Le domaine de l’Ermitage est situé à la longitude : 3° 57’ Est de Greenwich, latitude : 50° 27’ nord ce qui correspond à un point situé un peu au nord de Winnipeg au Canada. Au début des années 1900, la température moyenne annuelle en Belgique est d’environ 10°C, le minimum absolu de – 20°C et le maximum absolu est de + de 35°C. La pluviométrie annuelle est d’environ 700 mm. Ce qui fait dire à Jean Houzeau de Lehaie que la région qu’il habite participe encore au climat maritime de l’Ouest de l’Europe, mais les coups de froid sibérien annulent souvent les effets du Gulf Stream et il peut ainsi geler au cours de tous les mois de l’année. En 1907 par exemple, il a gelé tous les mois sauf au mois d’août, ce qui a été préjudiciable pour la lignification des jeunes chaumes de bambous.
Les premiers essais en plein air sont modestes. Il commence par une faible motte d’Arundinaria japonica (Pseudosasa japonica) cultivé dans la propriété familiale d’Hyon.
Puis en 1885, lors d’un voyage familial à Blois (France) chez l’oncle Charles, l’astronome résidant sur les bords de la Loire pour des raisons de santé, les Houzeau achètent chez un pépiniériste blésois des Phyllostachys nigra et Ph. aurea.
En 1887, « un envoi comprenant de nombreuses espèces nous vint de M. Mazel, à Anduze (Gard) France. Depuis lors, presque chaque année, notre collection s’enrichit de plusieurs espèces ou variétés obtenues par voie d’échange, d’achat, ou reçues de correspondants qui secondent notre œuvre de vulgarisation. »
Le wild garden qui entoure la demeure de l’Ermitage représente environ 4 ha. Il comprend 50 ares de potager et le reste est constitué de bois, de pièces d’eau et de prairies fraîches et pâturées. À proximité de l’habitation de la famille Houzeau se situe une serre suffisamment vaste et qui contient en hiver 2000 pots et 500 espèces végétales. En 1908, la collection de bambous de Jean Houzeau comprend 60 taxons répartis dans 4 genres : Arundinaria (21 variétés), Bambusa (9), Dendrocalamus (1) et Phyllostachys (18). À la même époque il recense 104 taxons introduits en Europe (distribués dans 13 genres). Jean précise que 40 variétés ont été essayées avec plus ou moins de succès en plein air. Nous pouvons observer sur les photos prises par Jean en 1907 à l’Ermitage les touffes de bambous plantées à proximité du logis. Il s’agit notamment de géants en provenance de Prafrance plantés en avril 1905 : Ph. Bambusoides (motte de 400 kg, hauteur des chaumes 14,5 m, avec un diamètre de 7,5 cm), Ph. Mitis, (chaumes de 13,5 m, diamètre 8 cm), et Ph. Pubescens (motte en 3 pièces pesant 1200 kg, chaumes de 16,5 m, diamètre du plus gros chaume 10 cm). Les bambous tropicaux (les Bambusa, une dizaine de variétés classées à l’époque dans le genre Arundinaria et un Dendrocalamus strictus) sont installés dans la serre. Plus tard des bosquets de bambous seront installés dans la partie boisée, près des pièces d’eau et dans certains bosquets de l’exploitation agricole.
Amis des Oiseaux, plantez des bambous ! Extrait de ... Quand la gelée a dépouillé nos arbres et durci la terre, les oiseaux, qui sont si utiles dans les jardins, ne trouvent que difficilement des refuges contre la bise. Les bambous au feuillage touffu et persistant, l’Arundinaria japonica surtout, leur servent admirablement d’abri. Pendant tout l’hiver, c’est par centaines que nous voyons chaque soir des oiseaux d’espèces variées s’abattre sur chacun de nos massifs de bambous. Ils y sont aussi à l’abri des chats, dont la griffe ne mord pas sur les chaumes durs et lisses, et des rapaces dont le vol est arrêté par la multitude des branchettes. La plante protège l’oiseau ; ce n’est pas en pure perte pour celle-ci : il lui paie tribu en engrais. Amis des oiseaux, qui pensez à nourrir en hiver ces charmants hôtes de nos jardins, n’oubliez pas de leur fournir un bon gîte qui les protège du froid : plantez des bambous!
