Avant 1917, le scène architecturale russe était divisée entre les Russky Modern (une interprétation locale de l'Art nouveau, surtout à Moscou) et le renouveau néoclassique (plus important à Saint-Pétersbourg). L'école néoclassique formait des architectes bien aguerris comme Alekseï Chtchoussev, Ivan Zholtovsky, Ivan Fomine, Vladimir Chtchouko et Alexandre Tamanian ; au moment de la Révolution, ils étaient déjà des quadragénaires et étaient déjà bien établis professionnellement, ils avaient leur propre agence, leur école et leurs adaptes. Ces figures vont devenir les patriarches de l'architecture stalinienne et produiront les meilleurs exemples de ce style.
Une autre mouvance qui émergea après la Révolution fut appelée constructiviste. Quelques uns de ces constructivistes (comme les frères Vesnine) étaient de jeunes professionnels qui s'étaient établis avant 1917, alors que les autres terminaient juste leurs études (comme Constantin Melnikov) ou n'en avaient pas fait. Ils se regroupèrent ensemble autour de mouvements d'artistes modernes très visibles, compensant leur manque d'expérience par une exposition publique importante. Quand la NEP amena la nation dans une période de reconstruction après-guerre, cette publicité fut payante et ils accédèrent à la commande réellement. Mais l'expérience ne vient pas en une nuit, et beaucoup de leurs édifices furent critiqués pour leurs plans non-rationnels, les dépassements de budget et la faible qualité de construction.
Pendant une courte période au milieu des années 1920, la profession architecturale a procédé à la manière ancienne, avec des agences privées, des concours internationaux, des compétitions et des débats houleux par presse spécialisée interposée. Les architectes étrangers étaient les bienvenus, surtout vers la fin de cette période, quand la Grande Dépression les laissait chez eux sans commande. Parmi eux on peut citer Ernst May, Albert Kahn, Le Corbusier, Bruno Taut et Mart Stam. La limite entre les architectes traditionalistes et les constructivistes n'était pas réellement bien définie. Zholtovsky et Chtchoussev employaient des modernistes en tant que cadets pour leur projets, en même temps qu'ils incorporaient des innovations constructivistes dans leurs propres projets.
L'urbanisme se développa à part. La crise du logement dans les grandes villes et l'industrialisation de zones lointaines amenaient à la construction de masse, l'aménagement de nouveaux territoires et le reconstruction de vieilles cités aussi. Des théoriciens conçurent une variété de stratégies qui généra des discussions politisées et passionnées sans beaucoup d'impact dans la pratique ; l'intervention étatique était imminente.
L'architecture d'après guerre, parfois perçue comme un style uniforme, était fragmenté en au moins quatre embranchements :
La construction de logement dans les villes d'après guerre était clairement séparée en fonction de la classe des locataires. Aucun effort n'était fait pour dissimuler le luxe ; parfois c'était manifeste, parfois délibérément exagéré (en contraste avec le strict immeuble sur les quais d'Iofane). Les résidences campagnardes dignes d'un roi de Staline étaient ce qu'il y avait de mieux ; ainsi la Villa aux lions de 1945 dessinée par Ivan Zoltovsky, une luxueuse résidence de ville pour les maréchaux de l'Armée rouge. Les appartements pour maréchaux de Lev Roudnev en 1947, dans le même îlot, est juste un cran en dessous, elle aussi une résidence rutilante mais avec un aspect extérieur un peu moins clinquant. Il y avait un type de logement pour chaque degré dans la hiérarchie de Staline.
Les immeubles pour les classes supérieures peuvent facilement être identifiés par des détails révélateurs comme l'espace entre les fenêtres, les appartements avec terrasse et oriels. Parfois le rang et la profession des locataires se répercutent dans l'ornementation, parfois par des plaques commémoratives. Il est à noter qu'il s'agit là d'une pratique essentiellement moscovite, dans les plus petites villes l'élite sociale se résumait à une ou deux classes. Saint-Pétersbourg a, elle, toujours pu fournir des appartements prérévolutionnaires luxueux.
![]() Entrée avec des vues latérales pour la sécurité. Immeuble pour maréchaux de Rudnev, 1947 | Les détails indiquent la couche sociale - immeuble pour acteurs, rue Gorky |
Cette partie s'appuie sur l'article "Métro de Moscou, 70 ans" dans l'édition russe de World Architecture Magazine de 2005. Les noms des stations sont ceux d'aujourd'hui, sauf si indiqué.
