Constantin Stepanovitch Melnikov (en russe : Константин Степанович Мельников ; né le 22 juillet/3 août 1890 à Moscou et mort le 28 novembre 1974 à Moscou) fut un architecte et un peintre russe. Son œuvre architecturale, malgré sa brièveté (une décennie, de 1923 à 1933), l'a placé comme une figure majeure de la fin de l'avant-garde architecturale russe. Bien qu'associé aux constructivistes, Melnikov était un artiste indépendant, sans attache contraignante à aucun mouvement artistique. Dans les années 1930, refusant de se conformer à l'architecture stalinienne montante, il se retira de la pratique et travailla en tant que portraitiste et enseignant jusqu'à la fin de sa vie.
Durant la Première Guerre mondiale et les cinq années de la Révolution de 1917, Melnikov travailla selon une veine néoclassique. Avant la révolution il avait travaillé sur un projet d'usine de camions AMO. Entre 1918 et 1920, il fut engagé dans le bureau de planification du « nouveau Moscou » dirigé par Ivan Zholtovsky et Alekseï Chtchoussev, dessinant les secteurs Khodynka et Butyrsky de la ville. Mais à cette époque le système d'éducation russe s'écroulait ; une nouvelle école d'Art, le Vkhoutemas, se constitua en 1920. Sa branche architecturale était décomposée en trois parties : un Atelier académique (Ivan Zholtovsky), une réunion d'ateliers de tendance gauchisante (Nikolaï Ladovski) et un atelier bicéphale mené par Melnikov et Ilya Golossov appelé Nouvelle Académie et Atelier n°2. Melnikov et Golossov résistèrent à la fois à l'académisme et au camp de la gauche : quand en 1924 la direction regroupa la Nouvelle Académie avec l'Atelier académique, Melnikov quitta le Vkhoutemas. En 1923-24, Melnikov s'associa temporairement avec l'ASNOVA et le groupe artistique LEF, cependant il ne s'impliqua pas dans les polémiques publiques et ne fit aucune déclaration publique. En particulier il prit clairement ses distances d'avec le mouvement Constructivisme dirigé par Moisei Ginzbourg et Alexandre Vesnine.
Sa première réussite en architecture fut sa réponse en 1922 à un concours d'habitat ouvrier. Sous le nom d'Atom, le projet de Melnikov était une disposition d'éléments en dent de scie, ce qui allait devenir sa marque de fabrique. Sans équivalent auprès des projets révolutionnaires, Atom était basé sur un concept traditionnel de maisons de ville familiales et d'immeubles d'appartements.
Les premières réalisations concrètes de Melnikov furent des bâtiments temporaires rapidement démontés. Le premier, un pavillon pour l'Exposition agricole et artisanale de toute la Russie en 1923, rassemble beaucoup de caractéristiques de son architecture :
Ce dernier point était partagé avec les constructivistes. Les toits pentus, en revanche, allaient à l'encontre des canons constructivistes, mais correspondaient avec le niveau technique de construction de l'époque en Union Soviétique qui était incapable d'assurer une parfaite étanchéité à un toit-terrasse.
En 1925 Melnikov dessina et construisit le pavillon soviétique de l'Exposition des Arts décoratifs de Paris. Le pavillon en bois était constitué d'un agencement de toits à pente unique de différentes tailles. Il fut accueilli comme l'une des réalisations les plus novatrices de l'Exposition. À la différence des autres pavillons de Paris, il fut achevé en moins d'un mois, ne nécessitant pas plus de dix ouvriers.
À Paris où il vint superviser la fin des travaux de son pavillon, il eut l'opportunité de rencontrer certaines des figures occidentales de l'architecture d'avant-garde. Il connut Le Corbusier qui l'emmena en automobile faire le tour de chacune de ses œuvres. Il se lia d'amitié avec Robert Mallet-Stevens. Il reçut une commande de la préfecture de Paris pour la réalisation d'un projet de garage pour 1 000 voitures. Melnikov réalisa une première version sur la Seine, puis une seconde constituée d'un prisme régulier de 50 mètres de côté. Mais finalement aucune des deux n'éveilla un quelconque intérêt des autorités municipales.
