Hyoscyamus niger - Définition

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Histoire

  • Les plus anciens textes au monde relatifs à la pharmacopée sont ceux de la Mésopotamie et de l'Égypte. Les tablettes d'argile de Sumer font mention de l'utilisation de la jusquiame comme hallucinogène. Le papyrus Ebers, un papyrus médical écrit à Thèbes vers 1600 avant notre ère, mentionne aussi la jusquiame parmi des centaines d'autres drogues (opium, séné, ricin etc.).
On a retrouvé en Scandinavie dans une tombe datant de l'Âge de Bronze une bière aromatisée de plusieurs plantes (myrte, reine des prés, etc.), dont la jusquiame noire. Il est avéré que la jusquiame entrait dans la composition de certaines bières, où elle décuplait les effets de l'ivresse alcoolique. Une hypothèse linguistique fait même remonter l'étymologie de la Pilsener (une bière amère blonde) au nom germain de la jusquiame, Bilsenkraut.
  • Plus tard, les Grecs utilisaient aussi les propriétés délirogènes de la jusquiame pour provoquer des transes divinatoires. « Ainsi, à Delphes, la pythie, rendant les oracles au nom d'Apollon, aurait, avant de procéder à toute divination, consommé un hydromel à base de miel et de plantes toxiques en faible quantité, la jusquiame étant la principale d'entre-elle; la pythie mettait encore à profit la fumée des graines de cette Solanacée pour s'enivrer et prophétiser ».
Partout dans le monde la pensée magique a côtoyé la pensée rationnelle mais en Grèce peut-être plus qu'ailleurs les penseurs ont réfléchi sur l'art de penser correctement et sur la nécessité d'appuyer leur argumentation sur l'observation, comme l'histoire de médecine grecque l'atteste amplement.
Le médecin grec du premier siècle, Dioscoride, dans son traité De Materia Medica sur les plantes médicinales, consacra un chapitre à la Hyoscyamo (en grec Υοςχυάμον) qui est identifiée à une jusquiame. Le jus et les graines sont employés comme antalgique dans le mal aux oreilles ou à la matrice. Une décoction de la racine dans du vinaigre est bonne en bain de bouche contre les maux de dents. Les graines sont préconisées aussi dans les inflammations des yeux et des pieds. Dioscoride met en garde cependant contre certains type de jusquiame qui peuvent provoquer "le sommeil et des délires".
A la même époque, l'encyclopédiste romain Pline l'Ancien, indique que l'hyoscyamus et la belladone sont capables de dilater les pupilles.
« On rapporte encore à Hercule la plante appelée apollinaire [chez les Romains], chez les Arabes altercum ou altercangenon, chez les Grecs hyoscyamos (jusquiame). Il y en a plusieurs espèces...Toutes causent la folie et des vertiges... Cette plante a, comme le vin, la propriété de porter à la tête et de troubler l'esprit...En général, l'emploi de cette plante est, selon moi, très hasardeux. En effet, il est certain que les feuilles même dérangent l'esprit, si on en prend plus que quatre. Les anciens pensaient que les feuilles, dans du vin, chassaient la fièvre » (Histoire Naturelle, livre 25, XVII, éd. Emile Littré).
  • En dépit de cette mise en garde de Pline ou à cause d'elle, la jusquiame est restée longtemps une médication très prisée contre divers maux. Ses propriétés antalgiques furent ainsi employée jusqu'à l'époque moderne. En Europe, on trouve à partir du IXe siècle dans la littérature médicale la description de narcose par inhalation d'une éponge soporifique (spongia soporifera). Une série de recettes allant du IX e au XVIe siècle et provenant de divers pays nous sont parvenues. La plupart se trouvent dans des manuels de chirurgie ou dans des antidotaires. La plus ancienne connue est celle de l'Antidotaire de Bamberg, Sigerist ; elle comporte de l'opium, de la mandragore, de la ciguë aquatique (cicute) et de la jusquiame. Au XIIe siècle, à l’école de médecine de Salerne, Nicolaus Praepositus, pronait aussi dans son Antidotarium l'usage d'une éponge soporifique dans certaines opérations chirurgicales. Elle était imbibée d'un mélange de jusquiame, de jus de mûre et de laitue, de mandragore et de lierre.
Du Bas Moyen-Age jusqu'à la Renaissance, on trouve mention d'utilisations magico-religieuses de plantes dans plusieurs ouvrages d'astrologie alchimique tel le Grand Albert (XIIIe-XVIe siècle).
  • L'onguent des sorcières
On trouve aussi parfois la jusquiame dans la composition d'onguents utilisés par les sorcières. Une croyance très répandue au XVIe et XVIIe siècles, voulait que les sorcières s'enduisaient le corps d'un onguent avant de s'envoler dans les airs pour aller au sabbat. Elles s'y rendaient à cheval sur un balai ou une fourche, enduits eux aussi d'onguent.
Les accusations qui conduisaient les sorcières au bûcher comportaient deux composants : les maléfices et le pacte avec le Diable. L'action judiciaire s'ouvrait sur une plainte pour les maléfices répétées d'une jeteuse de sort qui était censée provoquer la mort de nouveau-nés, faire tomber la grêle sur les récoltes, etc. L'accusation d'assistance au sabbat n'apparaissait que plus tard, lorsque les juges ecclésiastiques s'emparaient du dossier. A l'époque, tout le monde croyait au Diable. Il ne faisait pas l'ombre d'un doute, qu'en concluant un pacte avec le Diable, la sorcière pouvait d'accomplir des maléfices redoutables et travailler à la ruine de l'Église et de l'Etat. Des dizaines de milliers de sorciers et sorcières furent ainsi envoyés au bûcher en toute bonne conscience des autorités. Seuls quelques scientifiques et médecins humanistes dénoncèrent ces persécutions et osèrent soutenir que le sabbat n'était qu'une illusion.
