Position du problème
Systèmes d'indicateurs et réglementations générales
Le système d'indicateurs Global Reporting Initiative comporte 79 indicateurs sur les trois piliers du développement durable, regroupés en six catégories :
- économie,
- environnement,
- droits de l'homme,
- relations sociales et travail décent,
- responsabilité vis-à-vis des produits,
- société.
Sa mise en œuvre dans les systèmes d'information des entreprises, sur des bases volontaires, consiste à collecter des indicateurs sur tous les processus métier.
En France, l'article 116 de la loi NRE (Nouvelles Régulations Économiques) oblige les sociétés françaises cotées à rendre compte dans leur rapport annuel des impacts environnementaux et sociaux de leurs activités. Il demande de publier des indicateurs environnementaux et sociaux dont la liste est définie par le décret d'application.
Le rapport TIC et développement durable du gouvernement français (décembre 2008) comporte comme premier constat, dans sa page de synthèse, une affirmation qui n'est pas appuyée par une argumentation dans le corps du rapport, et qui par conséquent relève plutôt des idées reçues :
- « Globalement, les TIC ont un apport positif pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, il est extrêmement difficile de quantifier avec précision cet apport. Selon les estimations, les TIC pourraient permettre d'économiser de 1 à 4 fois leurs propres émissions de gaz à effet de serre. En effet, c'est l'activité économique dans son ensemble qui réduit ses émissions grâce aux TIC, avec plus particulièrement des gains probants à venir dans les secteurs du transport et du bâtiment. »
Cet extrait du rapport appelle en effet les observations suivantes :
- L'analyse porte sur l'impact en termes d'émissions de gaz à effet de serre, ce qui n'est qu'une partie du problème environnemental. En effet, le système de pilotage Global Reporting Initiative identifie 30 indicateurs environnementaux. Par exemple, l'électricité consommée par les ordinateurs en France est produite à 80% par des réacteurs nucléaires à eau pressurisée qui consomment de l'uranium, ressource non renouvelable, et qui produisent des déchets radioactifs. L'empreinte écologique de l'industrie nucléaire actuelle n'est pas du tout négligeable. Il est vrai que le plutonium produit par les réacteurs nucléaires à eau pressurisée pourrait être récupéré dans certains types de réacteurs de quatrième génération. Ce n'est également qu'une partie du problème du développement durable, puisqu'il faudrait aussi inclure le volet social.
- Rien dans le rapport ne concerne la contribution des techniques de l'information et de la communication à l'amélioration des processus métier des entreprises dans un sens favorable au développement durable (ce que nous appelons l'écoinformatique, et que les anglosaxons appellent le green IT 2.0). Or il ne serait possible de quantifier l'apport global des TIC au développement durable que si l'on introduisait dans la mesure de l'activité des entreprises des indicateurs environnementaux, en plus de l'indicateur habituel de chiffre d'affaires. La loi sur les nouvelles régulations économiques (article 116), en France, a demandé aux entreprises de rendre compte des conséquences environnementales et sociales de leur activité, au travers d'une cinquantaine d'indicateurs, mais son application n'est pas juridiquement obligatoire (au sens qu'une non application entraînerait des pénalités), et les indicateurs demandés ne sont pas consolidés de façon normalisée dans un indice global intégré. A l'échelle macroéconomique, il faudrait revoir l'outil classique du PIB (PIB vert) pour avoir une estimation de l'évolution selon les critères du développement durable.
- Si l'apport des TIC à la réduction des émissions de gaz à effet de serre est positif, ce qui n'est pas prouvé, il faudrait nuancer cet apport, au moins qualitativement, selon les types de techniques informatiques. En effet, on peut raisonnablement penser que le développement de l'internet, des messageries électroniques, et des moteurs de recherche a contribué de façon considérable à sensibiliser, informer, et former les populations des pays les plus développés sur les enjeux du développement durable et de l'environnement, en permettant d'approfondir ce sujet à la fois complexe et global par l'échange interactif d'informations. L'usage de ces outils a favorisé le changement des mentalités et poussé une fraction de la population à s'orienter vers des activités plus respectueuses de l'environnement. En revanche, la plupart des systèmes d'information internes des entreprises sont restés sur des modèles qui dérivent des premiers temps de l'informatisation (MERISE, modèle entité-relation), modèles qui manipulent des informations plus quantitatives que qualitatives, et plus financières qu'environnementales et sociales. L'usage de modèles sémantiques (basés sur des métadonnées), aujourd'hui encore très peu répandus, permettrait de saisir beaucoup mieux le sens des informations et de gérer le qualitatif. Par conséquent, une réduction sensible de l'impact environnemental indirect des systèmes d'information à l'intérieur des entreprises passe par un changement de modèle.
- Si l'internet a eu un effet vertueux de sensibilisation à l'environnement dans les pays les plus développés, il a aussi eu pour effet d'exporter, par le phénomène de mondialisation, un mode vie de vie occidental peu écoresponsable vers les pays émergents. Par exemple, l'électricité consommée par les équipements informatiques en Chine est produite essentiellement par des centrales thermiques à charbon, qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre (41% du charbon mondial est consommé en Chine). Donc l'impact indirect des TIC sur l'empreinte écologique globale serait plutôt négatif. Le mot "globalement" dans la page de synthèse est donc critiquable.