La seconde version de ce projet a, selon l'analyse d'Andrés Jaque, beaucoup influencé les architectes contemporains comme Rem Koolhaas, notamment pour son projet de la bibliothèque nationale de France ou le terminal des douanes de Yokohama. Quoi qu'il en fut, Melnikov trouva là un modèle pratique pour disposer des voitures dans un garage (encore une fois une disposition en dent de scie) où les voitures pouvaient se garer ou s'en aller sans marche arrière.
De retour à Moscou, Melnikov remarqua un terrain à Zamoskvorechye où des bus étaient stationnés en désordre, et il proposa immédiatement son idée à la ville. Le résultat, le dépôt de bus de Bakhmétevsky, pouvait accueillir 104 bus sur un terrain de 8 500 m² dont la forme en parallélogramme aurait pu sembler difficile, et était surmonté d'une toiture conçue par Vladimir Choukhov.
Pour Melnikov, ce projet représente le « début de [s]es années dorées. » Le garage Bakhmetevsky, parfois considéré à tort comme un projet-phare du Constructivisme, faisait preuve d'un style peu démonstratif, avec ses briques rouges vaguement industrielles. En revanche les garages qui feront suite afficheront au contraire un style clairement avant-gardiste (qui s'est fortement détérioré avec le temps) :
Cette « période dorée » de 1927 continua avec une série de commandes du syndicat pour construire des clubs pour ouvriers. « Entamée en 1927, mon influence s'accrut en obtenant le monopole... c'est ainsi que l'amour vous choie s'il vous aime réellement »
La construction à travers le pays de nouveaux bâtiments servant de club pour ouvriers (combinant les fonctions de centre communautaire, éducatif et de propagande) fut lancée en 1926 et atteignit son acmé en 1927 quand les syndicat commanditèrent 30 clubs dans la région de Moscou (dont 10 à Moscou-même). Melnikov se vit attribué cinq de ces dix commandes (le sixième club se trouve à Likino-Douliovo). L'absence de concours public pour ces programmes s'avéra favorable à Melnikov qui fut soutenu par les syndicalistes commissionnaires enthousiastes, ne prêtant pas attention à la complexité des projets ou à ses affiliations politiques ou artistiques. Il eut la chance de construire pratiquement exactement ce qu'il avait projeté avec seulement quelques petites modifications demandées par le client (notamment la suppression des piscines).
Les six clubs des travailleurs faits à cette période sont tous différents les uns des autres, par leur forme, leur taille et leur fonctionnement. Les commanditaires n'étaient pas tout à fait compétents pour établir le programme de chacun, alors Melnikov les dessina tous avec des rapports différents entre les halls principaux et les autres espaces. Ces clubs, selon Melnikov, n'étaient pas seulement des foyers de théâtre mais un système flexible de plusieurs halls qui pouvaient être réunis en un seul grand volume si nécessaire. Ses halls principaux les plus vastes pouvaient être divisés en trois (club Roussakov) ou deux (club Svoboda) halls indépendants.
Une particularité de ces clubs — l'usage audacieux d'escaliers externes — est en fait la conséquence du code de l'urbanisme des années 1920 qui obligeait à avoir des cages d'escalier internes très volumineuses pour faciliter l'évacuation. Dans un effort de sauvegarde des espaces intérieurs, Melnikov connecta les halls principaux aux galeries extérieures qui sortaient de la réglementation du code.
Le bâtiment le plus emblématique de l'œuvre de Melnikov est peut-être sa propre maison, allée Krivoarbatsky à Moscou, bâtie en 1927-1929, qui se résume à deux tours cylindriques emboîtées et percées d'un motif régulier de jours hexagonaux. L'afflux de commandes entre 1926 et 1927 lui permit de financer la maison sur trois niveaux de ses rêves. À cette époque beaucoup de Russes aisés avaient envie de se faire construire une maison de ville ; Melnikov fut l'un de ceux qui arriva à garder son bien après la fin de la NEP. Sa demande d'acquisition du terrain de (790 m²) avait peu de chance d'être acceptée par la commission de quartier mais, à sa grande surprise, un commissionnaire du peuple le soutint, argumentant que « nous pouvons construire des bâtiments publics tout le temps et n'importe où, mais nous ne verrons jamais une maison originale si nous rejetons Melnikov. » La ville approuva le projet de Melnikov, le considérant comme expérimental.
