L'algèbre universelle est la branche de l'algèbre qui a pour but de traiter de manière générale et simultanée les différentes structures algébriques : groupes, monoïdes, anneaux, espaces vectoriels, etc. Elle permet de définir de manière uniforme les homomorphismes, les sous-structures (sous-groupes, sous-monoïdes, sous-anneaux, sous-espaces vectoriels, etc.), les quotients, les produits et les objets libres pour ces structures.
Il y a dans les mathématiques un grand nombre de types de structures algébriques qui vérifient différents axiomes (groupes, anneaux, espaces vectoriels, treillis, algèbres de Boole, algèbres de Lie). Il y a, pour ces différents types de structures, une notion d'homomorphismes et des constructions de structures qui sont analogues ou qui ont des propriétés analogues (sous-structures, quotients, produits, coproduits, objets libres, limites projectives et inductives, etc.), et ces homomorphismes et ces constructions ont un grand nombre de propriétés qui sont semblables (l'intersection de sous-groupes, de sous-anneaux, etc., en est un, l'image d'un sous-groupe, d'un sous-anneau, etc., par un homomorphisme, aussi), et qui sont souvent enseignées dans les premières années de l'université en mathématiques, du moins pour les groupes, les anneaux et les espaces vectoriels. On a alors défini de manière générale et abstraite les structures algébriques pour pouvoir traiter de manière uniforme ces constructions et leurs propriétés, et on a pu, par la suite, se concentrer sur les propriétés propres à chacune de ses structures.
Plus qu'une généralisation des structures algébriques usuelles qui ne servirait qu'en algèbre, l'algèbre universelle a aussi des applications en logique et en informatique.
Il peut être utile d'examiner un exemple pour dégager une notion unificatrice de structure algébrique. Parfois, dans la définition de structure algébrique on se limite à la donnée de lois de composition interne et externe sur un ensemble, mais la donnée de ces lois ne permet pas toujours de définir les homomorphismes comme les applications qui préservent ces lois et les sous-structures (sous-groupes, sous-anneaux, etc.) comme des parties stables pour des lois. En voici un exemple :
Soit G un groupe, φ sa loi de composition, e son élément neutre, γ l'application qui à un élément de G associe son inverse. Soit S une partie de G. Il ne suffit pas que S contienne le composé de deux éléments quelconques de S pour que S soit un sous-groupe de G, comme le montre le cas de l'ensemble des entiers naturels dans le groupe des entiers rationnels. En fait, pour que S soit un sous-groupe de G, il faut et il suffit aussi qu'il contienne l'élément neutre et qu'il contienne l'inverse de chacun de ses éléments. Autrement dit, S est un sous-groupe de G si et seulement si, φ(S × S) ⊆ S, γ(S) ⊆ S et e ∈ S. Ainsi, la structure de groupe de G n'est pas complète sans γ et e. On a des résultats analogues pour les monoïdes, les anneaux, les espaces vectoriels, les algèbres de Boole, etc.
Si l'on veut que la structure algébrique détermine les sous-structures (parties stables par les différentes lois), on doit enrichir les structures usuelles (groupes, anneaux, etc.) de lois supplémentaires.
Les structures usuelles ne sont pas seulement déterminées par des lois, mais par des axiomes (associativité, commutativité, distributivité, élément neutre, etc.) qui régissent les lois : les identités. On verra plus tard une définition générale d'identités. Si des structures algébriques vérifient toutes certaines identités communes, alors la plupart des constructions usuelles (sous-structures, quotients, produits) déduites de ces structures les vérifie. On se concentre d'abord sur les constructions de structures définies par des lois qui ne vérifient aucune identité particulière, et la stabilité des identités par ces constructions fera en sorte que les résultats ainsi obtenus s'appliqueront mot pour mot aux structures définies par la donnée de lois vérifiant certaines identités.
Une algèbre est un ensemble muni d'une structure algébrique, dont on donnera une définition précise. Parmi les algèbres, on retrouve les groupes, les monoïdes, les modules sur un anneau donné (en particulier les espaces vectoriels sur un corps donné), les treillis et les algèbres de Boole.