Le métro de Moscou à un premier stade (1931–1935) apparut comme un service urbain parmi d'autres. Il y avait beaucoup de propagande autour de sa construction mais le métro en lui-même n'était pas perçu comme un dispositif de propagande. « Contrairement aux autres projets, le métro de Moscou ne fut jamais appelé le "métro de Staline". » Les architectes plus âgés restèrent à l'écart de ce projet, laissant le champ libre aux plus jeunes. Les enjeux changèrent dès la deuxième phase des travaux en 1935. Cette fois le métro était devenu une affaire politique et bénéficia d'un budget bien supérieur. La deuxième phase donne des exemples du style stalinien comme Maïakovskaïa (1938), Élektrozadovskaïa et Partizanskaïa (1944). Les stations construites en 1944 furent les premiers mémoriaux permanent de la Guerre patriotique.
Après la guerre, les architectes attendaient en ligne pour les concours du métro ; la première ligne après la guerre fut terminée en 6 ans (un tronçon de 6,4 km de la ligne circulaire). Ces stations furent dédiée à la Victoire. Plus de noms comme Komintern ou Révolution mondiale, mais une ode au stalinisme victorieux et nationaliste. La station Oktyabrskaïa de Léonid Polyakov fut construite tel un temple classique, avec un autel bleu ciel étincelant derrière des vantaux en fer – une sacrée entorse à l'athéisme d'avant guerre. Pour voir cet autel, les usagers devaient passer devant un long alignement de banderoles en plâtre, de chandeliers en bronze et d'imageries militaires en tout genre. La station Park Kultury (2) était décorée de véritables lustres gothiques, encore une autre entorse. Métrostroï mit en place ses propres usines de marbre et de charpentes, produisant 150 solides colonnes en marbre d'un seul bloc pour ce petit tronçon. Le deuxième tronçon de la ligne circulaire fut un hommage au Labeur héroïque (à l'exception de la station Komsomolskaïa de Chtchoussev, décorée pour raconter le discours de Staline du 7 novembre 1941).
Le 4 avril 1953, les usagers furent avertis que le tronçon de 1935 d'Alexandrovsky Sad, alors Kalininskaïa, à Kiyevskaïa était fermé pour de bon et remplacé par une ligne flambant neuve et plus en profondeur. Aucune explication de ce changement onéreux n'existe ; toutes les spéculations tournent autour la fonction d'abri anti-bombe. Une des stations, Arbatskaïa (2) de Léonid Polyakov, devint la plus longue station du réseau, 250 mètres au lieu des 160 standard, et sûrement aussi la plus extravagante. « Dans une certaine mesure, c'est du baroque pétrine moscovite, pourtant en dépit des références historiques, cette station est hyperbolique, éthérée et fantastique. » Pour être vraiment précis ses voûtes sont en fait paraboliques.
Les canons staliniens furent officiellement condamnés quand deux tronçons supplémentaires, vers Loujniki et vers VDNKh, étaient en construction. Ces stations, achevées en 1957 et 1958 furent en grande partie ravalée pour gommer les excès, mais architecturalement elles sont dans la lignée du style stalinien. La date du 1er mai 1958, quand la dernière de ces stations fut ouverte, marque la fin des toutes dernières constructions staliniennes.
L'idée qu'a eu Staline en 1946 de zébrer l'horizon de Moscou de gratte-ciel aboutit à un décret de janvier 1947, point de départ d'une campagne de propagande de six ans. En même temps que ce bond en avant officiel, en septembre 1947 huit sites furent repérés (celui de Zaryadye sera par la suite abandonné – les sept gratte-ciel restants seront surnommés les « sept sœurs »). Huit équipes de concepteurs dirigées par la nouvelle génération d'architectes en chef (de 37 à 62 ans), exécutèrent un nombre impressionnant d'esquisses ; il n'y a pas eu de concours ouvert ou de commission d'évaluation, ce qui est un indicateur du degré d'implication de Staline.
Tous les principaux architectes furent récompensés du prix Staline en avril 1949 pour leur travaux préliminaires ; des corrections et des modifications suivront jusqu'à un stade avancé des chantiers. Toutes les constructions ont employé des structures en acier très techniques avec des planchers en béton et du remplissage en maçonnerie, le tout reposant sur des fondations de radiers en béton (qui parfois requéraient une technologie ingénieuse pour retenir l'eau).