Melnikov préféra travailler chez lui, et désira toujours une résidence spacieuse qui pouvait être son foyer en même temps que son atelier pour peindre et faire de l'architecture. Selon une expression russe, il dessina la maison à partir du foyer ; le four blanc se trouvant dans le salon date au moins de ses esquisses de 1920. Le rez-de-chaussée évolua d'un carré à un cercle puis une forme ovoïde sans prêter beaucoup d'attention aux finitions extérieures. Melnikov développa son idée de cylindres se coupant entre 1925 et 1926 lors de la préparation du projet du club Zuev (qu'il perdit face à Ilya Golossov). Le plan en double cercle fut approuvé par la ville en juin 1927 et fut révisé durant la construction.
Les deux tours, de haut en bas, sont des treillages alvéolaires en brique. Soixante des plus de deux cents ouvertures sont vitrées avec des fenêtres de trois types différents, les autres sont bouchées avec un amalgame d'argile et de gravats. Cette conception non orthodoxe découla directement du rationnement des matériaux par l'État – Melnikov fut limité à la brique et au bois, et encore, en faible quantité. Les planchers en bois n'ont ni pilier ni poutrelle. Ils sont constitués par une grille rectangulaire de planches plates formant une sorte de dalle orthotrope. La plus grande pièce, un atelier de 50 m² au troisième étage, est éclairée de 38 fenêtres hexagonales ; le salon de même largeur a une large fenêtre au-dessus de l'entrée principale.
En 1929 Melnikov proposa le même système de cylindres emboîtés avec une structure alvéolaire bon marché pour des immeubles de logements, qui ne se réalisera pas.
De 1933 à 1937, Melnikov, nommé dirigeant de la commission du septième plan du Mossovet, s'engagea dans des projets de planification urbaine du secteur sud de Moscou (Place Arbat et l'arrondissement Khamovniki) ; aucun ne fut réalisé. Bien sûr cette affectation montre en quelle grande estime était tenu son talent, mais elle a de fait éloigné Melnikov de la pratique architecturale concrète.
Sa dernière apparition publique fut sa participation en 1936 au concours du palais soviétique de l'Exposition internationale de Paris ; il perdit face à Boris Iofane. Dès 1937 la montée des critiques contre le formalisme amena une excommunication virtuelle de Melnikov. Il ne sera pas tout à fait oublié, au contraire son club Roussakov et la villa Arbat seront reproduits dans beaucoup de manuels soviétiques comme exemples de formalisme.
En dépit de son statut accablant d'artiste aliéné, Melnikov conserva sa villa Arbat et y vécut avec sa famille, en sécurité, jusqu'à sa mort. Il retourna à la peinture de portraits et donna des conférences dans des écoles d'ingénieurs. Melnikov a aussi dessiné des commandes privées de moindre importance – des résidences d'été, des aménagements de boutiques – certaines se sont réalisées, d'autres pas.
Melnikov a cependant répondu à quatre concours publics :
Dans les années 1960 l'architecture de Melnikov connut un bref regain d'intérêt. Son 75e anniversaire (en 1965) fut célébré officiellement par la Maison des architectes à Moscou ; en 1967 et en 1972 il fut récompensé des titres honorifiques de Docteur en architecture et Architecte méritoire.
Melnikov mourut à 84 ans et fut inhumé au cimetière de la Présentation du quartier Lefortovo de Moscou. Son fils, Victor, lui aussi peintre, a vécu et travaillé dans la villa Arbat, et il dut se battre pour en faire un musée jusqu'à sa mort en février 2006. La villa contient une part importante des archives de Constantin Melnikov.