

L'historien Robert Darnton a montré comment la science pendant les années 1780 inspire un enthousiasme tel, qu'il efface presque la limite, jamais très distincte avant le XIXe siècle, qui sépare la vraie science de la pseudo-science. À cette époque où l'aptitude du savant à exploiter les forces de la nature inspire une admiration quasi religieuse, où « Voltaire rend intelligible la théorie de la gravitation de Newton, ou Franklin applique les propriétés de l'énergie électrique à l'invention du paratonnerre, où Montgolfier stupéfie l'Europe en soulevant l'homme dans les airs, le fluide invisible de Mesmer ne semble pas tellement miraculeux ». En outre, à cette époque, les phénomènes magnétiques étaient souvent produits de façon impromptue sans protocoles stricts, et on négligeait de rédiger des procès-verbaux circonstanciés, ce qui rend difficile, aujourd'hui, l'appréciation des récits.

Si l'on peut considérer que le courant du magnétisme animal fait la transition entre la foi des Lumières dans la capacité de la raison à décoder les lois de la nature et la fascination du Romantisme pour le surnaturel et l'irrationnel, il faut souligner que le conflit qui oppose les magnétistes à l'institution médicale ne met pas face à face les lumières de la raison et les ténèbres de l'occultisme, mais des conceptions différentes de la raison. Aux yeux de magnétiseurs tels Puységur, Deleuze ou Bertrand, la raison n'a pas le droit d'exclure des faits au nom d'une idée prédéterminée du possible et de l'impossible. Pour leurs adversaires, en revanche, les phénomènes magnétiques contredisent l'ordre de la nature et on perd donc son temps à les étudier.

Les commissions de Louis XVI

Antoine-Laurent de Jussieu

En 1784, confronté à la rumeur et à quelques cas de guérison sur des personnages haut placés, Louis XVI nomme deux commissions pour étudier la pratique du magnétisme animal :

  • La première, qu'il nomme le 12 mars, est composée de quatre médecins de la Faculté de Paris : Michel Joseph Majault, Charles Louis Sallin, Jean d'Arcet, Joseph Ignace Guillotin ; et de cinq membres de l'Académie royale des sciences : l'officier de marine Gabriel de Bory, le physicien Jean-Baptiste Le Roy, l'astronome Jean Sylvain Bailly, le chimiste Antoine Lavoisier et l'ambassadeur des États-Unis Benjamin Franklin ;
  • La seconde, qu'il fait nommer par le baron de Breteuil le 5 avril, est composée de membres de la Société royale de Médecine : Mauduyt de La Varenne, Charles-Louis-François Andry, Claude-Antoine Caille, Pierre-Isaac Poissonnier et le botaniste Antoine-Laurent de Jussieu .

Les commissaires se fondent sur l'observation du travail du disciple de Mesmer, le médecin Charles Deslon, qui, contrairement à son maître, a accepté de partager son expérience avec eux. Lors de leurs expériences, les commissaires constatent qu'une patiente est prise de crise en se croyant à tort mesmérisée, un autre patient est conduit devant cinq arbres dans le jardin de Franklin, dont un seul a été magnétisé par Deslon, il s'évanouit au pied de l'un des quatre autres. Dans la maison de Lavoisier, une tasse d'eau normale produit des convulsions chez une patiente qui avale calmement le contenu d'une tasse d'eau magnétisée. Dans son rapport officiel, Jean Sylvain Bailly conclut que « l'imagination sans magnétisme produit des convulsions... le magnétisme sans imagination ne produit rien... Les expériences sont uniformes et sont également décisives ; elles autorisent à conclure que l'imagination est la véritable cause des effets attribués au magnétisme » et que « tout traitement public où les moyens du magnétisme sont employés, ne peut avoir, à la longue, que des effets funestes ». Lavoisier rappelle que « c'est sur les choses qu'on ne peut voir ni palper qu'il est important de se tenir en garde contre les écarts de l'imagination ». Le rapport officiel de l'autre commission rend des conclusions très proches de celles de Bailly.

Bailly déclare aussi, dans un rapport secret au roi que « le traitement magnétique ne peut être que dangereux pour les mœurs ». Il souligne que « l'homme qui magnétise a généralement les genoux de la femme renfermés dans les siens; les genoux et toutes les parties inférieures du corps sont par conséquent en contact. La main est appliquée sur les hypocondres et quelquefois plus bas sur les ovaires; le tact est donc à la fois appliqué sur une infinité de parties et dans le voisinage des parties les plus sensibles du corps... l'attraction réciproque des sexes doit agir dans toute sa force ».