Définition. Soient E un ensemble et n un entier naturel (nul ou non). On appelle opération n-aire sur E toute application de En dans E. Si n = 2, alors il s'agit d'une loi de composition interne sur E. Si n = 1, il s'agit d'une application de E dans E, et on les appelle opérations unaires dans E. Si on a n = 0 (on parle alors d'opérations nullaires sur E), elles s'identifient aux éléments de E, puisque E0 = {0} et que les applications de {0} dans E s'identifient à l'unique élément de leur image. On appelle opération finitaire sur E une application qui est une opération p-aire sur E' pour un entier naturel p.
Soit A un ensemble. Alors une loi de composition externe ou une loi externe de A sur E est, par définition, une application de A × E dans E. Une loi de composition externe de A sur E s'identifie à une application de A dans l'ensemble EE des applications de E dans E, donc des opérations unaires de E : à un élément a de A, on associe l'application partielle définie par a de cette loi externe. Ainsi l'ensemble des lois de composition externe de A sur E s'identifie à l'ensemble des applications de A dans EE, et donc à l'ensemble des familles d'opérations unaires de E indexées par A. La distinction entre les lois de composition externe à gauche et à droite est une affaire de notation, puisqu'il y a une bijection canonique entre les deux.
Définition. Une algèbre universelle ou plus simplement une algèbre (ne pas confondre avec les algèbres sur un anneau commutatif, que l'on rencontre en algèbre linéaire) est un ensemble A muni d'une famille (vide ou non) d'opérations finitaires sur A, et on dit que l'ensemble A, est sous-jacent à l'algèbre en question. Un n-uplet (par exemple un couple) d'opérations finitaires est une famille d'opérations finitaires.
Certains auteurs supposent que toute algèbre est non vide, mais cela est inutile.
Pour permettre de traiter simultanément plusieurs algèbres, il peut être utile de déterminer si elles sont de même signature, c'est-à-dire si elles sont toutes des anneaux ou toutes des treillis, par exemples. Pour cela, on doit paramétriser les opérations finitaires des algèbres par certains ensembles, les opérations n-aires de même paramètre se correspondant. Par exemple, usuellement, dans la donnée des lois d'un anneau, l'addition vient avant la multiplication, et ainsi on sait que l'addition d'un anneau correspond à l'addition d'un autre anneau, et non à sa multiplication.
Définition. Donnons-nous un ensemble Ω (vide ou non) muni, pour tout entier naturel n d'une partie (vide ou non) de Ω, que l'on note Ωn. On dit alors que l'on s'est donné une signature ou un type d'algèbre ou un domaine d'opérateurs. Une algèbre ou une algèbre universelle de signature Ω est un ensemble A muni, pour tout entier naturel n et pour tout élément ω de Ωn d'une opération n-aire sur A, que l'on notera ωA, ou ω si aucune confusion n'en résulte. On dit alors que la donnée de ces opérations finitaires définit sur l'ensemble une structure algébrique de signature Ω.
Convention. Dans ce qui suit, on se donne une fois pour toute une signature d'algèbre et toutes les algèbres sont supposées être de cette signature, sauf mention contraire.
Si on a une algèbre A, on appelle constante ou élément distingué de A les éléments de A auxquels s'identifient les opérations nullaires définies par les éléments de Ω0.
Donnons quelques exemples d'algèbres.
Comme le montrent ces exemples, pour décrire la plupart des structures algébriques usuelles, on pourrait se limiter aux algèbres qui n'ont que des opérations binaires, des opérations nullaires et des opérations unaires. Mais, même pour ces structures, il peut être utile de considérer les opérations finitaires quelconques, puisque, avec une loi de composition associative, on peut, pour tout entier naturel non nul n, définir une opération n-aire qui à n éléments associe leur produit (ou leur somme).
Dans les définitions usuelles de ces structures, l'ensemble n'est pas muni de toutes ces opérations finitaires, mais que de certaines d'entre-elles, et les axiomes de ces structures impliquent l'existence de ces autres.
Ces exemples permettent de déterminer toute la structure qui est nécessaire pour définir correctement les homomorphismes et les sous-structures (sous-groupes, sous-anneaux, etc.).
