Violences urbaines - Définition

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La réapparition récente de la violence urbaine

L'apparition des violences urbaines et connexes

Malgré le refoulement, de tous temps, la ville a bien été le théâtre de violences. Ainsi, dans une missive adressée au maire de Londres en 1730, l'écrivain Daniel Defoe se plaint déjà que « les citoyens ne se sentent plus en sécurité dans leurs propres murs, ni même en passant dans les rues ». Les « violences urbaines » telles qu'on les a définies apparaissent quant à elles tout à fait clairement aux États-Unis dans les années 1960, en France au début des années 1980, l'événement de référence demeurant, dans ce pays, les incidents de l'été 1981 aux Minguettes, un quartier de la banlieue est de l'agglomération lyonnaise à cheval sur trois communes où près de 250 voitures seront détruites par des jeunes en l'espace de deux mois. Par la suite, les autres incidents marquants en France seront ceux de Vaulx-en-Velin en 1990 et Sartrouville et Mantes-la-Jolie en 1991. Suite à ces incidents, les violences urbaines vont finir par être perpétrées de façon très régulière, à plus petite échelle, comme par exemple à Strasbourg lors des fêtes du Nouvel An dès la fin 1995 (le record sera atteint le 1er janvier 2002 ou on a dénombré 515 véhicules incendiés dans toute l'agglomération strasbourgeoise cette nuit là), ou ailleurs, en Europe, après les matches de football : le hooliganisme ne se développe véritablement en Europe qu'à partir des années 80. Devenues quotidiennes, les violences urbaines prennent alors des formes diverses ; contre les biens ou contre les personnes, elles peuvent être physiques ou symboliques. Des éruptions plus amples se produisent à l'occasion. Ainsi en est-il fin 2005 partout en France.

Selon S. Body-Gendrot, au final, « la violence urbaine s'observe dans la plupart des sociétés modernes. Cependant, les manifestations comme les causes de cette violence varient d'une société à l'autre », donc « il est faux de croire que la violence urbaine à laquelle on assiste en France ne serait que la transposition de la situation que connaissent les États-Unis ». « En France, la violence urbaine exprime davantage une perte de confiance dans les institutions », et celle-ci est d'autant plus forte que l'implication de ces institutions dans l'intégration a été traditionnellement importante. Elle vise surtout les équipements et les institutions publiques, et à travers eux, l'État et ses représentants. Comme le souligne Michel Kokoreff, les tags, par exemple, ne visent que peu les véhicules privés.

Outre les vitrines des commerces, les trois cibles principales sont :

  • L'école. Au cours de l'année scolaire 2002-2003, 72 507 cas de violences scolaires ont été recensés, dont 1 581 violences physiques avec arme. Ce chiffre inclut également 21 003 violences physiques sans arme et 16 623 insultes ou menaces graves. Le racket compte pour 2,44% des signalements, les violences à caractère sexuel pour 1,48%. Pour tenter de résoudre ce problème, aux États-Unis, 39% des académies emploient des détecteurs de métaux à l'entrée des établissements.
  • Les transports urbains, dont les fauteuils sont couramment lacérés, les vitres gravées, les portes recouvertes de tags. La SNCF consacre à elle seule cinq millions d'euros annuellement au nettoyage de ces tags. Selon Sophie Body-Gendrot, « si aux États-Unis ce sont dans les parcs que les jeunes règlent leurs comptes, en région parisienne, ce sont les autobus qui sont l'objet d'affrontements » : « les jeunes perçoivent le bus comme leur appartenant, puisqu'il roule sur leur territoire ».
  • La police et les pompiers, régulièrement pris à partie ou caillassés, déplorant tous les jours des outrages à agent. Au final, le fait que les forces censées maintenir l'ordre soient ainsi parmi les premières visées incite assez paradoxalement à plaider en faveur de leur retrait partiel des zones sensibles, afin que l'ordre y soit sauvegardé. C'est une solution parfois utilisée en France, à l'inverse de ce qui se passe aux États-Unis, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, pays où l'humilité de la police est considérée comme une faiblesse qui accentue le mal. Dans ces pays, c'est en effet la théorie dite « de la vitre brisée » inspirée par les travaux du psychosociologue Philip Zimbardo dans les années 60 qui prédomine : « dans le cas où une vitre brisée n'est pas remplacée, toutes les autres vitres connaîtront le même sort ». Autrement dit, pour de nombreux spécialistes issus de ces pays, il faut renverser la thèse généralement admise, c'est-à-dire que ce n'est pas la dégradation du lien social qui est cause des Incivilités, mais le comportement d'abandon des citoyens face à ces incivilités qui précipitent le délitement du lien social.

Les causes de l'apparition des violences urbaines

Si les explosions de violences urbaines sont souvent déclenchées par des rumeurs de bavure policière ou par quelques abus d'autorité tels que des fouilles considérées comme injustifiées, les dégradations et agressions commises plus généralement par les jeunes dans l'espace de la ville ont plusieurs causes croisées qui deviennent souvent leur conséquence dans une série de cercles vicieux engendrant une paupérisation :