- Le commerce électronique ne supprime pas les transports physiques de marchandises. On doit toujours livrer les produits par la poste, avec une chaîne logistique qui emploie les camions. D'autre part, dans le cas de commandes avec une longue distance entre le fournisseur et le client (intercontinental), on doit passer par le fret aérien qui est très polluant. Il faut en finir avec le mythe internet = virtuel, immatériel...
En résumé, ce rapport TIC et développement durable aborde essentiellement ce que les anglo-saxons appellent le green IT 1.0 et green IT 1.5, c'est-à-dire la contribution directe des TIC (consommation électrique, émissions de gaz à effet de serre lors de la conception et de l'utilisation des équipements informatiques), mais occulte la phase green IT 2.0. Ceci comporte plusieurs dangers :
- laisser le champ libre aux anglo-saxons sur le développement des éco-TIC, surtout dans la phase d'application aux processus métier (green IT 2.0), ce qui serait une erreur sur le plan de l'intelligence économique,
- se soumettre à la conception anglo-saxonne du développement durable qui, à travers la domination mondiale par la connaissance, peut pousser à des modèles de durabilité faible plutôt que de durabilité forte.
Corrélation entre flux d'informations et flux physiques
Jean-Marc Jancovici affirme que l'effet premier des techniques de l'information est plutôt d'augmenter la consommation matérielle. Il estime qu'à bien y regarder, un effet d'entraînement est très souvent souhaité. Le but premier de l'activité informatique est ainsi de permettre une augmentation des volumes de biens matériels produits ou consommés, en facilitant l'efficacité commerciale, la gestion de la chaîne logistique pour des gros volumes, la recherche de nouveaux produits, et plus généralement l'accélération de l'activité des entreprises manufacturières. La publicité accompagne les moyens de diffusion de l'information (journaux, télévision, radio, internet) pour inciter à consommer davantage.
Pour démontrer que, depuis un siècle, les flux d'information ne remplacent pas les flux physiques de marchandises, mais que, au contraire, les deux évoluent en parallèle, il s'appuie sur une étude d'Arnulf Grübler, the Rise and Fall of Infrastructures (1990), reprise dans un rapport du Giec de 2001. Ainsi, lorsque la quantité d'informations qui circule augmente, les tranports physiques augmentent aussi.
Ainsi, la dématérialisation, souvent présentée comme une solution aux problèmes d'environnement, ne serait pas aussi favorable qu'on le prétend.
Impact du développement durable sur les modèles informatiques
L'étude de la performance en matière de développement durable en relation avec les modèles informatiques (MERISE, modèles entité-relation, UML,...) n'est pas actuellement étudiée dans la littérature ou sur internet. Tout ce que l'on peut dire est que ces modèles gèrent des informations structurées quantitatives, mais s'intéressent peu aux performances qualitatives en matière environnementale et sociale qui sont le plus souvent du domaine de l'information non structurée (textes libres dans des documents, informations éparpillées dans des tableurs).
Didier Pautard considère que les objectifs en matière de développement durable des entreprises ont un impact sur la stratégie marketing, pas tant dans le domaine de la communication, que de l'étude des opportunités et des menaces engendrées par les besoins des consommateurs et des clients des entreprises, en tenant compte des attentes des parties prenantes. Il s'agit d'une démarche d'intelligence économique, qui consiste à analyser les signaux faibles du marché, qui parviennent le plus souvent en source ouverte par les relations professionnelles et par internet (veille environnementale, sociale et sociétale), puis à structurer ces informations dans des référentiels, qu'il est possible d'analyser selon plusieurs axes d'analyse. La bonne structuration de ces informations consiste alors à définir la sémantique des informations.
Élisabeth Laville, PDG du cabinet Utopies spécialisé dans le conseil en développement durable aux entreprises, souligne que pour prévenir les risques, une seule alternative s'offre aux entreprises : adopter une stratégie proactive et développer des outils de veille permettant d'anticiper les contraintes sociales ou environnementales nouvelles. Cela suppose de mettre en place des moteurs de recherche, pour répondre aux besoins de veille, notamment environnementale, sociale, sociétale, ou juridique.
Le modèle d'intelligence économique de l'AFDIE comprend un facteur de perception de l'environnement, qui précise que l'entreprise doit intégrer l'analyse de l'environnement dans la formulation de la stratégie, et élargir l'éventail des veilles spécifiques aux veilles environnementale, juridique, et sociétale.
La réponse aux besoins de veille, donc la prise en compte des risques potentiels associés aux activités des organisations (les menaces dans un modèle de type SWOT), pose la question des modèles de gouvernance. Selon Georges Épinette, administrateur du CIGREF, le modèle de gouvernance des systèmes d'information le plus employé dans le monde, CobiT, souffre d'une relative indigence en matière d'alignement stratégique et de gestion des risques.
Pour l'alignement du système d'information, les besoins métiers à prendre en compte dans les systèmes d'information sont la veille, l'innovation, la démarche qualité, l'interaction avec des parties prenantes externes à l'organisation, l'analyse du contexte, et le retour d'expérience. De ce point de vue, le modèle d'analyse décisionnelle des systèmes complexes paraît ouvrir des perspectives très intéressantes.