Les projets de gratte-ciel demanda beaucoup de nouveaux matériaux (surtout des céramiques) et de nouvelles technologies ; résoudre cette demande contribua au développement ultérieur du logement et des infrastructures. Cependant ces projets grevèrent le budget de la construction classique qui connut un ralentissement alors que le pays était encore pour une large part en ruine. Le bilan de ces projets sur les réels besoins urbains peut être apprécié avec les chiffres suivants :
Des gratte-ciel similaires furent érigés à Varsovie et Riga ; la tour de Kiev fut achevée sans couronnement ni flèche.
L'érection de toutes ces « sœurs », et le battage médiatique fait autour depuis 1947, vit fleurir sur tout le territoire de petites répliques. Des tours de huit ou douze étages furent construites au milieu des bâtiment de quatre à cinq étages des centres régionaux d'après guerre. Le pavillon central du centre panrusse des expositions, rouvert en 1954, mesure 90 mètres de haut, a un hall principal ressemblant à une nef de cathédrale, 35 mètres de haut et 25 de large, avec des sculptures et des fresques de style stalinien.
On retrouve des tours jumelles flanquant les grandes places dans les villes allant de Berlin jusqu'à la Sibérie :
Place de la gare centrale de Minsk | Gare de Kharkiv | ||
Théâtre d'opéra et de ballet de Novossibirsk en 1945 |
L'ensemble urbain et architectural de l'avenue Nezalezhastci à Minsk est un exemple d'une approche intégrée d'organisation urbaine par la combinaison harmonieuse des monuments, de l'aménagement urbain, de son environnement et de la présence du végétal, naturel ou planté. L'élaboration de cet ensemble s'étala sur une période de quinze ans après la Deuxième Guerre mondiale. Il s'étend sur 2 900 mètres. La largeur de la chaussée et des trottoirs varie entre 42 et 48 mètres.
Le travail sur le schéma général de l'ancienne rue Sovietskaïa commença en 1944, juste après la libération de Minsk occupée par des troupes nazies. Les principaux architectes de Minsk et de Moscou furent impliqués dans ce projet. Le projet fut choisi par concours en 1947 pour être exécuté sous le contrôle de M. Paroussikov de l'Académie d'architecture.
Le projet immobilier de l'avenue Nezaleazhnastci a réussi à échapper à la monotonie. Le schéma fournit les caractéristiques principales de l'aménagement d'ensemble – la longueur des façades, leur profil, les divisions principales et le modèle architectural général. Le plan intégré des bâtiments était basé sur une accommodation d'idées innovantes dans une facture architecturale classique. Les immeubles toujours debout après la guerre et les parcs furent harmonieusement incorporés à l'ensemble.
Tous les bâtiments actuels qui forment la zone urbaine autour de l'avenue Nezalezhnastci sont inscrits sur la liste du Patrimoine historique et culturel de la République de Biélorussie. L'ensemble architectural en lui-même, avec ses bâtiments, ses tracés et sa physionomie sont protégés par l'État et inscrit sur la liste comme complexe patrimonial historique et culturel. En 1968 le Prix national de l'architecture fut créé et remporté par une équipe d'architectes représentant les écoles de Moscou et de Minsk (M. Parousnikov, G. Badanov, I. Barstch, S. Botkovsky, A. Voïnov, V. Korol, S. Moussinsky, G. Sissoev, N. Tratchtenberg et N. Chpiguelman) pour la conception et la construction de l'ensemble de l'avenue Nezaleznosci.
Il existent d'autres aménagements urbains staliniens célèbres à Minsk comme la rue Lenina, la rue Kamsamolskaïa, la rue Kamounistytchnaïa et le square Pryvakzalnaïa entre autres.
Le Prix Staline 1949, annoncé en mars 1950, montra une césure claire présente dans l'architecture stalinienne – les immeubles dispendieux sont toujours encensés mais à côté de tentatives de rendre le style stalinien abordable. Le Prix de 1949 fut donné uniquement à des immeubles de logement achevés, un indice des priorités d'alors. Il montrait aussi clairement les stratifications de classe des locataires éligibles à l'époque. Trois immeubles moscovites furent récompensés :