Les corps sont des anneaux non réduits à un élément dont tout élément non nul est inversible. Dans un corps, l'application qui à un élément non nul associe son inverse n'est pas partout définie (0 n'est inversible), et donc n'est pas une opération unaire sur le corps tout entier, mais seulement sur le groupe de ses éléments inversibles. Pour pallier cet inconvénient, on doit élaborer la théorie des algèbres partielles, où les opérations finitaires ne sont pas partout définies.
Voici deux exemples triviaux, qui ont leur importance.
La définition d'algèbre fait en sorte que l'on admet les anneaux triviaux et les algèbres de Boole triviales, c'est-à-dire réduits à un élément. Certains auteurs excluent ces anneaux et ces algèbres de Boole.
On donne ici une définition générale des homomorphismes qui inclut les homomorphismes de groupes, d'anneaux, de modules (applications linéaires), etc.
Définition. Soient A et B des algèbres de même signature Ω. Un homomorphisme ou morphisme (ou Ω-homomorphisme ou un Ω-momorphisme s'il faut préciser) de A dans B est une application de A dans B qui préservent les opérations finitaires correspondant aux mêmes éléments de Ω. De manière plus précise, une application f de A dans B est un homomorphisme si et seulement si, pour tout entier naturel n et pour tout élément ω de Ωn, ωB(f(x1), ..., f(xn)) = f(ωA(x1, ..., xn)), quels que soient les éléments x1, ..., xn de A. Pour n = 0, cela signifie que f(ωA) = ωB (par exemple, si A et B sont des espaces vectoriels sur un corps K, on a f(0) = 0).
On appelle endomorphisme d'une algèbre A tout homomorphisme de A dans A.
On voit ici que les homomorphismes tels que définis ici correspondent aux homomorphismes des différentes structures algébriques que l'on rencontre en algèbre générale (monoïdes, groupes, anneaux, modules sur un anneau donné, treillis, etc.).
Il se peut que, pour certaines algèbres A et B, il n'existe pas d'homomorphismes de A dans B, même si A et B sont non vides. Par exemple, il n'existe pas d'homomorphisme entre un anneau trivial dans un anneau non trivial, les homomorphismes préservant par définition les éléments unités. Il n'existe pas non plus d'homomorphismes d'anneaux du corps Q des nombres rationnels dans l'anneau Z des entiers rationnels.
Exemple. Soient K un corps, X et Y des espaces affines sur K. X et Y sont des algèbres en considérant, pour tout entier naturel non nul n et pour toute suite finie de n éléments de K dont la somme est égale à 1, l'opération n-aire qui à une suite de n-points associe le barycentre de ces points affectés de ces éléments de K. Alors les homomorphisme X dans Y pour les structures algébriques ainsi définies ne sont autres que les applications affines de X dans Y. Autrement dit, les applications affines de X dans Y ne sont autres que les applications de X dans Y qui préservent les barycentres.
Proposition. Soient A, B et C des algèbres. La composée d'un homomorphisme de A dans B et d'un homomorphisme de B dans C est un homomorphisme de A dans C. L'application identité d'une algèbre A est un endomorphisme de A. En termes de théorie des catégories, la classe des algèbres de signature Ω avec les homomorphismes forment une catégorie pour la composition des homomorphismes (en tant qu'applications).
Définition. Soient A et B des algèbres de même signature. On appelle isomorphisme de A sur B ou, si A = B, automorphisme de A, tout homomorphisme de A dans B qui est bijectif. Pour tout isomorphisme f de A sur B, la bijection réciproque de f est un isomorphisme de B sur A. Cela coïncide avec la notion d'isomorphisme en théorie des catégories.
Proposition. L'ensemble des endomorphismes de A est un monoïde pour la composition des homomorphismes, que l'on note End(A). L'ensemble des automorphismes de A est un groupe pour la composition des homomorphismes, que l'on note Aut(A). Il est le groupe des éléments inversibles du monoïde End(A).
Si elles existent, alors les algèbres vides sont les seuls objets initiaux de la catégorie des algèbres de signature Ω, c'est-à-dire, pour toute algèbre A, il existe un homomorphisme de l'ensemble vide dans A. S'il n'existe pas d'algèbre vide, il y a aussi des objets initiaux, qui ne sont pas vides. Les algèbres triviales sont les seuls objets finaux de cette catégorie, c'est-à-dire, pour toute algèbre A, il existe un unique homomorphisme de A dans une algèbre triviale.