Ainsi aux Canaries, un sorcier nommé Cosme, arrêté pour avoir commis de nombreux méfaits, avoua lorsqu'il fut soumis à la torture avoir conclu un pacte avec le Diable. «  Devant le Saint-Office, qui réclama l'affaire il se rétracta et reconnut, sans qu'on l'ait torturé, que dans une maison il s'était enduit d'un onguent sous les aisselles, sur la paume des mains et la plante des pieds, puis qu'il s'était envolé vers les sablières... on lui demanda s'il s'était déplacé en corps ou en esprit, et il répondit que s'était de cette dernière façon. »
On voit sur la base de tel témoignage, quelles interprétations naturalistes modernes on pourrait donner au vol des sorcières. Le problème de la réalité du sabbat fut d'ailleurs posé à peu près en ces termes par des scientifiques dès le XVIe siècle. La description d'assemblées démoniaques et de leur prodiges (vol, métamorphose en bête) a-t-elle une réalité objective ou est-elle le résultat de la consommation de drogues hallucinogènes?
La thèse pharmacologique fut formulée pour la première fois par deux scientifiques italiens : un mathématicien-médecin Girolamo Cardano, dans De Subtilitate, 1550, et un physicien cryptologue, Giovan Battista Porta, dans Magie Naturelle, 1558. En bon scientifique, Porta prétend avoir réalisé une expérience instructive. Il fit s'enduire d'onguent une vieille femme qui tomba dans un profond sommeil. Avec ses amis, Porta lui infligea une bonne correction mais à son réveil la sorcière raconta "beaucoup de mensonges". Porta eut beau lui montrer ses blessures, la vieille continua à se tenir à sa version des faits.
A la même époque, un médecin et humaniste espagnol, Andrés Laguna, arrive aussi à la conclusion que tout ce que croyaient faire les sorcières était le résultat de la prise de substances narcotiques et donc que le sabbat était le seul produit de leur imagination. Laguna raconte, dans son commentaire de Dioscoride (1555), comment se trouvant en Lorraine, il fut le témoin de l'arrestation et de la condamnation à mort sur le bûcher de deux vieillards accusés de sorcellerie. Il se procura alors l'onguent qui avait été trouvé dans l'ermitage où ils vivaient pour tester l'effet d'un tel produit. Il fit enduire entièrement une de ses patiente insomniaque. Celle-ci tomba aussitôt dans un profond sommeil et se réveilla 35 heures plus tard en disant à son mari en souriant qu'elle l'avait cocufiait avec un beau jeune homme.
Un autre médecin, originaire du Duché de Brabant, Jean Wier (ou Johann Weyer 1515-1586) donne la recette d'huile assoupissante suivante : graine d'ivraie, ciguë, jusquiame et belladone mais pour lui les illusions des sorcières ne viennent pas de leur consommation de drogues. Dans De Prestigiis Daemonum (1563), il explique comment leurs illusions diaboliques sont produites par l'action corruptrice des vapeurs sur le cerveau. Derrière cette explication naturaliste, il y a en fait, nous dit Weier, le Diable qui profite de la faiblesse des sorcières due à leur sexe, leur âge et leur ignorance, pour manipuler leurs sécrétions humorales.
Au XIXe siècle, l'historien Michelet décrira dans son essai La Sorcière (1862) les sorcières comme des sages-femmes guérisseuses utilisant les propriétés des solanacées pour soulager les maux féminins. Pour lui, le sabbat est réel, elles y consomment des drogues hallucinogènes pour échapper à leur limitations sociales.
Actuellement, les nombreuses études historiques des aveux des sorcières ne permettent toutefois pas de conclure que les sorcières étaient des droguées ou avaient l'esprit dérangé.
-D'abord dans de nombreux procès, aucune mention d'onguent n'est faite. Sur les 150 actes de procès dans la région de Trèves (examinés par Elisabeth Biesel), il y a seulement une femme à reconnaître avoir frotté avec un onguent gras la fourche avant le départ en l'air. Et Michèle Plaut n'en a trouvé aucune parmi les 40 actes de procès ayant eu lieu en Savoie. De plus le transport au sabbat pouvait se faire sur un animal (bœuf, cochon, bouc noir etc) et pour les riches sur le dos d'un domestique ou en carrosse.
-D'autre part, les recettes précises d'onguent sont extrêmement rares et quand elles existent, elles attestent de la prédominances de substances humaines ou animales. Pour Meurger « Des recettes comparables à celles de Cardan, Porta et Wier, n'apparaissent donc pas dans les comptes rendus d'interrogatoires que nous avons pu consulter...des références précises aux poisons végétaux nous apparaissent singulièrement absentes des mêmes procédures ». Pourtant les médecins de l'époque connaissaient parfaitement l'usage de l'aconit ou de la jusquiame.
Si on a le témoignage de quelques sorcières utilisant des drogues hallucinogènes, le phénomène n'était pas généralisé et ne peut constituer une explication générale.
Bien que certaines sorcières aient pu consciemment passer des pactes avec le Diable, il n'y avait pas de cérémonie collective d'adoration. On n'a aucune preuve que les sorcières se réunissaient pour effectuer un culte du Diable.
  • Enfin, Christian Rätsch cite dans son ouvrage « Les plantes de l'amour » une utilisation aphrodisiaque de la jusquiame au Moyen Âge, sous forme de fumigation des graines dans les établissements de bains.
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