Antoine-Laurent de Jussieu, quant à lui, refuse de signer le même document que ses collègues et publie un contre-rapport dans lequel il déclare que « l'influence physique de l'homme sur l'homme » avec ou sans attouchements doit être admise. Deslon publie lui-aussi un contre-rapport dans lequel il critique les méthodes et les conclusions des commissaires. Il y remarque que « si la médecine d'imagination est la meilleure, pourquoi ne ferions-nous pas de la médecine d'imagination? ». En outre, les partisans du magnétisme animal soulignent que la notion d'imagination permet aux commissaires de disqualifier le magnétisme sans pour autant avoir à prendre le risque de définir cette imagination qu'ils invoquent, et donc sans avoir à produire de témoin fiable pour cette définition.

Suite à la publication en 24 000 exemplaires des deux rapports officiels, la Faculté de Médecine exige que ses membres initiés au magnétisme signent un acte d'abjuration dans lequel ils s'engagent à ce « qu'aucun docteur ne se déclarera partisan du magnétisme animal, ni par ses écrits ni pas sa pratique ».

Le rapport Husson

Au début du XIXe siècle, l'opinion de l'académie reste largement défavorable au magnétisme animal, comme en témoignent notamment le pamphlet publié en 1812 par Antoine-François Jénin de Montègre, le secrétaire de l'Académie de médecine, dans lequel il accuse le magnétisme « d'être contraire à la raison, aux bonnes mœurs, et de conduire les hommes à l'abrutissement » et l'article de Julien-Joseph Virey, publié dans le Dictionnaire des sciences médicales en 1818. Il faut attendre 1825 pour qu'un médecin, le docteur Pierre Foissac, adresse à l'académie de médecine un mémoire pour plaider en faveur d'un réexamen du magnétisme. Il y déclare que le somnambulisme magnétique est susceptible d'ouvrir des voies nouvelles à la physiologie et à la psychologie. Une séance publique se tient le 20 janvier 1826 pour juger de l'opportunité de ce réexamen. Alors que certains membres de l'académie considèrent que les conclusions des commissions officielles de Louis XVI sur le magnétisme animal sont toujours valables, le professeur Husson, médecin-chef de l'Hôtel Dieu, fait remarquer que les théories adoptées, les moyens employés et les effets obtenus dans les traitements magnétiques ont changé depuis l'époque de Mesmer. En 1826, Husson se voit confier une commission officielle chargée de statuer sur le magnétisme animal. Cette commission commence son travail en janvier 1827 et présente ses conclusions à l'académie des sciences les 21 et 28 juin 1831, reconnaissant comme réels la plupart des phénomènes observés dans le magnétisme. En particulier, le rapport fait état de l'ablation d'une tumeur effectuée en 1829 par le chirurgien Jules Cloquet sous sommeil magnétique au cours de laquelle la patiente ne manifeste aucun signe de douleur. Le rapport décrit également la manière dont Foissac a guéri un paralytique jugé incurable par les médecins en utilisant le magnétisme. Selon le rapport, ce paralytique, un certain Paul Villagrand, aurait par ailleurs fait preuve de sa capacité à lire à travers des corps opaques devant la commission et plusieurs médecins, dont François Broussais.

Dans ce rapport, qui fait scandale et qui ne fut pas publié par l'académie, la commission déclare que « considéré comme agent de phénomènes physiologiques ou comme moyen thérapeutique, le magnétisme devrait trouver sa place dans le cadre des connaissances médicales […] l'Académie devrait encourager les recherches sur le magnétisme comme une branche très curieuse de psychologie et d'histoire naturelle ».

La ligne Dubois

En 1833, le médecin Frédéric Dubois (d'Amiens) publie un pamphlet attaquant les magnétiseurs et le rapport Husson qui a entre temps été publié par Foissac. Dans ce texte, Dubois assimile l'ensemble des magnétiseurs à des charlatans et se dit « révolté de voir la réputation de graves personnages compromise par d'indignes jongleries ». En 1837, une commission dirigée par Dubois est nommée pour étudier les phénomènes magnétiques présentés par le docteur Didier Berna. Berna propose des protocoles expérimentaux qui ne sont soit pas acceptés par la commission soit rapportés de manière différente. Par ailleurs, Berna demande aux commissaires de s'engager à signer les protocoles expérimentaux à chaque séance, ce que ces derniers refusent. La commission Dubois, qui n'a effectué qu'une demi-douzaine d'expériences sur deux somnambules, rend des conclusions absolument opposées à celles de Husson. Selon son rapport, qui est lu à l'Académie de médecine les 12 et 17 août 1837, aucun des phénomènes allégués par les magnétiseurs n'a pu être observé.

Malgré les protestations de Husson et de Berna, le 15 juin 1842, l'académie de médecine décide de ne plus s'intéresser au magnétisme animal.

En Europe

Christoph Wilhelm Hufeland.

Alors qu'en France les autorités scientifiques ont presque toujours rejeté le magnétisme, la situation est différente en Prusse. En 1812, le gouvernement prussien nomme une commission d'enquête qui publie en 1816 un rapport favorable au magnétisme. Suite à cela, les universités de Berlin et de Bonn instituent des chaires de mesmérisme. Parmi les mesmériens germanophones, on peut citer les médecins David Ferdinand Koreff, Christoph Wilhelm Hufeland, Karl Alexander Ferdinand Kluge, Karl Christian Wolfart, Karl Schelling, Carl August von Eschenmayer et Justinus Kerner.