Le sol du Mont Panisel se prête assez bien à l’implantation des bambous : il est composé de sable glauconieux avec charge argileuse (formation yprésien supérieur). Grâce aux soins culturaux perfectionnés au cours d’une vingtaine d’années, les cultures de bambous de l’Ermitage se sont développées à merveille jusqu’au fatal hiver 1916-1917. « Celui-ci fut assez rigoureux pour détruire presque tous les massifs jusqu’au niveau du sol. L’hiver 1917-1918 détruisit beaucoup de jeunes repousses et l’hiver 1921-1922 fut encore bien dur pour certaines espèces ». Quelle déception également y compris pour les oiseaux : alors qu’au début de 1916, « pour la première fois un vol de 4 à 500 étourneaux vient coucher dans les bambous », un an plus tard, pendant plus de 13 jours les minima nocturnes sont inférieurs à – 10 °C, et les trois dernières nuits atteignent – 19 °C. Le 4 février 1917, Jean constate que « les étourneaux désertent les bambous à mesure que ceux-ci succombent au froid excessif ». Désormais il ne rentre plus au dortoir qu’une demi-douzaine d’oiseaux. « Peut être succombent-ils en grand nombre au froid, à la faim ? Après les grandes joies de ces foules, c’est, dans tous les massifs de bambous, le silence et la mort »
« Quant à la riche collection de bambous tropicaux » réunie avant la guerre, elle va subir des gelées, suite au bombardement du 11 novembre 1918 des troupes du Commonwealth pour libérer la ville de Mons, après quatre ans d’occupation allemande. Des centaines de vitres de la serre volent en éclats. Cela se produit dans la matinée, peu de temps avant la signature de l’Armistice prévu à 11 heures. Huit jours après la température descend à – 9°…
L’hiver 1921-1922 fut également dur pour certaines espèces. « Il en résulte que peu d’espèces ont repris une vigueur moyenne et que la collection de plein air ne présente qu’un intérêt médiocre, si on la compare à ce qu’elle était en 1915 par exemple. ». Au printemps 1922, lors de la visite guidée que nous avons déjà évoquée, Jean précise que, malgré ces déboires, il reste dans la propriété familiale quelques bosquets qui ont gardé de la vigueur : Phyllostachys viridiglaucescens, Ph. Violacens, Ph. aurea (en pleine floraison – c’est la première fois qu’il fleurit depuis son introduction en Europe qui remonte à 73 ans !), Ph. flexuosa, Sasa paniculata f. nebulosa et Fagesia nitida, Ph. henonis (qui a fleuri de 1904 à 1906). Enfin Ph. edulis rapporté de Prafrance en avril 1906 a donné un turion de 4 m en 1913. Il le cultive à titre de curiosité (il faut probablement entendre que ce bambou géant n’est pas assez envahissant en Belgique pour qu’il puisse envisager de consommer, comme le font notamment les Chinois, une partie de ses turions !).
Si l’étude des bambous va rester un des centres d’intérêt de notre naturaliste jusqu’à son dernier souffle, toutefois, la phase d’expérimentation culturale, au moins pour les bambous rustiques, est désormais terminée. Pionnier de l’introduction de nouvelles espèces, il a été relais pour la diffusion des bambous ; il continue de l’être avec générosité. Lors de cette fameuse journée, avant de clôturer par la visite de sa collection de silex taillés réunie à l’Ermitage et par la distribution de pièces de silex, Jean invite ses chers collègues « que la culture des meilleures espèces de bambous tenterait, de tenir en note [qu’il leur] en offre des divisions à venir prendre au printemps, entre le 15 mars et le 15 avril, autant que possible pendant la période de pluie. »