  • Une situation familiale critique telle que la monoparentalité. Cette dernière autoriserait le relâchement du contrôle parental sur les jeunes, ce qui est d'autant plus critique en France qu'ils ne peuvent compter sur une surveillance efficace du voisinage ou de la communauté, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis.
  • L'échec scolaire, qui peut lui-même découler de la crise familiale. Ainsi, aujourd'hui, la violence telle qu'elle surgit dans les établissements scolaires trahirait un rejet de l'institution, surtout par les élèves en situation d'échec scolaire, qui lui reprochent les humiliations subies. Les difficultés scolaires et dans l'insertion professionnelle sont mal ressenties par la deuxième génération de l'immigration, qui aspirait à un meilleur statut que ses parents et peut trop rarement concrétiser cet espoir; ceux qui réussissent quittent le quartier. De fait, un certain nombre de chercheurs voient dans la massification des effectifs scolaires et dans la prolongation des études qui se sont opérées dans un contexte de chômage élevé les causes d'une perte de sens qui a engendré la violence accrue des quartiers.
  • Le chômage, qui se nourrit lui-même de l'échec scolaire. S'il peut engendrer la violence, celle-ci le favorise en retour, en créant des discriminations territoriales à l'embauche, ou tout simplement en détruisant les biens qui servent à créer de la valeur, et donc des emplois. La stigmatisation du chômage en tant que source de la violence est cependant contestable, notamment parce qu'elle se fonde souvent sur la discrimination peut-être trop rapide de l'oisiveté, ce qui témoigne d'une certaine façon d'un renversement historique du principe selon lequel les classes laborieuses sont des classes dangereuses[non neutre].
  • Le développement en conséquence d'une économie parallèle, comprenant notamment le trafic de drogues et le commerce de divers matériels volés. La concurrence entre bandes a favorisé un accroissement de la circulation d'armes.
  • L'absence de mobilité géographique des plus démunis. Elle tend à accentuer au fil des départs des plus fortunés une césure géographique inéluctable, éventuellement renforcée au quotidien par une faible desserte des transports publics. L'exiguïté des logements dans lesquels ils sont donc condamnés à vivre (éventuellement avec une famille nombreuse) pousse finalement les jeunes à tenter de s'approprier l'espace public le plus proche, à chercher à contrôler les grands espaces mitoyens comme la dalle ou les lieux de passage stratégiques comme les cages d'escalier ou les halls d'entrée. Une fois ces territoires acquis, ils opèrent à un véritable marquage, par exemple au moyen de tags, mais aussi d'un contrôle plus strict, par le biais de prélèvements illicites de biens publics ou privés, qu'ils appellent eux-mêmes « taxer », ce qui est un terme de droit financier qui renvoie au monopole étatique d'imposer. Par conséquent, il y aurait une influence de l'environnement immédiat sur la production de violence, et notamment de l'architecture urbaine telle que celle des grands ensembles, tours et autres barres des années 60 sur les jeunes qui y vivent..
  • Des pratiques dites déviantes telle que la toxicomanie, pratique qui nécessite la mise en place de trafics dont la protection exige souvent le recours à la violence.
  • La consommation éventuelle de violence télévisuelle et de jeux vidéo violents[non neutre].
  • L'absence d'influence politique et la sous-médiatisation, qui contraignent au recours à la violence ceux qui veulent se faire entendre. La violence et la force ne sont alors qu'un répertoire d'action comme un autre mais qui présente l'avantage d'être mobilisable à tout instant.
  • La discrimination raciale et les rivalités ethniques qui y sont légion.

À ces explications classiques s'ajoutent des causes plus lourdes citées par Hugues Lagrange, des causes qui sont peut-être plus culturelles :

  • Une crise de la masculinité, qui est elle-même liée à la mécanisation du travail qui a dévalorisé la force physique. Elle favorise les violences sexuelles, ou en tout cas la misogynie, sachant que les pays d'origine des jeunes immigrés violents seraient déjà peu traversés par les idéaux féministes[non neutre]. Violence et virilité sont ici associées. Les jeunes femmes, victimes de nombreuses atteintes à leur liberté de choix, ont obtenu une reconnaissance médiatique avec Ni putes ni soumises.
  • Dans les pays d'où sont originaires les immigrés violents[non neutre], « la rupture des chaînes de la vengeance n'a pas été sécularisée », contrairement à ce qui s'est passé dans les pays de tradition chrétienne comme la France selon La Violence et le sacré de René Girard. Dans la culture méditerranéenne, par exemple, le conflit interindividuel ne saurait ainsi se régler de façon médiate par le truchement de la justice. Or, cette culture se fonde sur une définition extensive du « respect » mutuel ou encore de l'honneur, et ceux-ci apparaissent donc souillés relativement souvent. La violence immédiate surgit donc très rapidement. De ce point de vue, selon Hugues Lagrange, la violence est une quête de reconnaissance qu'il ne faut pas sous-estimer : « La violence implique une quête de légitimité qui lui est essentielle. On ne fait violence qu'à ce qui a le caractère de l'être organisé, en brisant un verre pas en cassant un rocher. C'est en anéantissant une autre intention – celle qui a fait le verre – que la violence cherche à se faire reconnaître comme anticréation ».

Au final, en France, selon le même auteur, « les valeurs des jeunes qui vivent dans les quartiers de relégation participent d'un syncrétisme qu'on a parfois du mal à saisir : mélange d'individualisme consumériste et de comportements grégaires et clanistes fondés sur la défense du territoire et l'honneur du groupe. Ce syncrétisme tourne le dos à la fois à la culture modeste, patiente, souvent résignée, des immigrants, notamment maghrébins, et aux valeurs anticonsuméristes, voire idéalistes, portées par une fraction de la jeunesse issue des classes moyennes ». En fait, selon d'autres auteurs, ils disposeraient bien d'une culture spécifique qui a émergé récemment, la culture hip-hop, qui dispose de ses propres codes. Et le paradoxe apparent qui fait que cette culture semble s'acharner à détruire son propre cadre de vie ne serait pas insurmontable. Selon Sophie Body-Gendrot, « ce vandalisme institutionnel n'est pas nouveau. Il peut participer d'un « marchandage collectif par l'émeute », à l'image des opérations de sabotage que menaient les ouvriers au siècle passé pour faire pression sur le patronat ».

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