En 1815, le Tsar Alexandre Ier de Russie nomme une commission qui conclut que le magnétisme est un agent réel mais qu'il ne doit être pratiqué que par des médecins instruits. En 1817, le roi Frédéric VI du Danemark publie une ordonnance analogue sur le même sujet.

John Bell est le premier à pratiquer et enseigner le magnétisme animal à Londres dans les années 1780. En 1786, les Mémoires pour servir à l'histoire et à l'établissement du magnétisme animal de Puységur paraissent à Londres. Vers 1787, le docteur J.B. de Mainauduc, élève de Charles Deslon, arrive lui aussi de France et commence à y enseigner le magnétisme animal. L'intérêt pour le magnétisme reprend en 1833, suite à la traduction en anglais du Rapport Husson et sa publication dans le journal médical The Lancet par J.C. Colquhoun, magnétiseur formé en Allemagne.

En 1837, Jules Dupotet de Sennevoy, qui avait conduit les expériences pour la commission Husson, « exporte » à son tour la pratique du magnétisme animal en Angleterre et forme notamment le médecin anglais John Elliotson. Ce dernier est, avec le médecin des Indes Britanniques James Esdaile, un précurseur de l'usage du magnétisme animal en anesthésiologie. Objet de suspicions de fraude lors de démonstrations publiques sur deux femmes somnambules effectuées avec Dupotet, Elliotson est contraint de démissionner de son poste de professeur à l'University College de Londres en 1838, sous la pression du journal médical The Lancet, dont le directeur, Thomas Wakley avait été originairement favorable au magnétisme. Le magnétisme est donc expulsé de l'institution britannique, mais, à la différence de la France, aucun décret officiel ne vient en empêcher ou en limiter la pratique. De 1843 à 1856, Elliotson publie la revue The Zoist consacrée au magnétisme animal.

Aux États-Unis

Marquis de Lafayette

En mai 1784, le Marquis de Lafayette écrit une lettre enthousiaste à propos des travaux de Mesmer à George Washington. Lafayette écrit: « Un docteur allemand nommé Mesmer, ayant fait la plus grande découverte sur le magnétisme animal, a formé des élèves, parmi lesquels votre humble serviteur est appelé l'un des plus enthousiastes ». Cette lettre est suivie d'une lettre de Mesmer lui-même le 16 juin à laquelle Washington répond cinq mois plus tard en confirmant qu'il a bien rencontré Lafayette. Ce dernier a entre temps donné une ou deux leçons de magnétisme animal et rencontré une communauté de Shakers ayant vu une similarité entre les pratiques de transe de ces derniers et les crises mesmériennes. Lafayette participe également à des rituels nord-Amérindiens, persuadé que le magnétisme animal est la redécouverte d'une pratique ancienne et primitive. On sait en revanche que Benjamin Franklin et Thomas Jefferson étaient tous deux hostiles à la pratique du magnétisme animal. Jefferson, qui redoutait qu'une vague de mesmérisme n'envahisse son pays, envoyait de nombreux pamphlets antimesméristes et des copies des rapports des commissions à des amis influents.

Dans les années 1790, Elisha Perkins, membre fondateur de la société de médecine du Connecticut, fait un usage thérapeutique de plaques métalliques. La pratique de Perkins est mal reçue aussi bien des partisans du magnétisme animal que des médecins de l'académie et Perkins est exclu de la Société de médecine du Connecticut.

Parmi ceux qui « importent » le magnétisme animal en Amérique du Nord, on trouve également Joseph du Commun, qui donne ses premières leçons de magnétisme animal à New York en 1829 et Charles Poyen Saint Sauveur, qui enseigne et pratique le magnétisme animal dans le Massachusetts à partir de 1834. Aux États-Unis « les dispositifs de protection institutionnels, encore embryonnaires, ne freinent pas comme en France le développement du mesmérisme ».

Le déclin du mesmérisme

Depuis la découverte de l'électromagnétisme par Hans-Christian Oersted en 1820, Ampère (1827) et Faraday (1831), la compréhension du magnétisme physique avance à grands pas. Durant la même période la médecine progresse et on se rend compte que les nerfs ne sont pas commandés par un fluide magnétique. Toutes ces découvertes ne vont pas dans le sens des courants du magnétisme animal mesmérien et psychofluidiste, qui mettaient l'accent sur l'existence du fluide. Enfin en 1887 l'expérience de Michelson-Morley démontre à la grande surprise des scientifiques de l'époque que la vitesse de la lumière est indépendante de son environnement et donc qu'aucun éther physique n'est le support de la lumière et de l'électromagnétisme. À la fin du XIXe siècle, les personnes qui se réclament encore du magnétisme animal sont essentiellement des adeptes des sciences occultes ou des personnes se disant « guérisseurs ».

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